Conclusions

Faire se rejoindre l’histoire et l’actualité tout en passant au travers d’une période presque blanche d’une trentaine d’années n’est pas chose aisée. Pourtant, à plusieurs égards, le monde associatif étudiant rend cette chose possible. De la conception de l’U.N.E.F. en 1907 jusqu’aux réalisations des associations étudiantes actuelles, il existe un lien : il est possible, dans un certain nombre de cas, d’observer sur le milieu associatif étudiant des manières de penser et de réaliser l’agir associatif qui se retrouvent quelques années plus tard sur l’ensemble du monde social. Dit autrement, les modalités de l’engagement collectif visible à une période sur le monde associatif étudiant donnent à voir certaines de celles qui apparaîtront ultérieurement sur le monde social. Il existe donc une transitivité de l’agir associatif étudiant qui, à l’instar de ce qu’Agrikoliansky, Fillieule et Mayer ont montré dans le cas de l’altermondialisme en France, permet de décrypter le fonctionnement actuel de certaines organisations sociales à l’aune de modalités d’actions antérieures du secteur associatif étudiant.

Nous avons, au cours de notre première partie, pu observer ce phénomène à plusieurs reprises tout au long de la période allant de 1907 à 1962, fin de l’existence associative de l’U.N.E.F.

Qu’il suffise en cela de repenser à l’implication de l’U.N.E.F. et de ses A.G.E. dans le traitement des questions sociales vécues par les étudiants au sortir de la grande guerre, dans le traitement de l’insertion professionnelle de ces derniers dès le début des années trente. Bien avant les premiers comités d’entreprises, bien antérieures aux structures institutionnelles de placements pour les salariés, le monde associatif étudiant explore des pistes de réalisations nouvelles pour résorber les risques encourus par sa population de référence.

Qu’il suffise de penser aux initiatives plus techniques prises en faveur du développement du cinéma dès le début des années vingt, dans la mise en valeur de l’individu ou dans la reconnaissance des femmes, dans la création des Œuvres, de l’O.T.U. ou de la M.N.E.F. Qu’il suffise bien sur de penser à l’implication du réseau associatif étudiant dans la guerre d’Algérie dès 1954, la reconnaissance des individus et des peuples à disposer d’eux-mêmes dès 1947. Mais qu’il suffise aussi de penser aux premières pistes de construction d’un autre syndicalisme, alliant activités de service et représentation, modèle repris ultérieurement tant par la F.E.N. que par la F.N.S.E.A. Qu’il suffise enfin de penser à l’émergence d’une conscience supra-nationale qui émerge sur ce milieu dès le début des années soixante.

La liste serait trop longue de toutes ces avancées initiées par le mouvement associatif étudiant et ses structures, qui impacteront ensuite définitivement les modalités d’engagements des individus dans le monde social. Toutefois, on le remarque dans le même temps dès à présent, ces préfigurations ne se font pas tant sur des axes de relation entre l’individu et le collectif. Le modèle d’organisation pyramidal en vigueur sur l’ensemble des autres organisations du monde social constitue, tout au long de cette période, l’ossature du réseau associatif étudiant.

Dans une large mesure, ces avancées sont avant tout de l’ordre de l’innovation technique : le monde associatif étudiant reste au cours de cette phase fondamentalement ancré dans le concret et les réalisations. Sans pour autant dire qu’il préfigure en cela l’actualité de notre monde social, le rejet de toute utopie et de tout dogmatisme en interne oblige, dès ses premiers moments, le monde associatif étudiant à se concentrer sur des réalisations concrètes pour donner un sens à son existence.

Cette focalisation pragmatique du mouvement associatif étudiant n’est pas pour autant exempte de perspectives. Celles-ci sont cependant cantonnées à la résorption des risques encourus et/ou vécus par les étudiants. Elle s’adjoindra au cours de sa dernière période de vie associative (1946-1963) à une perspective humaniste supra-nationale, faisant se rejoindre ailleurs et maintenant, ici et demain, et l’étudiant comme acteur.

Ces dernières prises de positions, trop avant-gardistes, entraîneront sa chute, les éléments les plus traditionalistes de l’organisation quittant alors l’U.N.E.F., pour créer la F.N.E.F.

