Les représentations fonctionnelles

Toute pratique humaine, quel que soit le niveau de contraintes et de spécificité imposé par l’environnement dans lequel elle s’insère, met en jeu des processus cognitifs en interaction avec les finalités de l’activité (Weill-Fassina, Rabardel, Dubois, 1993).Pour réaliser une tâche donnée, l’individu se construit une représentation de la situation à partir du schéma d’action correspondant activé en mémoire à long terme. Cette représentation est constituée d’actions planifiées à exécuter. Elle est dite « fonctionnelle » (Leplat, 1985) dans le sens où elle assure la planification et le guidage de l’action et permet de développer un comportement adapté aux modifications de l’environnement dans une situation particulière (Richard, op.cité). Elle s’enrichit des informations issues de l’environnement et nécessaires à l’action en cours. Elle est circonstancielle et contextualisée en fonction de l’expérience antérieure, des besoins et de l’activité de l’individu impliqué dans une situation déterminée. Par exemple, dans le cas d’un piéton qui doit traverser une voie à double sens de circulation, le schéma d’action activé comportera des procédures « regarder à droite et à gauche avant de traverser », des connaissances déclaratives telle que la notion du danger associé à la situation « il est dangereux de traverser hors passage protégé » et la représentation fonctionnelle ajoutera la notion de la présence ou non, d’un passage protégé, d’un véhicule, de sa vitesse et de sa distance… La représentation fonctionnelle sera constamment mise à jour au cours de l’action et sera partiellement ou totalement désactivée une fois l’action terminée, les résultats de l’action viendront enrichir la représentation en mémoire.

Les éléments et les aspects significatifs des représentations, ainsi que leurs propriétés dynamiques, en situation, sont des dimensions essentielles des représentations fonctionnelles. Ces représentations sont « privées », « individuelles », « opératoires » dans l’activité de l’individu. Pour une même tâche à exécuter, les représentations fonctionnelles pourront être différentes selon les sujets dans la mesure où les schémas d’action activés peuvent contenir des connaissances et des expériences particulières, différentes d’un individu à l’autre. Par exemple, la représentation de la manœuvre de « tourne à droite » sera différente pour un conducteur ayant vécu l’expérience d’accrocher un cycliste dans une manœuvre identique que pour celui ayant accroché une bordure de trottoir.

En résumé, le concept de représentations fonctionnelles caractérise des réseaux de propriétés, de connaissances, de savoir-faire, de sensations éprouvées, construites, sélectionnées au cours de l’histoire de l’individu, à partir de sa formation, de son expérience, et des besoins de l’action en cours dans un environnement donné. Ces représentations se rapprochent d’une part de la notion de modèles mentaux dans la mesure où elles réfèrent, pour le sujet, à des propriétés constitutives de classes de situations, et, d’autre part, des notions de schémas ou de scripts dans la mesure où ceux-ci renvoient à des procédures mémorisées. Ces représentations sont essentiellement des interprétations qui consistent à utiliser des connaissances pour attribuer une signification d’ensemble aux éléments issus de l’analyse perceptive (Richard, 1998). Tout comme les représentations sociales, en confrontation avec la spécificité des situations, elles ont un rôle de guidage et d’organisation de l’action (Weill-Fassina, Rabardel, Dubois, op. cité).

En conclusion, quels que soient le domaine et les objectifs de recherche, selon George (1988), la difficulté pour le chercheur est de découvrir les formes de connaissances effectivement utilisables et utilisées par l’individu et d’expliquer les relations liant ces connaissances en vue d’une action.

Dans le cadre de nos travaux, ayant pour objectif majeur la conception de systèmes d’assistance à la conduite, la difficulté sera d’avoir accès au décodage des comportements des usagers de la route, conducteurs ou usagers vulnérables. Nombre de ces comportements sont, en effet, largement modulés et orientés par les représentations sociales et fonctionnelles de chaque individu et relèvent, pour une grande part, du domaine du procédural. C’est pourquoi il nous semble nécessaire, pour une analyse précise d’une activité finalisée, de mettre en œuvre une démarche méthodologique multidimensionnelle qui permette de balayer les aspects implicites et explicites de cette activité. Toutefois, avant d’établir un modèle de l’activité de conduite sur lequel nous appuyer pour définir nos méthodes d’analyse, il nous faut préciser quels sont les processus de traitement de l’information mis en jeu dans les activités humaines. Ce sont ces processus qui déterminent la construction d’une représentation fonctionnelle et l’activation des connaissances en mémoire à long terme. Ils aboutissent à la prise de décision qui mène à l’action.