De nouveaux rapports à l’environnement :

Si la première et surtout la deuxième révolution industrielle ont fait voler en éclat la toute puissance de la socialité primaire (famille, religion, ...), et vu l'expansion de la socialité secondaire (relations, amis, ...), les transformations des formes de l’engagement collectif des étudiants semblent générer les prémisses d'une notion de l'homme élément et constitutif de l'humanité dans son ensemble. Sans doute cette nouvelle socialité est-elle en train de s'adosser aux deux précédentes, et l'on pourrait alors parler de socialité tertiaire qui prendrait en compte le cercle élargi de l'ensemble humain de la planète.

Cette dimension nouvelle s'observe aussi dans le développement des associations, mouvements citoyens, axés sur les droits de l'homme, l'environnement, ... Ce que l'on pourrait d'une certaine manière dénommer une méta-conscience sociale vient influer, mettre en oeuvre des dynamiques d'actions nouvelles dans lesquelles vont pouvoir se retrouver individualité et collectif. Le lien entre ces deux notions a priori fortement éloignées se fait alors par la responsabilisation des individus comme corollaire du développement du Je. Cette responsabilisation signifie à la fois prise de recul, distanciation, c’est-à-dire quelque part rationalisation du Je dans son rapport au Nous.

Cette conscience nouvelle du monde s’accompagne d’une plus grande prise en compte de tous les éléments vivants de la planète par les étudiants. A ce titre, les associations étudiantes se mobilisent fortement en faveur des dynamiques écologiques. La place de ces dernières et leur importance pour le mouvement associatif étudiant sont notamment explicitées dans l’édito du n°59 de « Décisions Etudiantes ». En effet, selon Stephen Cazade, alors président de la F.A.G.E., « si les questions écologiques prennent une importance grandissante dans notre société, c’est surtout notre génération qui commencera à payer le note des dégâts environnementaux causés par les comportements passés et actuels. Les assos étudiantes sont le meilleur outil pour relayer ces préoccupations et agir » ( 378 ).

Bien que l’implication du mouvement associatif étudiant dans ces dynamiques soit relativement récente, datant du début des années quatre-vingt-dix, la vitalité de ce dernier compense le peu d’antériorité. Ainsi, moins d’une dizaine d’années après les premières créations d’associations de ce type, une fédération nationale « Etudiants & Développement » est créée. Cette dernière se donne à charge de tisser un réseau solide et dense des associations oeuvrant dans ce domaine, à des fins de mutualisation d’expériences et de formations des responsables d’associations. Il n’existe pas à ce jour de structure équivalente sur la société civile dans son ensemble.

Signe de l’importance de cette prise de conscience, ces questions transforment jusqu’aux modes d’actions spécifiques du milieu étudiant. Les « bizutages » et l’accueil des nouveaux entrants sont réorientés au profit d’activités écologiques comme le désherbage d’une forêt, la dépollution d’une plage, nettoyage de lieux publics, quant ils auraient pu l’être sur d’autres domaines. Le n°52 de « Décisions Etudiantes » présente à ce titre longuement l’association Impact 83 et son bizutage écologique, mettant en avant ces nouvelles pratiques à valeur d’exemplarité.

Ces thématiques sont aussi source de création d’actions au cours de l’année. Ainsi, le bureau des Arts et Métiers de Lyon réalise une « Nuit de la récup’ », intitulée « Lézards Nocturnes ». Celle-ci se composait par exemple en 2002 d’un tremplin rock, d’un défilé de mode alternatif, avec dans le même temps, un espace de création à partir de ferraille, plastique, carton, matériel électronique, … Cette soirée permet de « sensibiliser le public au recyclage et donner à un événement festif un caractère écologique majeur » ( 379 ). L’association Vera Cruz de Toulouse permet une découverte de la nature environnante, et gère un sentier nature dans le campus ; l’association Ar Vuez de Rennes s’est créée pour sa part pour agir lors de la catastrophe de l’Erika ; des initiatives diverses émergent ça et là, visant à mettre en place des actions de covoiturage, ou des incitations au tri sélectif comme l’association « Vive la trottinette » qui a réussi à imposer le tri sélectif sur l’Université de Jussieu. Nous sommes ici dans une véritable mise en acte de la prise de conscience sociétale mise en évidence par Elias comme par Beck sur la nécessité d’entrevoir désormais son existence comme élément d’une dynamique plus globale, celle du devenir de la planète. L’agir associatif étudiant institutionnalise progressivement, par son action, cette nouvelle posture citoyenne.

En même temps, cette nouvelle conscience sociale trouve comme corollaire et comme base l'émergence d'une confiance nouvelle entre individus. Cette confiance, basée sur des dimensions éthiques, crée en définitive le liant nouveau entre individu et collectif. La confiance, processus éminemment moderne selon Giddens, vient ici s’appuyer sur une dynamique fortement post-industrielle, la dimension éthique et la prise de conscience au niveau de chaque individu de sa place et de son rôle au sein de l’humanité. Ainsi, l’ensemble des associations étudiantes de Lyon I Sciences entretient des rapports tout à fait positifs avec l’association « Rencontres à petit pas » que nous avons déjà évoqués. Si parfois des conflits de personnes entre responsables associatifs étudiants peuvent conduire à voir s’opposer des associations (comme ce fut longtemps le cas entre les associations d’I.U.T. et les associations de cette université), les structures se fondant sur une action sociale ou humanitaire forte sont le plus souvent épargnées par ces oppositions. La dimension éthique et l’autorité morale de la question sociale imposent de facto un consensus autour des organisations se préoccupant de son traitement.

Les associations étudiantes développent donc un rôle fortement participatif dans l’affirmation de nouvelles modalités de l’engagement collectif des individus sur l’ensemble de la société et dans l’émergence du Sujet. Disposant d’un réel pouvoir d’influence sur les étudiants, leurs actions se complètent d’une action de prise de conscience sur l’ensemble de la société, en même temps que d’une action d’influence sur les institutions qui les environnent. Elles jouent donc un rôle moteur dans la transformation des modes d’engagement collectif des individus dans le monde social, en même temps que dans l’émergence d’une société cosmopolitique.

Notes
378.

( ) CAZADE Stephen, Décisions Etudiantes n°88, Novembre 2004, p 5.

379.

( ) Décisions Etudiantes n°55, février 2001, p 2.