De toute cette période, on retiendra le rôle d’aiguillon que jouera le mouvement associatif étudiant pour l’Etat, mais aussi pour les autres organisations du monde social et les individus. Plusieurs auteurs ont déjà montré que nombre de cadres de l’U.N.E.F. de ces époques réapparaîtront quelques années plus tard à des postes décisionnels, qui dans le privé, qui dans le public, certains même en politique, poursuivant alors les démarches qu’ils avaient initiés sur le monde étudiant. Par cette double pression, certaines reproductions des agirs associatifs étudiants antérieurs réapparaissent un beau jour au sein d’organisations collectives du monde social, assurant alors la transitivité de l’agir associatif étudiant.

Mais le monde associatif étudiant de cette période donne aussi à voir en accéléré les transformations globales des modes d’engagement des individus dans le collectif. Si à plusieurs égards, les scissions que connaîtra l’U.N.E.F. préfigurent certaines autres sur le monde syndical et politique, le déclin de l’engagement syndical étudiant dès 1962 et le passage de témoin au profit de l’engagement associatif dès 1975 donnent à voir des évolutions similaires sur l’ensemble du monde social, avec à chaque fois près d’une quinzaine d’années d’avance. La transitivité du message associatif étudiant s’étend alors à la fois sur le domaine des techniques et sur les formes de l’engagement des individus dans le collectif pour cette dernière étape (1960-1970).

A la différence du cas de l’altermondialisme, la transitivité du message associatif étudiant se polarise essentiellement autour des aspects techniques et pratiques de l’engagement, peu sur le domaine des idées. Ce particularisme vient notamment du fait que ce dernier est rarement producteur d’analyses théoriques sur le sens et la portée de son action. Il est aussi peu souvent porteur d’une vision politique claire et explicite, d’une conscientisation globale et affirmée des risques réels ou potentiels encourus par les étudiants et les citoyens. La perspective mise en évidence par le mouvement associatif étudiant au travers de cette recherche complète donc la théorie d’Agrikoliansky, Fillieule et Mayer sur les capacités transitives de l’engagement collectif, en identifiant tant l’origine étudiante de certaines pratiques actuelles visibles sur le monde social qu’en démontrant la capacité transitive des process et des techniques associatives.

La période 1960-1990 n’est pas pour le milieu associatif étudiant une période de fastes expansions, ni de perspectives novatrices incontournables. Dépassé par la mort de l’U.N.E.F., la politisation du milieu et l’explosion du nombre d’étudiants, le mouvement associatif étudiant se morcelle et s’étiole. Plusieurs tentatives de regroupement national sont tentées, sans succès. Engoncées par la peur de la politisation, des étudiants et de leur nombre, les quelques structures ayant survécues à l’explosion de l’U.N.E.F. s’enferment dans un communautarisme élitiste. Sur le terrain et au sein des nouvelles filières d’enseignements qui se créent, des associations nouvelles émergent, le plus souvent très éloignées de ce type de perspective. Deux groupes se forment peu à peu, les corporations étudiantes issues de quelques filières d’élites et au passé parfois controversé, et des associations nouvelles, vierges de toute attache.

Un réel fossé se creuse alors au fil des années entre associations de terrain et organisations nationales associatives. Les trois tentatives successives, la F.N.E.F., le C.L.E.F. et la C.N.E.F. ne seront que des reproductions les unes des autres sur la base d’un modèle organisationnel exclusif, et des reproductions de la fracture entre local et national. Elles restent en outre avant tout les constructions d’une population étudiante issue des filières élitistes (Santé, Droit, Grandes Ecoles), que leurs collusions trop flagrantes avec les partis politiques de droite décrédibilisent aux yeux d’une population étudiante tendanciellement neutre/gauche.

Corporations, fédérations nationales et associations locales participeront davantage à l’installation de la nouvelle société et des nouvelles formes d’engagement des individus dans le collectif qu’elles ne précèderont le mouvement. Tandis que les premières s’impliquent dans l’expansion du libéralisme et l’émergence des communautés d’appartenance, sur le terrain, libres de toute emprise, les associations locales laissent s’affirmer un nouvel individualisme et des modalités d’agirs plus pragmatiques, éloignés des utopies politiques.

Il n’existe sur cette époque pour le milieu étudiant aucun discours fédérateur, aucune analyse des risques potentiels ou vécus par les étudiants.

Les formes de l’engagement bénévole étudiant respectent cette fois encore les formes générales des modalités de l’engagement collectif des individus dans le monde social de leur temps : le rapport individu/collectif des corporations offre un large panel de similitude avec celui des autres organisations du social, notamment syndicales. Les associations thématiques tendent, pour leur part, à adopter un rapport plus libre, en phase avec celui des autres associations du monde social. La multiplication des associations étudiantes s’adjoint d’une spécialisation des structures dès 1975-1980, en phase avec les processus à l’œuvre sur les autres organisations du monde social.

