Les similitudes/divergences avec les autres organisations du monde social :

La participation du monde social et du monde associatif étudiant à la construction du Sujet prennent de toute évidence deux orientations différentes. Aucune des deux n’exclut l’autre, les deux perspectives étant intimement liées aux points de départ de chaque posture.

Les nouveaux engagements visibles dans le monde social s’organisent en vue de prémunir la société contre de nouveaux risques, conjurer des dangers plus ou moins imminents. L’idée de risque devient centrale dans un certain nombre d’engagements de ce secteur. La société dans son ensemble développe un sens inédit de la réflexivité. Celle-ci est alimentée par une vision amère du progrès, ce dernier étant tout autant source d’amélioration que de destruction. Il flotte sur les individus, comme sur les engagements collectifs de ces derniers, un sentiment général que l’on vit dans un monde et des temps incertains, qu’il convient donc de créer dès à présent des gardes fous pour éviter le pire. Un sentiment d’insécurité sociale prédomine, dans lequel les identités personnelles comme collectives sont perçues comme de moins en moins assurées.

La dimension de risque reste en revanche relativement absente d’une large partie des engagements bénévoles étudiants. Cette posture donne à penser de prime abord à la fois la déconnexion de ces derniers d’avec le monde social, en même temps qu’elle laisse subodorer un positionnement institutionnel relativement protégé. Il retraduit en fait surtout qu’à la différence de leurs aînés, les étudiants ne sont pas déçus par le monde dans lequel ils sont nés, puisque c’est le seul qu’ils ont connu. Ils ont en quelque sorte déjà intégré émotionnellement les dégâts générés par l’homme sur son environnement et son devenir. Les thématiques d’engagements pourront donc se recouper avec celles du monde social, le rapport avec les nécessités sociales s’élaborant en revanche sur une base ou l’affect sera moins présent. L’engagement sera en quelque sorte plus distancié au sens affectif du terme. Le mouvement associatif étudiant génère donc un nouveau rapport au pathos dans l’engagement collectif, qui vient concurrencer les postures actuellement à l’œuvre.

Les nouvelles modalités de l’action bénévole sur le monde social se construisent sur la base d’un triptyque centré autour des notions d’urgence, d’efficacité, et de radicalité. Le nouveau militantisme sur ce secteur se fait créateur de solutions originales sur d’autres manières de faire de la politique. Il pose le problème en amont des thèmes politiques en cours : l’action ici et maintenant interroge alors le demain et ailleurs, obligeant à une prise en main progressive de la question par les politiques et les institutions. Immédiateté et long terme vont donc de paire, tant dans la réflexion que dans les actions construites. Ces postures, visibles sur le monde étudiant dans les années soixante-dix, ne sont plus à l’œuvre qu’à la marge sur ce milieu aujourd’hui. Certainement est-ce dû au rapport plus distancié qu’ont désormais les étudiants bénévoles avec les causes dans lesquelles ils s’engagent.

Sur le monde social, le délitement des identités collectives s’est peu à peu répercuté sur un délitement des formes de la mobilisation. Ces dernières se construisent désormais autour d’un vécu partagé, et non plus d’une utopie. La communauté devient sur le monde social le recours indispensable à la formalisation d’une identité commune partagée pour l’individu. Nombreuses des créations des associations du monde social de ces dernières années se constituent ainsi sur une base « nimby ».

Les associations étudiantes fondent pour leur part leur développement sur une forte dynamique d’écoute, de solidarité, et d’autonomie des individus. Elles participent à construire une socialisation pour les individus basée sur l’échange et l’interrelationnel. Elles n’incarnent pas un mouvement social, dans le sens où le mouvement associatif étudiant ne cherche pas à imposer un nouveau modèle social. A ce titre, il n’ouvre pas de perspectives de luttes fondées sur la construction de nouveaux rapports sociaux. A l’instar des autres associations du monde social, elles mettent en place des solutions aux réalités transformatrices immédiates. Mais elles ne disposent que très rarement d’un guide plus global, qui leur permettrait de relier action locale et réflexion globale.

Les associations étudiantes se construisent comme des espaces publics autonomes, distincts des sphères régulées par l’argent et le pouvoir, issus des mondes vécus par chaque individu, et qui permettent la construction d’acteurs autonomes et responsables. Le rapport au marché se fait pour les associations étudiantes de manière à la fois participatif et distant, dans une relation pragmatique à celui-ci. A la fois mus par le besoin de ressources financières pour réaliser leurs activités et libérés de la contrainte de réussite économique par l’absence de salariés et de véritable risque financier, les responsables associatifs étudiants disposent d’un degré de recul supplémentaire leur permettant de mieux construire une solution médiane entre poids du marché et communautarisme. Les associations étudiantes disposent en cela d’une incontestable longueur d’avance par rapport aux autres organisations du monde social.

Les nouvelles organisations du monde social s’impliquent dans les transformations à créer sur le global dans le but de transformer demain. Elles oeuvrent au quotidien à l’élaboration de connexions entre les niveaux global et local, entre processus mondiaux et effets sur le terrain.

Les associations étudiantes traitent la problématique différemment, en s’impliquant davantage sur l’individu et moins sur les structures ou la société. Par leur action quotidienne, elles concourent à créer des individus plus responsables professionnellement, par l’acquisition de la prise de décision et des responsabilités. Elles oeuvrent à faire naître des individus plus responsables socialement, du fait de leur implication sur la santé publique ou sur l’environnement par exemple. Elles permettent de créer des individus plus responsables civiquement, par leur précoce connaissance des règles démocratiques, mais aussi par l’ouverture sur l’altérité qu’elles offrent. Elles participent à ce titre activement à la création d’une citoyenneté mondiale nouvelle fondée sur une conscience humaine universelle, sorte de troisième socialité.

Ce faisant, en transformant les étudiants, les jeunes d’aujourd’hui, c’est bien la société de demain qu’elles changent. Les associations étudiantes bousculent les pratiques sociales en cours, et contribuent à l’institutionnalisation progressive de nouvelles modalités d’engagements collectifs sur le monde étudiant. Par effet d’exemplarité et de diffusion, la capacité transitive du message associatif étudiant fait alors se transformer celles des individus dans le monde social.