La recherche d’une cohérence entre engagement associatif et construction personnelle de l’individu :

A la différence des modalités d’agirs collectifs antérieurs, les bénévoles associatifs étudiants d’aujourd’hui cherchent désormais à faire émerger une cohérence entre leur engagement politique, associatif, et leur parcours personnel, à l’instar de ce que relève notamment Wievorka dans l’ouvrage commun « Raison et conviction, l’engagement » ( 343 ). Désormais, le bénévole souhaite contrôler la forme de son engagement, sa durée, … C’est ce que nous avons pu voir précédemment avec le développement des pratiques informelles dans la gestion du temps, qui autorisent dès lors le bénévole à n’avoir des comptes à rendre qu’à lui-même.

Mais outre cet aspect, l’individu qui s’engage ambitionne de tirer un bénéfice personnel de son engagement. Ce dernier doit lui servir, lui être utile au sens pragmatique du terme et non utilitariste : il s’intègre dans la construction individuelle du sujet. C’est en ce sens que se comprennent les propos de Sylvain, ancien président de la F.E.D.E.L. : « Quel génial complément à la formation parfois très théorique des amphithéâtres afin de se lancer dans la " vraie " vie, de prendre des responsabilités et de développer sa confiance en soi et dans les autres. Car au bout du compte, que l'on fasse un bide ou un super " bénèf ", dans tous les cas, on a toujours tenté et souvent réussi une aventure humaine d'où ressort la convivialité et l'amitié au sein d'une équipe ». L’expérience associative étudiante s’envisage comme une expérience de vie permettant tant de compléter sa formation que de développer sa confiance en soi. Cette analyse retraduit la perspective d’une insertion de l’expérience associative dans la construction d’un parcours personnel tant professionnel que psychologique. Par la distanciation des expériences personnelles communautaires et celles du monde des techniques et du commerce, le sujet se construit. Ce faisant, le mouvement associatif étudiant institue le changement, disposant de ce fait d’un rôle dynamique décisif dans les transformations des modes d’engagement des individus dans le monde social.

Cette dynamique d’apprentissage par l’expérience associative se lit aussi au travers d’articles de journaux étudiants, dont le « Décisions Etudiantes », journal de la F.A.G.E. Ainsi, dès le n°5 (février 1995) apparaît une rubrique nouvelle, « Y-a-t-il une vie après l’associatif ? », avec dans ce numéro l’interview d’un responsable d’une société de recrutement. On retrouve cette pratique dans l’édito du n°8 (mai 1995), consacré à la « vente » de l’expérience associative. La description d’un lien entre expérience associative et expérience professionnelle croît au fil des années, les numéros des années 2002 se concluant par exemple toujours avec l’interview sur une pleine page d’un ancien responsable associatif étudiant. Sous une forme ou une autre, revient invariablement la question de la réappropriation de l’expérience associative étudiante dans le parcours professionnel et personnel de la personne. La réponse étant généralement positive, elle contribue à renforcer l’idée d’un fil conducteur important entre expérience associative étudiante et insertion professionnelle. Ainsi, cette phrase d’un ancien : « Il n’y a que l’expérience qui forme réellement, autant dans le domaine associatif que professionnel, et l’un apporte toujours quelque chose à l’autre » ( 344 ). Ou encore cette analyse : « Selon moi, un engagement associatif ne doit pas s’effectuer en fonction d’un futur calcul en terme de carrière. Cela dit, il est évident que des expériences associatives sont un atout dans un C.V. et qu’il faut les valoriser. Dans mon cas, cela m’a aidé à trouver du travail » ( 345 ). Si l’on ne peut donc réduire l’expérience associative étudiante et l’engagement bénévole de cette population à un utilitarisme calculateur qui tairait son nom, il existe bien un lien pensé entre expérience bénévole et pratique professionnelle, la seconde s’inscrivant comme une suite de la première.