En revanche, les projets sont dans un certain nombre de cas en avance sur ceux du monde social, confirmant de fait la continuité de la transitivité de l’agir associatif étudiant sur ce dernier. Les associations thématiques s’impliquent ainsi fortement sur la problématique de l’insertion professionnelle antérieurement à 1985, quand cette question fera l’objet d’un traitement plus approfondi par les associations du monde social suite à la décentralisation de 84. Le regain du fédéralisme local et l’importance prise par les identités locales s’observent sur le monde étudiant avec quelques années d’avance.

Troisième et dernière tentative de fédération nationale sur les bases héritées des années soixante-dix, le C.N.E.F. est créé au début des années quatre-vingt. Avant même la fin de cette décennie, l’échec de cette organisation sera patent. Moins de dix années après sa création, cette organisation cesse de fonctionner. A sa place émerge une nouvelle tentative de regroupement nationale, la F.A.G.E.

Sur cette seconde période, la transitivité du message associatif étudiant se concentre essentiellement sur des aspects techniques et la place de l’individu dans son rapport avec le collectif et les institutions.

Créée en 1990, la F.A.G.E. tranche avec ses trois prédécesseurs, en même temps qu’elle renoue ouvertement avec les modalités d’organisation de l’U.N.E.F. associative. Sur la base des fédérations de villes, la F.A.G.E. s’ouvre aux nouvelles associations de terrain et aux associations thématiques, intégrant la différence et la diversité. A la différence de ses trois malheureux aïeuls, elle se construit sur la base d’un modèle inclusif d’organisation, et non plus exclusif.

Elle bâtit son développement sur le local, en donnant à ce dernier le pouvoir des décisions et des orientations. Les rapports entre local et national se transforment, conduisant à un renforcement des adhésions aux fédérations ainsi qu’à une implantation rapidement marquée du discours associatif sur le monde de la représentation étudiante. Un poly-système émerge, concurrençant les modèles antérieurs d’organisations représentatives, et en adéquation avec les nouvelles créations du monde social (S.U.D. et U.N.S.A. notamment). Le partenariat et le relationnel s’imposent dans les modalités de relations entre organisations.

La structuration pyramidale de répartition des pouvoirs est abandonnée au profit d’un rapport partenarial et de réseau s’appuyant sur la pratique de l’enpowerment. La F.A.G.E. n’intervient pas sur les territoires physiques et symboliques des associations qu’elle fédère. En revanche, ces dernières ont toute latitude pour intervenir sur la politique menée par le bureau national. Pragmatisme et immédiateté, aide quotidienne au développement, fournitures de services, relationnel fondent les principaux vecteurs de liens entre la fédération nationale et les organisations locales. La forme de l’agir collectif étudiant s’apparente à celle en vigueur sur le monde social, notamment sur le milieu associatif. Ses pratiques sont en revanche plus inédites, poussant plus loin les prémisses observables sur l’actualité du monde social.

Rapidement, puis au fil des années, la représentation politique du mouvement associatif étudiant s’impose dans le paysage électoral étudiant. Cette forme de représentation politique n’a pas à ce jour de retranscription sur le monde social. Elle confirme l’actualité d’une reconfiguration de l’espace revendicatif et surtout représentatif, un décloisonnement de ces derniers, les syndicats et partis politiques perdant le monopole dont ils jouissaient dans la société industrielle. Les associations, antérieurement cantonnées au domaine de l’assistanciel, s’émancipent et s’imposent comme nouvel acteur du dialogue social.

La crise des identités pré-professionnelles générée par le C.I.P. et la volonté d’implantation d’entités privées dans les instances de la F.A.G.E. produiront son éclatement en 1994. Emportées par les velléités de la S.M.E.R.R.A. en même temps que par certaines ambitions personnelles, trois mono-disciplinaires corporatistes fondent P.D.E., organisation nationale concurrente.

Rejointe peu de temps après par deux autres mono-disciplinaires plus récentes, ce nouveau groupement réactualise surtout l’ancienne C.N.E.F. Sur cet ancien schéma, il réaffirme alors tant ses tendances communautaires que ses affinités fortes avec le libéralisme économique. Cependant, le rapport de force dans la relation corporations étudiantes et mutuelles s’est entre-temps inversé, donnant une prédominance claire aux dernières. Corporations impliquées, mono-disciplinaires participantes comme bénévoles étudiants partis prenantes de cette entreprise ne réaliseront l’acuité de cette inversion que nombre d’années plus tard.

