Vers la naissance d’un individu plus responsable professionnellement :

Comme le développe Sainsaulieu, « une analyse socio-économique du travail en milieu associatif met en évidence des demandes d'implication, d'initiatives, de communication et de savoir-faire que l'organisation adresse à ses
membres
 » ( 358 ). Ainsi, au sein d'une structure associative, l'étudiant apprend peu à peu à connaître le milieu économique par les responsabilités en termes de gestion qui lui sont confiées au fur et à mesure de son implication militante. Cette implication forge peu à peu une identité, une personnalité, et oblige le militant à apprendre à s'autonomiser dans son travail, à communiquer. Il apprend, par ce biais, l'importance et la richesse potentielle du relationnel entre les acteurs.

C'est ce que le Ministre Bayrou, lors de la clôture des Etats Généraux de l’Université de 1996, et après consultation de la C.P.U. (Conférence des Présidents d'Universités) et des organismes professionnels, a exprimé en ces termes : « L'engagement des étudiants (...) est une excellente introduction à la vie professionnelle et civique ». Par l'apprentissage que fait le militant dans son association, il développe donc cette dynamique sur le plan personnel, avant de retraduire cet apprentissage en terme professionnel.

Cette perspective est du reste en total accord avec les analyses menées par ailleurs par Gorz. Selon ce dernier en effet, le travail ne devient une activité autonome que :

  • s’il est auto-organisé dans son déroulement ;
  • s’il propose une libre poursuite d’un but qu’il s’est lui-même donné ;
  • s’il est humainement épanouissant pour la personne qui s’y livre.

Il remarque en outre que seul le fait de pouvoir influer sur le caractère final du produit donne son caractère autonome à un travail : la spécialisation requise, la compétence technique ne suffisent pas.

Dès lors, l’activité associative étudiante, en offrant toutes ces caractéristiques et toutes ces potentialités, est une activité pleinement autonome. Elle offre en effet aux étudiants qui s’y investissent la possibilité de poursuivre le but qu’ils se sont eux-mêmes donnés, ainsi que d’organiser comme bon leur semble leur activité. Elle est surtout un facteur d’épanouissement personnel important. Ainsi, par exemple, Bruno, ancien trésorier de la F.E.D.E.L. : « Le bénévolat, ce n'est pas juste comme cela, pour faire bien sur un C.V., c'est avant tout la conviction de pouvoir apporter une petite pierre à ce grand édifice. Quelle satisfaction de savoir que l'on apporte des services, des animations et du soutien à l'ensemble des étudiants. Pour ma part ce que je retiens le plus de cette expérience, c'est le contact humain. Le troll était sorti de sa caverne pour découvrir un nouveau monde. Les échanges avec des personnes de tous les horizons ont modifié ma façon de penser. …. La FEDEL a été une formidable école de socialisation, d'échanges, où tous les jours il fallait relever un nouveau défi » ( 359 ). Ou encore Catherine, première présidente de la F.E.D.E.L. : « Les expériences ont été multiples, bonnes ou mauvaises elles représentent toutes un enrichissement de valeur ». Ainsi, l’expérience associative étudiante contribue fortement à construire des individus plus épanouis et responsables d’eux-mêmes comme de leurs actions, participant activement à la construction d’un individu autonome et responsable.

Or, cette autonomie, cette identité, ainsi que toutes les facultés de création, la potentialité d'être une force de proposition et d'impulsion, sont des facteurs de plus en plus recherchés par le monde professionnel. Lors des sessions de recrutement des grandes entreprises, il n'est pas rare de voir le savoir-être prendre le pas sur le savoir ou le savoir-faire dans les critères de sélection.

Cette plus grande responsabilisation professionnelle des bénévoles associatifs étudiants se donne à voir au travers des choix fait par ces derniers concernant leur premier emploi. Comme le montre en effet le tableau ci-dessous (cf. graphique n°44), la population militante a plus propension à rester dans sa première entreprise d'embauche que le reste de la population.

Graphique n°44 : le devenir professionnel des bénévoles associatifs étudiants
Graphique n°44 : le devenir professionnel des bénévoles associatifs étudiants

Source : LICHET Thierry, Le mouvement associatif comme acteur du développement local.

Si l'on corrèle cette première approche de la question avec les raisons effectives de départ lorsque les anciens étudiants changent d’entreprise, il est alors possible d'observer que les raisons liées à une fin de contrat ou à un licenciement représentent un poids plus faible pour la population militante
(cf. graphique n°45).