Cette compréhension de l’engagement associatif par les bénévoles étudiants ouvre la voie à des postures nouvelles pour les engagements des individus dans le monde social, fondées sur une réutilisation positive des apprentissages bénévoles dans le cadre des pratiques professionnelles. Personnellement militant engagé au sein de Max Havelaar sur des thématiques de commerce équitable, je profite des connaissances que j’ai acquises dans ce domaine pour transformer les pratiques de l’établissement que je gère : mise en place de projets d’équipes avec les personnels T.O.S.S. sur les repas servis au sein de notre demi-pension, avec mon équipe administrative sur de la recherche documentaire, interventions de professionnels du commerce équitable auprès des élèves et des enseignants, … L’acte militant se confond alors avec l’utilisation des apprentissages issus du bénévolat à des fins professionnelles, sans que l’on puisse vraiment définir laquelle des deux facettes de la problématique dispose d’un ascendant sur l’autre. Ces pratiques nouvelles laissent à penser un changement de regard sur l’investissement bénévole des individus dans le monde social, faisant apparaître un lien transitif plus fort entre expériences militantes et pratiques professionnelles. La pratique militante influence donc aussi les formes de l’engagement des individus dans le monde du travail.

Cette recherche par les bénévoles d’un apport concret, utile à la construction de leur identité, s’observe aussi au travers des attentes nouvelles qu’ils expriment en matière de formations. Celles-ci se concentrent dans une très large mesure sur les domaines du droit et de la comptabilité, et plus largement sur les points techniques réutilisables professionnellement (cf. graphique n°42).

Comme le montre le graphique ci-dessous, les bénévoles plébiscitent les connaissances supplémentaires sur des domaines permettant une véritable réutilisation professionnelle (comptabilité, connaissances juridiques, connaissance des médias, montage de projets et recherche de partenaires). Cette tendance se confirme à la lecture des numéros successifs du « Décisions Etudiantes ». Ainsi, le n°1 (septembre 1994) fait le point sur la S.A.C.E.M. et les obligations légales afférentes aux soirées étudiantes en matière de musique.
Le n°2 (octobre 1994) fait un point sur la loi 1901, avec une ½ page d’explications, tandis que le n°58 de mai 2001 revient dans un article de trois pages intitulé « Les assos dans la balance » sur les différents éléments juridiques à connaître pour une association : la responsabilité de l’association et de ses membres, les assurances nécessaires, la sécurité et la prévention. Le n°80 (novembre 2003) traitera pour sa part du rapport des associations avec le droit, … au travers d’un dossier de quatre pleines pages. Les exemples pourraient être multipliés
à l’envie ( 346 ).

A contrario, les connaissances relatives à la connaissance des institutions universitaires ne rencontrent que peu de succès lors des sessions de formation, comme au niveau des besoins exprimés (cf. graphique n°42). Dans une large majorité des cas, seuls les élus étudiants au sein des conseils d’universités, de C.R.O.U.S., suivront ce type de formation. Or, de toutes les formations proposées, il s’agit de la seule ayant une dimension politique, perspectiviste, non immédiatement pratique.

Ainsi, par les choix de formation qu’ils font, les nouveaux responsables associatifs étudiants complètent la dimension passionnelle de leur action par un corpus de savoirs pratiques, participant de ce fait totalement de l’abandon des utopies de la première modernité comme guide de l’action. Ces nouvelles modalités d’agir collectif chez les étudiants tendent à faire émerger une forme passionnelle raisonnée de l’engagement, poussant plus loin le modèle de l’engagement distancié dont il s’inspire fortement. La place du travail y occupe une place plus importante, tout en s’appuyant sur le fait que ce dernier n’est qu’un élément parmi d’autres de la construction de la personne. En fait, c’est la forme même du travail qui évolue, intégrant peu à peu l’expérience bénévole et son caractère transformatif du social. Le secteur associatif étudiant se fait ici innovateur et précurseur dans les formes de l’action sociale et solidaire de demain, par son action d’institutionnalisation de ces transformations.

Graphique n°42 : dans quels domaines êtes-vous conscient d’avoir des lacunes ?
Graphique n°42 : dans quels domaines êtes-vous conscient d’avoir des lacunes ?

Source : enquête propre. Le nombre de citations est supérieur au nombre d’observations du fait de réponses multiples (10 au maximum).

Notes
343.

( ) WIEVORKA Michel et alii, op. cité.

344.

( ) Décisions Etudiantes n°65, mars 2002, p 15.

345.

( ) Décisions Etudiantes n°62, décembre 2001.

346.

( ) La prégnance des éléments techniques s’observe dans les journaux étudiants de façon plus anecdotique par la comparaison des types d’articles qui les composent selon les époques. Tandis que les journaux étudiants des années Vingt et Trente faisaient la part belle aux récits, poèmes et autres tentatives écrivaines, ceux des années 60 aux questions politiques, les journaux actuels se concentrent sur des problématiques pratiques et techniques. Ils sont en cela révélateur des changements sociétaux et des transformations des formes de l’engagement collectif des individus.