Deux perspectives du syndicalisme associatif étudiant s’opposent alors. La première, mise en œuvre par la F.A.G.E., défend une approche transversale des problématiques. Elle s’appuie sur la diversité du local. La seconde, défendue par P.D.E., prône une approche identitaire des problématiques, fondée sur l’homogénéité et la verticalité des identités pré-professionnelles.

La F.A.G.E. étend peu à peu son influence et son réseau de relations, tant sur le secteur de l’économie sociale que sur le champ de la représentation. En s’étoffant, elle éclaircit peu à peu la nébuleuse associative étudiante, permettant de mieux la découvrir. Indépendance, multiplicité, spécialité des structures et des projets en sont les principaux vecteurs de développement. Surtout, les associations étudiantes donnent à voir une fuite plus qu’un rejet de toute norme rationnelle, privilégiant l’individu et sa liberté. La fluidité, l’insaisissable disposent de profonds supports dans les formes de l’engagement collectif étudiant d’aujourd’hui

Sur cette période, les modalités de l’engagement associatif étudiant reproduisent celles visibles sur l’ensemble du monde social, les poussant parfois à l’excès. La radicalité s’inscrit dès lors dans les formes de l’action collective étudiante.

La transitivité du message associatif étudiant se concentre à ce jour sur les aspects pratiques de ce dernier, même si les innovations en matière de rapport au politique et d’hybridation d’activités représentatives et d’activités économiques disposent de nombreuses chances de réapparaître d’ici quelques temps sur le monde social, de part leur caractère attractif et concret.

Le paysage associatif étudiant qui émerge peu à peu reste difficilement identifiable à tout autre acteur du monde social (syndicat, associations,
partis, …). Il emprunte à chacun de ses différents acteurs des formes, tout en les réadaptant et en les performant le plus souvent.

1) Les associations étudiantes sont ainsi beaucoup plus inscrites que les autres organisations du monde social dans l’économique, de part une forte présence de financements privés dans l’origine de leurs ressources. Les associations étudiantes montrent alors de manière avant-gardiste les limites des collusions qu’il est possible d’entretenir avec ce type de partenaires. Elles montrent aussi les outils dont le secteur sans but lucratif peut se doter, afin d’éviter les dérives. En expérimentant tant les risques que les solutions, le monde associatif étudiant donne certainement à voir une innovation utile ultérieurement pour l’ensemble des organisations du monde social.

Elles se construisent en outre sous une forme hybride, conjuguant le plus souvent activités économiques et activités syndicales et/ou politiques. Cette forme d’action duelle est inédite en France, préfigurant sans doute, par le jeu de la transitivité des modes d’agirs collectifs du monde associatif étudiant vers le secteur sans but lucratif, son développement à venir dans ce dernier.

2) Les associations étudiantes développent deux formes principales d’engagements politiques :

Particularisme étudiant, les fédérations se transforment en lieux de synthèse entre syndicalisme professionnel atypique et dynamiques socio-humanitaires tournées vers l’altérité. Elles font se rejoindre économie, monde du travail par l’identité pré-professionnelle, communauté d’appartenance et conscience de l’altérité. Elles donnent enfin à voir une complémentarité inédite entre organisations locales de différents types pour la réalisation de projets. Le secteur associatif étudiant dispose, cette fois encore, d’une antériorité certaine, préfigurant sans aucun doute des formes de relations à venir entre organisations du monde social. Elles impactent à ce titre les formes à venir de l’engagement des individus dans le monde social.

Elles s’émancipent progressivement de leur rôle antérieur d’animateurs locaux, et jouent désormais davantage un rôle d’aiguillon de la société, « d’incubateur social », certaines des avancées obtenues par les associations étudiantes se diffusant ensuite sur l’ensemble du corps social, que ce soit par le jeu de la transitivité de l’agir associatif étudiant ou par celui de l’exemplarité (action étudiante innovante qui stupéfait et se voit ensuite reprise par la société civile). Elles constituent des sources d’inspiration pour les institutions qu’elles côtoient, et qui reprennent et diffusent au fil du temps certaines de leurs idées, pour les institutionnaliser. Elles impactent alors d’autant les formes à venir de l’engagement des individus dans le monde social.

