Le mouvement associatif étudiant, entre associationnisme, syndicalisme et représentation politique :

En tant que modèle atypique de représentation politique d’un groupe de population, les modélisations de l’action politique de la F.A.G.E. et de son réseau se doivent d’être abordées de manière plus explicite. AnimaFac offre une perspective en réseau plus détachée du politique, attendu notamment que celui-ci refuse de s’inscrire dans les processus électoraux étudiants et se positionne avant tout comme structure de mutualisation et de réalisation de projets d’actions. P.D.E., en tant que regroupement de corporations, donne à voir une organisation construite sur les schèmes de la société industrielle que solidifie une perspective communautaire.

Le réseau F.A.G.E. offre pour sa part une perspective inédite, et c’est en ce sens qu’il nous faut nous attarder plus avant sur sa construction politique. Nous sommes en effet ici à la fois dans la synthèse de l’ensemble des particularismes décrits plus haut, en même temps que dans l’apparition de quelque chose de différent, d’alternatif par rapport aux autres modèles de représentations politiques, syndicaux ou partis. Les modalités de structuration et de représentation de cette organisation et de son réseau donnent certainement à voir des formes de construction du collectif, qui par leur caractère innovant, risquent de vivre une résurgence sur l’ensemble de la société civile d’ici quelques années.

L’action politique de la F.A.G.E. et d’une large part du réseau associatif étudiant se situent aujourd’hui dans le cadre d’une représentation gestionnaire, d’un syndicalisme de négociation. Elle s’appuie sur une forme de construction au départ associative, et qui le reste même après vingt années d’existence et de confrontation au pouvoir. Ce syndicalisme atypique se veut être un syndicalisme réformiste et pas seulement contestataire. La démarche poursuivie est une démarche de type corporative, mais pas corporatiste. A ce titre, elle se donne pour but de défendre les intérêts de la population qu’elle représente, sans oublier totalement le reste des autres acteurs. Elle allie dans ses pratiques l’ensemble de la palette de positionnements, allant de la revendication, la négociation, jusqu’au réformisme et la cogestion. Elle utilise pour ce faire les outils que sont la lutte, la résistance et la cogestion en fonction des moments, des lieux. Ce n’est pas une idéologie ou une volonté de transformation sociale qui guide son action, mais bien plus la culture du résultat.

La mission syndicale est exercée au plus près du terrain, en cherchant en permanence l’avis de ce dernier. L’organisation ne produit pas un discours surplombant, elle est en revanche le lieu de la construction d’un discours national qui se veut la synthèse des pratiques et des avis locaux. Ainsi, « face aux syndicats traditionnels, la F.A.G.E. est une organisation représentative, organisée du bas vers le haut, ancrée localement, parlant aux étudiants d’une façon crédible de l’Université, alors que les syndicats ne font que diffuser de haut en bas des mots d’ordre décidés au niveau national » ( 332 ). Animée d’une forte dimension de proximité et de logique de réseau, ainsi que de la nécessité de réalisations concrètes, la F.A.G.E. et son réseau associatif n’hésitent pas à s’investir dans la vie politique locale lorsque c’est possible. L’A.F.G.E.S. siège ainsi dans de nombreuses commissions municipales de la ville de Strasbourg. J’ai personnellement siégé pendant plusieurs années à différentes commissions de la ville de Lyon, puis au Conseil de Développement de la COURLY. Les syndicats étudiants politisés sont en revanche le plus souvent totalement absents de ces lieux. Les associations étudiantes cherchent alors à promouvoir tout un ensemble d’actions civiques et citoyennes, à la fois pour les étudiants, mais aussi plus largement, pour l’ensemble des individus.

Si les modalités d’actions sont syndicales, la forme du projet et le sens de l’action restent en revanche clairement associatifs. La F.A.G.E. mène en effet de nombreuses activités associatives et met en œuvre un nombre important de projets concrets en dehors de ses activités de représentations institutionnelles. Ses militants restent des militants associatifs, et ne se définissent pas comme militant syndicaux. Nous sommes ici dans le cadre d’une sorte de syndicalisme citoyen et associatif, ouvert, solidaire, indépendant et pragmatique.

Bousculant les pratiques et les placements sociaux institués, la représentation politique de la F.A.G.E. dépasse le rôle assistanciel auparavant dévolu aux associations. L’hégémonie des syndicats et partis politiques en matière de représentation des individus et de contestation sociale s’effrite, pour laisser une place plus conséquente au mouvement associatif. En instituant par la force de l’exemple cette nouvelle modalité d’action politique, le mouvement associatif étudiant ne peut qu’impacter les formes des engagements des individus dans le monde social.

A l’image des associations de terrain qu’elle fédère, la F.A.G.E. participe activement à l’animation de la vie étudiante, en offrant toute une gamme de services matériels. Elle organise en son nom propre des manifestations culturelles et festives, met en œuvre des projets civiques et de solidarité, …

Elle s’ouvre enfin à des prises de positions sur des questions internationales telles que la guerre en Irak, ou le commerce équitable, … Ces dernières participent d’une vision humaniste de la société, très clairement hors du champ de la politique nationale. Par ce positionnement, elle place en quelque sorte les étudiants comme une sorte de conscience au monde, pour ne pas dire une conscience du monde. Pour reprendre les termes d’Isabelle Sommier, elle participe, à l’instar d’autres organisations du secteur sans but lucratif et des nouveaux mouvements sociaux, de la construction d’une « Internationale civile » ( 333 ). A ce titre, le mouvement associatif étudiant participe activement à la construction des formes à venir de l’engagement collectif des individus dans le monde social. Mais c’est dans la complémentation de toutes ces activités politiques que la F.A.G.E. et le réseau associatif étudiant tirent leur originalité, et préfigurent potentiellement des formes d’organisations et d’engagements des individus dans le collectif à venir (cf. graphique n°40).

Graphique n°40 : le positionnement politique des fédérations d’associations étudiantes, à la croisée des chemins de la seconde modernité.
Graphique n°40 : le positionnement politique des fédérations d’associations étudiantes, à la croisée des chemins de la seconde modernité.
Notes
332.

( ) PADIS Marc-Olivier, Les vingt-trente ans : une cartographie politique, note de la fondation Saint Simon, juillet 1999, citée dans le hors série n°1 du « Décisions Etudiantes », novembre 1999.

333.

( ) SOMMIER Isabelle, Le renouveau des mouvements contestataires, Champs, Flammarion, 2003.