II-C-3) De la participation à la construction du Sujet.

Les dynamiques de transformation des modalités de l’action associative étudiante vont être à la fois des retranscriptions en même temps que des forces de transformation de l’individu et des acteurs du social en Sujet. Bricoleurs permanents de montages instables visant à concilier dans leurs pratiques à la fois l’économie de masse et la culture de l’individu, actrices de la reconnaissance de l’Autre, responsabilisatrices des individus et des bénévoles qui les composent, les associations étudiantes sont en totale cohérence avec l’idée tourainienne du nouvel individu de la seconde modernité. En tant qu’acteur du social, mais aussi en tant qu’école de formation ( 355 ), l’association étudiante joue donc un double rôle dans la construction de ce dernier. Dans le même temps, les militants qui la composent sont eux-mêmes producteurs de sens, d’actions qui tracent les lignes du sujet de demain.

Ce croisement des rôles, ainsi que la participation de ces deux acteurs à la construction du Sujet s’observe notamment au travers de la Charte des Associations, mise en œuvre et rédigée au sein du réseau F.A.G.E. en 1997. Si le préambule s’inspire à l’évidence de l’esprit de la Charte de Grenoble
(« les étudiants incarnent les forces vives et les énergies créatrices de demain. Ils mettent
leurs connaissances au profit de leur entourage et les partagent », préambule de la déclaration des associations), l’accent est cependant rapidement mis à la fois sur la diversité reconnue des étudiants (la déclaration des associations parlent « des étudiants », tandis que la Charte de Grenoble ne reconnaît pour sa part que « l’étudiant »). En outre, par cette déclaration, nous sommes moins dans la définition d’un individu particulier que dans l’exposé des outils et des moyens nécessaires à la construction du Sujet.

En effet, si les six articles s’attachent bien à définir le rôle et les valeurs qui animent les associations étudiantes, ils définissent en même temps de manière implicite le profil des bénévoles qui les animent. Dans les deux cas, la définition posée n’est pas sans s’approcher du Sujet tourainien. En effet, « les associations étudiantes sont les outils légitimes des étudiants, qui peuvent y réaliser leurs passions et leur projet » (article 1). On retrouve ici couplées la dimension passionnelle et la dimension rationnelle, dualité complémentaire et antagoniste nécessaire à la construction du Sujet. Dans le même sens, « les associations étudiantes développent la différence, le brassage culturel, la tolérance, l’esprit solidaire et communautaire. Elles sont un lieu d’accueil, de découverte, d’ouverture de l’esprit, d’échange et de travail indispensable. Elles rassemblent les structures, personnes, idées et énergies et s’opposent à toute forme d’exclusion » (article 3 : l’intégration). Se retrouvent ici mis en musique par les militants associatifs étudiants les dimensions d’ouverture vers l’Autre, la conciliation du communautarisme et du travail, l’ouverture culturelle, toutes ces dynamiques que Touraine définit comme constitutives de l’émergence du Sujet.

Dans le même temps, le rapport au marché se fait selon un process à la fois participatif et distant, à l’instar de ce que définit Touraine pour le Sujet. Ainsi, dans son article 5 intitulé l’indépendance, la Charte des associations étudiantes précise qu’« aucune structure politique, socio-économique ou religieuse ne doit disposer de relais ou de moyens de pression pour orienter ou infléchir leurs choix. Elles agissent en partenaires » (cf. annexe n°3 – La déclaration des associations). Acteurs de chaque instant pour construire de fragiles équilibres entre communautarisme et poids du marché, les associations étudiantes critiquent dans leur discours tout autant la soumission au pouvoir et à l’argent que celle à la force de la communauté affective.

A l’instar du Sujet, les militants et les organisations associatives étudiantes s’inscrivent donc dans un rapport de refus de toute contrainte, de tout cadre surplombant, qui limiterait l’autonomie et la liberté de l’individu. La passion individuelle sert alors de moteur aux individus dans la réalisation de projets collectifs. Ainsi, pour Jean-Baptiste Mougel, président de la F.A.G.E. entre 2001 et 2003 : « tout est dur à la F.A.G.E., mais la passion dépasse toutes les frontières, déplace toutes les montagnes. Nous ne sommes pas enfermés dans un système. Quand quelqu’un a une idée, il la réalise » ( 356 ). Les bénévoles étudiants se placent dans un rapport distancié à ces deux pôles d’attraction, seule possibilité permettant de faire émerger la communication entre sujets différents, et une mise en acte des principes de justice et d’acceptation de l’autre qui les guide. Comme le précise à ce titre Touraine, « le Sujet, plus encore que raison, est liberté, libération, refus » ( 357 ). Conscience de soi et conscience de l’autre se construisent ainsi au travers de l’acceptation / refus des deux pôles que sont le monde des techniques et du commerce et celui de l’identité communautaire. Par cet apprentissage, les bénévoles étudiants transforment leurs engagements futurs dans le monde social, et par voie de diffusion, celui des autres sujets qu’ils côtoient.

Notes
355.

( ) LICHET Thierry, op. cité.

356.

( ) MOUGEL Jean-Baptiste, Décisions Etudiantes n°88, novembre 2004, p 4.

357.

( ) TOURAINE Alain, Pourrons nous vivre ensemble ?, p 104.