Les associations étudiantes constituent aussi un nouvel outil de lutte social, tentant de conjuguer à la fois dimension gestionnaire (pratiques anciennes et maîtrisées) et par instant postures contestataires (pratiques nouvelles). Comme le souligne à ce titre le Bilan de la Vie Associative 2004-2007, « On assiste ainsi à une transformation de la configuration du secteur : le monde étudiant utilise de plus en plus le mode associatif, à la fois pour la défense et l’expression, et également pour mettre en oeuvre des savoir-faire durant les périodes de formation » ( 380 ). Elles transforment à ce titre la perception des individus sur l’agir associatif et donc leurs modalités d’engagement dans le collectif.

A l’instar des autres organisations du monde social, les associations étudiantes s’impliquent ainsi dans la conquête de nouveaux droits pour les individus. Elles participent aussi à l’affirmation de certaines problématiques sociétales sur l’ensemble de la société. En se réappropriant certains thèmes à caractère d’urgence et/ou de fortes dimensions éthiques (commerce équitable, accès aux soins, O.G.M., …), le mouvement associatif étudiant contribue à leur mise en lumière et leur expansion sur l’ensemble de la société. On assiste surtout à l’émergence de projets nouveaux sur des thématiques parfois plus anciennes et qui, par leur originalité et leur pertinence, vont transformer durablement les modalités futures de l’engagement collectif des individus dans le monde social. Ainsi en est-il par exemple de l’action d’I.S.F., fondateur avec A.V.S.F. et le C.C.F.D., de Max Havelaar France en 1992, désormais principale O.N.G. de référence sur le commerce équitable en France. De fait, cela impacte les formes de l’engagement collectif des individus dans le monde social.

3) Les associations étudiantes font montre d’une forte capacité de diffusion des informations, y compris techniques. Elles se démarquent notamment des autres organisations du monde social par une importante et précoce utilisation d’Internet, comme outil de structuration des réseaux ainsi que comme vecteur de construction de projet. De part leur fort taux d’équipement en matière de T.I.C., les associations étudiantes disposent d’une avance notable. Cette capacité de communication leur donne alors une capacité d’impulsion et de changements, par les connaissances accrues qu’elles induisent pour les bénévoles étudiants.

De part ce potentiel communicationnel, les associations étudiantes semblent donner à voir les nouvelles formes instituées de l’expression de la contestation sociale. Elles se font en effet supports de manifestations étudiantes, de revendications, … à la fois sous formes revendicatives et/ou festives. Dès lors, les associations étudiantes participent au déclin des institutions, principaux interlocuteurs du monde social, et donc par incidence aux évolutions des formes à venir de l’engagement collectif des individus.

Cette croissance des pratiques relationnelles se conjugue avec un rejet marqué de tout formalisme. La sociabilité s’impose, en s’appuyant sur l’informel. Ce dernier sert ainsi de base à la construction des réseaux d’individus, et reconfigure les liens entre organisations et ainsi qu’en interne, entre individus. La mémoire collective se personnalise, chaque bénévole d’une époque devenant un dépositaire parcellaire de celle-ci. La reconstitution de la mémoire impose alors le recours au relationnel, et il se tisse un lien dialectique entre informel et relationnel. Néanmoins, la forme de l’engagement collectif étudiant se construit entre forme sociétaire et communautaire, la communauté ne se constituant que postérieurement à l’intégration de l’individu dans le groupe. Sur cette base et celle de l’informalité croissante, l’investissement étudiant dépasse très largement celui visible sur l’ensemble du monde social.

4) L’agir associatif étudiant comporte une importante dimension expérientielle pour l’individu bénévole. L’économie est entrevue par ce dernier à la fois comme moyen de réalisation de ses objectifs et comme construction d’une expérience personnelle réutilisable sur le monde du travail ainsi que dans sa vie relationnelle. Pour l’individu, l’expérience associative doit s‘insérer dans sa construction personnelle en tant que sujet.

Il s’exprime donc, sur le milieu associatif étudiant, de nouvelles attentes de l’individu envers le collectif, visant à faire se concilier expérience bénévole et trajectoire de vie. L’utopie principale qui guide les bénévoles étudiants se définit comme une utopie de création, d’invention, de réalisation de ses propres envies et de ses projets. La passion et le ludique disposent de toutes leurs places dans l’expérience associative étudiante, comme vecteur d’affirmation de soi et de son identité particulière. L’objectif est alors de concilier rationnel et passionnel à l’échelle de l’individu.