Graphique n°45 : les raisons du départ
Graphique n°45 : les raisons du départ

Source : LICHET Thierry, op. cité. Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 849 citations, une partie des non réponses ayant été exclues.

Comme le montre le tableau ci-dessus, le taux de non-réponses à cette question est beaucoup plus important pour les étudiants anciens membres d’associations que pour les autres, indiquant de fait la moindre propension des premiers à quitter leur entreprise ou à être licenciés.

Ces résultats sont corroborés par les travaux effectués par Beate Collet sur les jeunes et la citoyenneté, qui confirment le rôle fortement positif de l’actionassociative étudiante dans l’insertion professionnelle des étudiants. Ainsi, comme le montre le graphique n°46, la durée de chômage des étudiants bénévoles dans le cadre de leur recherche d’emploi est beaucoup plus faible que celle des étudiants non bénévoles.

Graphique n°46 : comparaison de la durée de chômage des étudiants au sortir de leurs études, selon qu’ils ont été bénévoles ou non.
Graphique n°46 : comparaison de la durée de chômage des étudiants au sortir de leurs études, selon qu’ils ont été bénévoles ou non.

Tableau % lignes. Source : COLLET Beate & MALLON Isabelle, Jeunes et citoyenneté, Université Lyon II, 2004.

De toute évidence, les étudiants bénévoles réussissent plus rapidement leur insertion professionnelle, confirmant le rôle fortement positif des associations étudiantes dans l’insertion professionnelle des jeunes.

Deux explications peuvent être proposées pour expliquer une telle différence :

  • Les militants associatifs ont plus souvent propension à trouver, lors de leurs embauches, des entreprises qui, sur cinq années au moins (période écoulée entre la date de sortie des études et la date de réalisation de l’enquête support), ne vont pas connaître de difficultés pouvant remettre en cause le développement de leur activité.
  • Les militants associatifs au sein des entreprises ont une action telle qu'elle influe sur le développement de l'entreprise, diminuant ses potentialités de pertes d'activités.

Si l'on exclue la première solution, qui placerait les militants associatifs en devins de l'économie, force est alors de constater l'action prégnante de ces derniers dans le développement économique de leur entreprise. Cette action est du reste reconnue, et par là même institutionnalisée par les entreprises, qui vont tout à la fois recruter plus facilement des militants associatifs, les payer mieux, leur confier plus rapidement des responsabilités, et donc tenter de les conserver le plus longtemps possible dans leurs services, comme facteurs de développement de l'activité.

Cette reconnaissance par le monde de l'entreprise de l'action associative place résolument celle-ci comme facteur de développement des individus, et les associations étudiantes à la fois comme école de formation, et comme première expérience professionnelle. Le secteur associatif étudiant est ainsi fortement acteur dans la construction d’un individu plus responsable professionnellement. L’engagement associatif étudiant impacte donc aussi les modalités de l’engagement des individus dans la société de manière plus globale.

Cette responsabilisation professionnelle des bénévoles passés par l’expérience associative étudiante ressort du reste fortement de l’ensemble des discours des « anciens ». Sans revenir sur les exemples nombreux déjà cités au cours des pages qui précèdent, l’expérience associative étudiante va être le moment d’un apprentissage fort quel que soit le parcours associatif suivi. Ainsi, pour Guillaume Krabal, ancien membre du B.D.E. Sup. de Co de la Rochelle et ancien président de l’A.E.R. (Association des Etudiants de la Rochelle), l’expérience associative permet notamment : « la prise de parole en public et la conduite de réunion, une meilleure connaissance des hommes et de leurs réactions, et une facilité d’adaptation et d’organisation » ( 360 ). Tous ces éléments retraduisent aisément le haut niveau de responsabilisation, notamment professionnelle, dont l’expérience associative peut être la source. Elle s’inscrit totalement dans la dynamique sociale plus générale de responsabilisation des individus qui s’installe sur l’ensemble de la société. L’impact de l’expérience associative sur les modalités de l’engagement des individus sur le monde est donc là encore très prégnant.

Notes
358.

( ) SAINSAULIEU Renaud & LAVILLE Jean Louis, op. cité.

359.

( ) http://www.fedel.net.

360.

( ) Décisions Etudiantes n°63, janvier 2002, p15.