Les similitudes/divergences avec les autres organisations du monde social :

Le monde associatif étudiant montre de manière exacerbée la forte volonté pour l’individu de concilier désormais ses passions avec sa trajectoire de vie. Celle-ci se traduit par la recherche de construction d’un lien et d’une cohérence entre les deux facettes de l’individu que sont la dimension rationnelle et la dimension passionnelle. Les projets et les engagements étudiants prennent la forme d’un engagement passionnel raisonné, qui rejoint peu ou prou l’engagement distancié de Jacques Ion.

Un peu à l’instar de ce que l’on peut observer sur l’ensemble du monde social, on note sur le monde étudiant une persistance du rêve et de l’utopie dans la construction des engagements. La différence s’opère sur la portée de l’utopie : sur le monde étudiant, l’agir associatif est une expérience concrète de la réalisation d’un rêve par une construction personnelle. Si l’on y retrouve le plus souvent la présence d’une volonté humaniste, les réalisations étudiantes ne comportent pas d’ambition de transformation radicale de la société. Sur le monde social, la réalisation d’actions pragmatiques reste en revanche le plus souvent adjointe à une pensée utopique de transformation sociale.

Cette dimension utopique se couple sur le milieu étudiant d’une volonté de contrôle par l’individu de ses formes d’engagements. Désormais, la participation de l’individu au collectif se construit dans la recherche d’une cohérence entre parcours associatif et parcours personnel, entre vie privée et vie publique. L’expérience associative vécue prend place dans la construction du sujet comme une expérience de construction de soi. Il s’ensuit par incidence une volonté marquée de réutilisation des apprentissages associatifs dans le monde professionnel. L’expérience associative n’est alors pas seulement une
pré-expérience professionnelle, elle est aussi le lieu d’expérimentation de nouvelles pratiques qui réapparaîtront sur le monde professionnel et social quelques années plus tard.

De fait, les formations souhaitées par les bénévoles étudiants se concentrent surtout sur des apprentissages de pratiques nouvelles, et nettement moins sur des enseignements d’ordre politique ou perspectiviste. Les utopies n’ont de pertinence que dans leurs applications immédiatement retranscriptibles pour des réalisations concrètes.

Sur le monde étudiant, la dimension festive se généralise et s’intègre à la construction du nouvel individualisme. En premier lieu parce que la fête constitue un moment social de mise en scène de soi. Mais celle-ci devient aussi élément participatif de la révolte sociale. A l‘instar de ce qu’il est possible d’observer sur l’ensemble du monde social, cette dimension n’est plus uniquement un exutoire pour l’individu, elle est aussi un outil d’expression de sa contestation sociale.

Sur le monde social, cette dernière se transforme, pour intégrer de manière plus forte la mise en scène de soi. Par le biais de témoignages, d’expositions de soi où parfois tout le corps est mobilisé, chaque individualité se pose désormais comme un atout, et moins comme un obstacle à la mobilisation collective. L’exposition du je devient une ressource nouvelle pour le collectif, dynamique renforcée par la médiatisation des témoignages. Le déclin du modèle du militant se conjugue dès lors avec un accroissement de la subjectivité.

Cette posture nouvelle visible sur l’ensemble du monde social heurte de plein fouet les pratiques héritées. Auparavant, il existait une cohérence affective entre l’engagement public et la vie privée de l’individu : les réseaux collectifs dans lesquels évoluait ce dernier comportaient aussi d’autres membres de sa famille, des voisins, son cercle de socialité primaire. Les qualités personnelles de l’individu étaient déniées au profit de l’identité collective. Désormais, le primat de l’expérience personnelle succède à celui de la filiation. Sur cette thématique, le monde associatif étudiant dispose d’une antériorité certaine, l’éclatement des origines géographiques des étudiants et des responsables associatifs étant une donnée suffisante pour générer un brassage des socialités. Le recrutement des élites associatives étudiantes s’opère ainsi depuis de nombreuses années déjà sur une base de reconnaissance des individus et de leurs compétences propres. S’observe donc ici encore la capacité instituante de l’agir associatif étudiant, qui par son action transforme les modalités des engagements collectifs des individus dans le monde social. La capacité transitive de l’agir associatif étudiant s’en trouve elle aussi de fait fortement révélée.

La figure de l’engagement distancié sur le monde étudiant constitue une fois encore une posture inédite par rapport aux modes d’engagements collectifs des individus sur le monde social. L’importance prise par l’informel dans les engagements étudiants, leur affranchissement et leur indépendance à l’égard de toute contrainte bureaucratique ou administrative, en font des archétypes, dont les postures actuelles potentiellement « excessives » risquent fort de devenir habituelles sur l’ensemble du monde social dans les années à venir.

A contrario, le nous garde encore une dimension importante, notamment dans ses aspects festifs. Le temps de l‘engagement ne décline pas et reste très élevé, de même que la dimension de convivialité et de partage entre les membres. La dimension communautaire garde encore de forts ancrages sur le milieu associatif étudiant, tout en s’adjoignant de très fortes libéralités en matière de gestion des contraintes formelles. Formulation inattendue, cette configuration de l’engagement collectif des individus dispose de certaines chances pour s’imposer peu à peu comme modalité principale sur le monde social, compte tenu de sa capacité à faire se rejoindre vie publique et vie privée, partage et indépendance.