Les associations étudiantes constituent donc des facteurs importants d’expansion du nouvel individualisme, qui se construit dans une spécialisation croissante des projets. Elles jouent ainsi un rôle d’aiguillon pour les individus dans la prise de conscience de leur individualité, de leur corps, et de la responsabilisation de soi. A ce titre, les associations étudiantes se font souvent précurseures sur des idées de projets, impulsant par effet de diffusion leur apparition ultérieure sur l’ensemble de la société. L’agir associatif étudiant transforme alors les modes d’engagements des individus dans le monde social, tant par la transitivité des pratiques que par l’exemplarité des réalisations.

La fonction expérientielle de l’agir associatif étudiant s’observe aussi par l’impact positive que les anciens militants associatifs étudiants ont au sein des les entreprises dans lesquels ils sont employés (moins de cessation d’activités des entreprises notamment). L’influence du militantisme associatif étudiant produit donc des incidences indéniables jusque sur les formes d’engagements des individus dans le monde du travail. L’agir associatif étudiant construit ainsi des individus plus responsables socialement et professionnellement, dont les actions vont modeler celles de leurs congénères et la forme de l’engagement de ces derniers dans la structure sociale qu’est le lieu de travail.

5) Par sa tentative de synthèse entre monde de l’économie et monde de la culture, actrices de la reconnaissance de l’altérité, les associations étudiantes donnent à voir certaines des formes du Sujet tourainien à venir. En même temps, en tant qu’écoles de formation et de responsabilisation des individus, elles transforment peu à peu ces derniers en Sujets.

Les associations étudiantes oeuvrent ainsi à l’émergence d’une conscience humaine universelle, sorte de socialité tertiaire. Par le biais de ces dernières, le bénévole étudiant tente dans le même temps de construire des réponses aux nouveaux risques encourus par les individus. Des projets étudiants émergent par exemple autour de la notion de risques sociétaux, environnementaux, ainsi qu’autour de risques liés à l’individu : obésité, santé, usages de psychotropes, … Pour mobilisateurs qu’ils soient, ces ralliements autour de la notion de risques potentiellement vécus ne constituent cependant pas un fil directeur des engagements et mobilisations collectives des étudiants. A la différence de ce qu’il est possible d’observer sur le reste du monde social, ces risques mobilisent mais ne transcendent pas.

Cette différence importante vient notamment du fait que cette notion de risque est déjà intégrée depuis longtemps chez les nouveaux bénévoles. Elevés depuis leur plus jeune âge dans ce sentiment diffus de risques sociétaux contre lesquels il faut se prémunir, les bénévoles associatifs étudiants actuels vivent ceux-ci de manière différente. Pour ces derniers, le risque est objectivé depuis longtemps, et ne fait donc pas l’objet d’un traitement passionnel. Le rapport qui s’élabore face aux problématiques sociales actuelles est alors plus distancié, permettant une analyse plus objective et un traitement différent, qui n’exclut pas le passionnel dans la construction de ses modalités de réponses. De fait, l’engagement bénévole étudiant actuel se construit un peu à l’inverse de l’actualité du monde social, paniqué par la notion de risques grandissant et tentant d’y apporter des réponses les plus objectives. L’ascension progressive de ces nouvelles générations dans les différentes sphères sociales conduira à l’expansion de cette approche sur l’ensemble du monde social et l’extinction consécutive de nos approches actuelles, impactant dès lors les modalités d’engagements des individus sur l’ensemble de la société.

Comme nous avons pu le voir lors des lignes qui précèdent, les vecteurs de transformations des modes d’engagement des individus au sein des associations étudiantes impactent (en totalité ou partiellement selon les cas) certains modes d’engagements des individus sur le monde social. Les innovations du secteur associatif étudiant en matière de loisirs, les prises de positions politiques, les formes même des projets et des structures se voient dans un nombre certain de cas réappropriées à des degrés divers quelques années plus tard par l’ensemble du monde social. Par ordre décroissant, les principales différences s’observeront sur les projets et les idées, et dans une moindre mesure sur les modes de relation entre individu et collectif ou sur les formes de structuration des organisations.

D’un point de vue mathématique, la relation monde étudiant / monde social s’apparente à une relation partiellement surjective (cf. graphique n°48) :

Graphique n°48 : Fonctions injectives, surjectives, bijectives.
Graphique n°48 : Fonctions injectives, surjectives, bijectives.

