II-C) La participation des associations étudiantes à l’émergence du « sujet ».

II-C-1) Une complémentarité forte entre passion et raison.

Dans le cadre de la construction nouvelle de l’individu, ce dernier cherche désormais à concilier, plus qu’auparavant, ses passions avec sa trajectoire de vie, visant à la construction d’une cohérence entre ces deux dynamiques. Pour autant, il n’est pas possible de résumer cette attitude à une succession de choix rationnels, fait par des individus an-historiques. Ces derniers mettent en oeuvre des choix raisonnés, comme guide de construction de leur militantisme. Ces choix prennent dans le même temps, et ceci de manière non contradictoire, une dimension passionnelle, affective presque dans certains cas. ll n'est qu'à, à ce titre, observer les motivations de l'engagement, telles qu'a pu le mettre en évidence Valérie Becquet (cf. graphique n°41).

Graphique n°41 : les motivations de l’engagement.
Graphique n°41 : les motivations de l’engagement.

Source : BECQUET Valérie, in « Factuel, la Revue », n°2, Janvier 1998, p 33.

Comme l’expose le graphique suivant, les dimensions passionnelles et affectives (thème qui me passionne, faire preuve de solidarité) constituent des facteurs prégnants de l’engagement associatif chez les étudiants. Pour près de la moitié des enquêtés (49 %), l’exercice associatif permet de « s’adonner à une passion ». Ainsi, Alexandra Papeloff : « On ne comptait pas notre temps, on restait des heures, on était passionnés. La fibre associative, on l’a ou on ne l’a pas » ( 339 ). Dans le même temps, il convient de relativiser les réponses du type « Compléter ma formation », qui doivent plus s’entrevoir comme une constatation que comme une motivation ( 340 ). L'engagement étudiant prend donc une forme de type passionnel.

Le rêve, l’utopie, marquent toujours fortement la construction des actions menées par les bénévoles. Ils servent de guides et de moteurs aux initiatives développées. Ainsi, Sylvain, ancien président de la F.E.D.E.L. : « A titre individuel aussi, pour tout ceux qui se sont investis un tant soit peu dans un projet, le bénéfice existe : celui d'avoir testé en vrai grandeur un rêve, une idée, d'avoir vécu une expérience sans vrai risque, si ce n'est celui de réussir ! ». Ou encore Annabel de la F.E.D.E.L., « … notre véritable motivation réside dans la réalisation de grands projets ». De même pour Charlotte « mon entrée dans une association étudiante m’a permis de concrétiser mes envies et mes projets. … Etudier devient alors un vrai plaisir » ( 341 ). Cette utopie n’est pas exempte de grands sentiments humains et d’abnégation, comme le montre notamment le discours de Catherine, ancienne présidente de la F.E.D.E.L. : « Nous étions tous étudiants, nous les défendions avec plaisir, rage parfois mais toujours avec sincérité. »

Mais cette utopie ne s’incarne plus dans une transformation radicale de la société. En fait, les modèles d’utopies de la première modernité, visant à une émancipation de la société, sont désormais inusités : il n’est ainsi fait aucune référence ni à la Charte de Grenoble sensée guider les étudiants vers des lendemains meilleurs, ni à tout autre guide conceptuel d’action. L’action ne s’accompagne d’aucun discours transformatif sur l’avenir, pas plus pour les associations de terrain qu’au sein des plus grosses organisations comme la F.A.G.E. L’engagement s’opère dans une démarche pragmatique de réalisations concrètes. Les associations étudiantes s’inscrivent totalement dans la dynamique de troisième sécularisation des utopies. On pourra parler d’engagement passionnel raisonné, forme particulière de l’engagement distancié. A ce titre, elles participent activement aux transformations des modes d’engagement à l’œuvre dans l’ensemble de la société.

En outre, si les étudiants sont désormais pleinement conscients des problématiques sociales liées à l’avènement de la seconde modernité, s’ils sont prêts à s’investir dans le cadre d’une association, d’une O.N.G. pour 57 % d’entre eux ( 342 ), leur investissement réel ne s’oriente pas uniquement en direction des grandes causes. Les étudiants privilégient aussi l’action locale, le soutien scolaire, l’aide aux chômeurs, c’est-à-dire des actions de proximité et d’urgence. L’idéalisme qui guide l’action laisse donc place à des modalités d’actions pragmatiques, privilégiant le quotidien et le local, dans un but d’efficacité immédiate et visible. L’agir associatif étudiant participe en cela totalement de la construction des nouvelles modalités d’engagement collectif des individus dans le monde social.

Notes
339.

( ) PAPELOFF Alexandra, Secrétaire Générale adjointe de la F.A.G.E. 1998-2000, Décisions Etudiantes n°88, Novembre 2004, p 3.

340.

( ) En effet, comme l'énonce Valérie Becquet, « concernant cette dernière, on peut supposer que les 45% des étudiants l'ayant citée font davantage un constat et qu'il s'agit donc d'une motivation a posteriori. En effet, peu d'étudiants savaient, en arrivant dans l'Enseignement Supérieur, que leur formation nécessiterait un apport annexe de savoirs, et surtout qu'ils seraient susceptibles de le trouver au sein d'une association ». BECQUET Valérie, in « Factuel, la Revue » n°2, Janvier 1998,
p 33.

341.

( ) MOUGEL Jean-Baptiste, Qu’est ce que la F.A.G.E. ?, Editions Archipel, octobre 2003, p 73.

342.

( ) Enquête réalisée par la SOFRES en 2000, sur la population jeune de 18 à 25 ans, citée dans le Décisions Etudiantes n°65, mars 2002, p 4.