Les conditions de travail des conducteurs routiers

Le TRM constitue aujourd’hui un secteur professionnel marqué par les profondes transformations sociales intervenues en France et en Europe dans la dernière décennie du XXème siècle (Revah, 2001). Plus particulièrement, les conditions d’exercice de l’activité du secteur du TRM ont été largement affectées par le contexte institutionnel, d’une part, avec la réduction et l’aménagement du temps de travail et des 35 heures en France, et, d’autre part, avec les débats sur l’harmonisation de la réglementation dans l’Union Européenne.

Avec les coûts liés à la consommation des véhicules, la variable stratégique de l'exploitation d’une entreprise de transport est le personnel. Cette tendance est renforcée par des difficultés de recrutement traduisant une pénurie de conducteurs confirmés et un effet de vieillissement d’une profession peu attractive pour les jeunes (Revah, op. cité). En effet, si le secteur est créateur d'emplois, le taux de mobilité est extrêmement élevé, traduisant une insatisfaction à l'égard des conditions de rémunération et surtout de travail. Les conditions d'exploitation sont donc marquées par des conditions de travail souvent médiocres mais qui se sont toutefois améliorées sous l'influence de la réglementation sociale européenne11 et celle du Contrat de Progrès établi en France en 1994.

Quant à la rémunération moyenne mensuelle du secteur, bien que mal connue et jugée modeste, elle semble sensiblement plus élevée que le salaire moyen ouvrier de l'ensemble de l'économie. Cependant, si l'on tient compte du temps de travail, la rémunération horaire est nettement plus faible. En effet, la principale caractéristique du secteur des TRM est que le temps de travail, notamment celui des conducteurs « longue distance », dépasse largement le volume horaire autorisé par la réglementation. Des temps de conduite supérieurs à quarante ou quarante cinq heures par semaine ne sont pas rares, et, compte tenu des temps consacrés à d'autres activités (chargement, déchargement, attente...), le temps de travail hebdomadaire dépasse fréquemment soixante heures. Ainsi, pour les grands routiers, l'amplitude de la journée de travail pourrait atteindre dix huit heures et les temps de repos journaliers être réduits à six heures pendant plusieurs jours consécutifs (Bossin, 2002).

De ces éléments sociaux, il résulte de fortes disparités qui font ressortir le caractère atypique des réalités françaises. En effet, la France conserve une législation plus stricte que les autres pays européens en matière de temps et de conditions de travail, législation contestée par de nombreux transporteurs. Ceux-ci estiment notamment « qu’elle augmente considérablement leurs coûts et qu’elle leur interdit toute souplesse dans l’organisation d’une activité fondée sur le service »(Revah, op. cité). Quant aux conducteurs, même s’ils reconnaissent les progrès que leur a apportés la réglementation européenne en termes de conditions de travail et le bien-fondé de la législation française, ils semblent nombreux à exprimer un désintérêt croissant pour le métier.

Ces diverses observations nous amènent à plusieurs constats :

Bien qu’il soit strictement réglementé, il n’existe pas de définition unique et clairement établie du TRM. La catégorisation des entreprises de transport routier semble en effet confuse, elle diverge selon les sources et les objectifs des études et semble bien refléter la complexité de l’environnement dans lequel se déroule l’activité des conducteurs.

De plus, si l’activité des entreprises de TRM est très diversifiée, hormis les déménageurs, la nature elle-même des produits transportés l’est plus encore : frigorifique, citerne, produits alimentaires, matières dangereuses, etc. De fait, plus de 90% des produits consommés au quotidien – de l’alimentaire à l’électroménager, de la pharmacie aux combustibles en passant par les produits culturels, etc. – sont transportés par la route.

Les préoccupations des exploitants se sont déplacées du véhicule vers le conducteur. D'une part, le véhicule est devenu plus fiable : un produit que l'entreprise peut "consommer". D'autre part, le conducteur focalise l'attention de l'entreprise, obligée de gérer au plus juste des temps de service, des obligations de formation et la pénurie de personnel. Enfin, les progrès techniques réalisés par les constructeurs ayant permis d’optimiser la consommation des véhicules modernes, les différences s’expriment à présent davantage en termes de comportement humain. En conséquence, dans un contexte en évolution constante, avec notamment l’augmentation du prix du pétrole et l’ouverture des marchés à la concurrence des pays de l’Est, le rapport « temps de parcours / consommation » est devenu la variable clef dans la gestion économique des entreprises de transport routier de marchandises. Et le conducteur, par son comportement, est plus que jamais l’un des acteurs majeurs de ce changement.

Enfin, les multiples innovations technologiques, qu’elles soient en matière d’assistance à la conduite des véhicules ou de matériels embarqués (outils de communication, de gestion des livraisons, de suivi d’itinéraire…), ont pour conséquence la transformation progressive du métier de conducteur routier. Cette transformation, associée à la diversité des entreprises, des types de transport et des produits transportés, contraint les conducteurs à une activité aux contours mal définis et, par conséquent, difficile à généraliser. Ainsi, dans la démarche de conception d’un système d’assistance à la conduite d’un camion, il sera indispensable de connaître et de tenir compte du contexte et de l’environnement dans lequel se déroulera l’activité de conduite du véhicule. Concrètement, avant toute intervention ergonomique liée à la conception, il nous faudra préciser le type de véhicule pour lequel le système sera conçu ainsi que l’environnement dans lequel le conducteur circulera le plus souvent (autoroutier, urbain…). Ces précisions seront largement dépendantes du type de transport considéré (long routier, relais, distribution…).

Notes
11.

La réglementation sociale européenne définit les règles communes applicables à tous les conducteurs routiers professionnels en matière de temps de conduite et de repos (Règlement CEE n°3820/85 du conseil européen du 20 décembre 1985).