Comme le montre le schéma ci-dessus, une surjection est définie par la règle qui, à un ou plusieurs éléments de l’ensemble de départ (dans notre cas le monde associatif étudiant), associe un élément de l’ensemble d’arrivée (le monde social). Cette surjection est partielle, en ce sens que toutes les dynamiques qui animent le monde associatif étudiant ne trouvent par forcément une retranscription pleine et entière sur le monde social.

En revanche, tous les vecteurs transformatifs du monde social ne disposent pas forcément d’un point de départ sur le monde étudiant. C’est le cas notamment dans le rapport qu’entretiennent les organisations de ces deux univers au fédéralisme local. La relation est donc aussi partiellement injective.

La relation n’est pas bijective puisqu’à tout élément de départ, la relation n’associe pas de manière absolue un élément de l’ensemble d’arrivée. Il existe des vecteurs de transformation du monde associatif étudiant qui n’impactent pas le monde social, de même qu’il existe des éléments de transformation du monde social sans antériorité sur le monde associatif étudiant.

L’hypothèse de départ consistant à penser le monde associatif étudiant comme préfiguratif des évolutions du monde social s’avère donc fausse dans une perspective intégrale. Une telle assertion ne peut s’entendre que sous un angle relativiste. Néanmoins, le caractère surjectif de la relationconfère de facto la primauté des transformations des modes d’engagement collectif au monde associatif étudiant.

Les divergences évoquées font que l’on ne peut prendre l’agir étudiant comme modèle préfiguratif total des évolutions à venir sur le monde social. Le monde associatif étudiant renseigne, donne des indications, mais aucune vérité absolue. Plus qu’un modèle, il s’agit donc d’un lieu d’exploration, de part le caractère fortement performatif du milieu associatif étudiant, de formes nouvelles et inédites de projets d’engagement collectif des individus, qui pour certaines seront reprises ultérieurement sur l’ensemble du monde social. En ce sens, les propos de Marcuse comme de Touraine du début des années
soixante-dix se voient confirmés par notre actualité, dans la limite de notre sujet d’études et d’une certaine forme de relativisme.

Cette recherche fournit néanmoins un certain nombre d’avancées par rapport aux travaux préexistants. Elle permet dans un premier temps de fournir dès à présent à tout travail ultérieur sur le sujet, des informations quantitatives importantes sur le milieu associatif étudiant. Au-delà de l’éclairage apporté sur un pan à ce jour presque inexploré du secteur associatif et d’ouvrir à des comparaisons, ces données permettent de mettre en évidence les points forts, les spécificités du secteur associatif étudiant. Elles interdisent désormais l’amalgame et les regroupements statistiques sans pertinence, et permettent de mieux sérier et répartir plus justement les différentes activités du milieu associatif étudiant dans les grands pôles du secteur sans but lucratif.

Ce travail démontre dans le même temps qu’il existe un lien véritable entre engagement dans le milieu associatif étudiant et engagement ultérieur des individus dans le monde social. Il donne à voir de manière claire qu’il existe un aspect préfiguratif à l’engagement associatif étudiant, ce dernier réalisant des projets, des agirs collectifs, qui réapparaissent quelques années plus tard dans les structures du monde social. A ce titre, il permet d’ouvrir à des analyses prospectives sur le monde social, sur la base des réalités actuelles du milieu associatif étudiant. Il confirme notamment le renversement qui s’opère sur les acteurs de la représentation, les syndicats et partis, en pointe lors de la première modernité, se voyant peu à peu supplantés dans ce rôle par les associations au cours de l’émergence de la seconde modernité.

Ce caractère préfiguratif n’est en fait que la retranscription, sur le milieu étudiant et sous des formes particulières, de la capacité transitive dont disposent les caractéristiques du secteur sans but lucratif, mise en évidence par Agrikoliansky, Fillieule et Mayer dans le cas de l’altermondialisme en France. Dans le cas de l’altermondialisme, la transitivité se fait au niveau des messages et des idées directrices par une réappropriation de ces derniers par des groupes nouveaux d’individus au travers d’une transformation des formes du discours. A deux époques distinctes, il est ainsi possible de voir réapparaître un même thème d’engagement au sein d’organisations différentes, qui se voit reformulé et remis au goût du jour après une période plus ou moins longue de mise en sommeil. S’appuyant sur des personnes comme sur des réseaux, le caractère transitif des thèmes de la mobilisation permet alors de tirer un fil conducteur entre objet d’engagement collectif actuel et antérieur.

