Annexe n°2 :
La notion de syndicalisme étudiant

A la suite de Jean-Yves Sabot ( 383 ), il est possible de s’interroger sur la pertinence du concept de syndicat étudiant.

Ainsi dès 1965, Milbergue montre que le syndicalisme politique n'est pas concevable comme représentation globale du monde étudiant car on ne peut y faire émerger de conscience de classe ( 384 ). Que ce soit par son hétérogénéité sociale, ou que ce soit par l'activité des étudiants, qui n'exercent en rien une activité professionnelle puisqu'ils travaillent pour eux, il ne peut y avoir de syndicalisme politisé sur ce milieu.

Cette critique trouve un approfondissement dans les propos d'Althusser qui, à la même époque, met en garde les instances dirigeantes de l'U.N.E.F. contre toute ambition politicienne. Pour lui, « le syndicalisme étudiant ne peut se concevoir comme un parti politique » ( 385 ). Si Althusser accorde bien à l'U.N.E.F. de l’époque le statut de syndicat de type particulier, il précise que sa survie dépendra de la condition expresse d’une non-affiliation à une quelconque logique de parti. En effet, selon lui, bien que non intégrés dans un processus de production de valeur marchande, les étudiants doivent tout de même pouvoir lutter pour ceux des leurs qui sont les plus défavorisés. Contre la barrière des classes, ils doivent se mouvoir sur le terrain politique tout en évitant l'écueil d'une appartenance quelconque.

De nos jours, le syndicalisme étudiant dispose d’une place atypique mais néanmoins nullement contestée dans la théorie syndicale. Si l’homogénéité du monde étudiant est un leurre interdisant de parler de classe sociale, il existe néanmoins une convergence d’intérêts pouvant permettre de mettre en œuvre une organisation de type syndicale. En outre les étudiants disposent entre eux des mêmes normes et références, ouvrant à une réunion des hétérogénéités. La validité du concept de syndicat étudiant est donc avérée ; elle se retraduit dans les faits par des objectifs et des missions conformes aux attendus envers une organisation syndicale : mode d’organisation, multidimensionnalité des missions données, démocratie interne, régularité des réunions et congrès, et enfin stratégies : à la fois syndicalisme de revendication et de contrôle (recherche de représentativité, développement des adhésions, grèves, …) et syndicalisme de participation et de gestion (sièges dans les instances décisionnelles, aides matérielles, …).

Si cette terminologie est clairement affirmée par les syndicats étudiants politisés (U.N.E.F., U.N.I., …), l’adéquation de cette notion avec le mouvement qu’incarne la F.A.G.E. mérite d’être explorée plus en profondeur. Nous sommes en effet ici en présence d’une organisation fondée sur des bases associatives, s’appuyant clairement sur celles-ci pour son organisation et son fonctionnement endogène et exogène, et qui pourtant affirme elle aussi faire du syndicalisme sur le milieu étudiant.

Au fondement du syndicalisme ouvrier, s’affirme l’indépendance à l’égard de tout parti politique. Cela ne signifie aucunement interdiction d’accès au domaine politique. En fait, apolitisme syndical signifie avant tout apartitisme, c’est-à-dire indépendance vis à vis des partis politiques.

La F.A.G.E., en situant l’étudiant comme élément de la Nation, en posant les questions de la nécessité de transformation des structures de la société (budget de l’Enseignement Supérieur, montant des bourses, développement des restaurants universitaires, démocratisation de l’enseignement, perspectives professionnelles des filières, …), produit des réflexions et des actes qui investissent le terrain politique.

En s’affirmant apolitique, cette organisation commet donc une erreur terminologique. Ses actes et réflexions sont politiques ; ils sont en revanche indépendants de tout parti, toute influence politicienne.

Retrouvant ici les fondements du syndicalisme, l’utopie anarchiste exceptée, sans doute pourrait-on dire que l’action de la F.A.G.E. s’inscrit davantage en adéquation avec la définition première de l’action syndicale que ne l’est celle des syndicats étudiants politisés, chacun d’entre eux étant encore à ce jour sous tutelle d’un parti politique.

Notes
383.

( ) SABOT Jean-Yves, Le syndicalisme étudiant et la guerre d'Algérie, l’Harmattan, 1995.

384.

( ) Ainsi, « le milieu étudiant ne peut être syndicalisable au sens de l'U.N.E.F., il ne peut être qu'objectivement corporatiste ». MILBERGUE Jean-Pierre, Les problèmes étudiants, Les temps modernes, n°227, avril 1965 in DESANTI Raphaël, L’invention permanente du syndicalisme étudiant, Mémoire de D.E.A. de Sciences Sociales, Nantes, 1997.

385.

( ) ALTHUSSER Louis, Problèmes étudiants, La nouvelle critique, Janvier 1964 in DESANTI Raphaël, L’invention permanente du syndicalisme étudiant, Mémoire de D.E.A. de Sciences Sociales, Nantes, 1997.