Complétant cette recherche sur le mouvement altermondialiste, le travail réalisé ici montre que cette transitivité se donne aussi à voir dans les pratiques, les projets et les formes de l’engagement. Peu versé dans la mobilisation et la contestation sociale, le secteur associatif étudiant permet de donner à voir, par ses particularismes, que ce phénomène de transitivité est aussi présent sur des aspects concrets, techniques et formels, des engagements collectifs des individus. Il s’appuie là aussi tant sur des individus que sur des réseaux.

Les anciens militants associatifs étudiants, passés leur vie universitaire, influencent ainsi ultérieurement les organisations et les réseaux collectifs qu’ils intègrent, à partir de leur expérience antérieure. Les projets, techniques, modes d’organisation, réapparaissent dès lors par l’action décidée des mêmes individus à deux périodes différentes de leurs vies. Cette transitivité s’appuie sur la conviction individuelle, la capacité dont devient dépositaire chaque bénévole à se dire que ce qu’il réalise, a réalisé, produit du sens, une goutte d’eau essentielle et nécessaire pour le collectif.

Cette transitivité peut aussi trouver sa source dans le caractère exemplaire d’une action ou d’un projet, qui conduit des individus ou des structures du monde social à se réapproprier l’idée, en la reformulant le cas échéant. Les modes opératoires et les aspects techniques se diffusent alors au gré des réseaux.

Processus ni similaires ni différents, la transitivité des idéaux comme des pratiques se complètent pour affirmer conjointement la capacité dont dispose le mouvement associatif à ne pas perdre la mémoire des bonnes idées et à savoir gérer la transmission de ces dernières vers demain.

Cette recherche démontre en outre la continuité de validité de l’analyse portée en son temps par Marcuse et Touraine. Le milieu étudiant, et notamment le milieu associatif étudiant, constitue toujours l’un des éléments moteur de la transformation sociale, et notamment pour ce qui concerne le cadre de cette recherche, moteur des évolutions des outils collectifs de celle-ci.

Ce travail permet en outre d’affirmer la réalité d’un continuum de pensée entre la grande U.N.E.F. et la F.A.G.E., au travers des différentes phases inclusives et exclusives qu’a connu le mouvement associatif étudiant tout au long de son existence. Le mouvement associatif étudiant fut ainsi successivement bâti sur un modèle d’organisation inclusif (période de croissance de l’U.N.E.F. jusqu’en 1965 environ), puis d’organisation exclusive dans le but de faire face à un environnement hostile (période F.N.E.F., C.L.E.F., puis C.N.E.F. de 1965 à 1990), enfin de nouveau organisation inclusive une fois l’environnement jugé apaisé (naissance de la F.A.G.E.). On peut donc bien parler d’un continuum, la F.A.G.E. n’étant alors qu’une « nouvelle cause » (à ceci près que dans notre cas d’études, il s’agira davantage de formes nouvelles d’agir collectif) s’appuyant elle aussi sur une « longue histoire ».

Enfin, les résultats de cette recherche montrent sans équivoque que les associations étudiantes constituent un acteur fortement moteur dans l’émergence du Sujet. A la croisée des mondes des techniques et de l’économie et celui de la communauté, inscrit dans un rapport de distanciation critique, le monde associatif étudiant participe dans le même temps à l’émergence d’une plus grande reconnaissance de l’Autre, tout en se positionnant, lorsque besoin est, dans une attitude d’opposition, de contestation envers toute forme de domination. Sujet, le mouvement associatif étudiant est dès maintenant créateur de sens et de changement en même temps que de rapports sociaux et d’institutions politiques nouveaux.

La synthèse de mes travaux précédents sur l’impact du monde associatif étudiant sur le développement local, avec cette nouvelle recherche traitant de la qualité transformative de ce milieu sur les formes de l’engagement des individus dans le monde social et sur le caractère par instant préfiguratif de l’action associative étudiante, conduit désormais à penser un rôle plus global de cette dernière. A l’évidence, le monde associatif étudiant agit comme acteur moteur de la transformation sociale. Il reste donc aujourd’hui à résoudre scientifiquement cette dernière question pour disposer enfin d’une vue globale sur l’impact du monde associatif étudiant dans la société, en s’appuyant certainement sur la dimension transitive de l’action et de la pensée associative du mouvement.

Notes
380.

( ) Conseil National de la Vie Associative, Bilan de la vie associative : 2004-2007, La Documentation Française, mars 2007, 281 pages.