La charge de travail dans les activités finalisées

Comme pour toute activité humaine, la conduite d’un véhicule dépend de la mise en œuvre d’un certain nombre de processus permettant, d’une part le traitement des informations nécessaires à l’activité, et, d’autre part, l’exécution des différentes tâches qui la composent. Ces processus peuvent se dérouler de manière automatique ou sous le contrôle de l’attention. Ils nécessitent une certaine quantité de ressources attentionnelles et engendrent une charge mentale qui semblent dépendre des exigences de la situation, des processus mobilisés et des caractéristiques individuelles du conducteur.

Dans ce chapitre, nous évoquerons le concept de charge mentale en tant que composante indissociable du concept plus large de la charge de travail. En effet, bien que certaines études ergonomiques aient fait la distinction entre charge physique et charge mentale, il paraît maintenant évident que toute activité, même la plus automatisée, met en jeu des systèmes fonctionnels divers (physiologiques, musculaires, etc.) et nécessite leur coordination selon des modalités de régulation complexes (Leplat, 1980 ; Theureau, 2002). Il nous semble donc pertinent, lors de l’évaluation de la charge de travail des conducteurs, de tenir compte des dimensions à la fois physiques et cognitives de l’activité de conduite (Sperandio, 1988 ; Guillevic, 1991), sans écarter les divers facteurs (externes ou internes à l’individu) susceptibles d’interagir dans le cadre de cette activité complexe par nature.

Le concept de charge de travail, apparu avec l’ergonomie et l’analyse des situations de travail, est un concept fréquemment utilisé mais dont les significations peuvent être variées et spécifiques à l’approche adoptée. De manière générale, il est important de distinguer la charge en tant que caractéristique de la tâche, et donc des exigences qu’elle impose à tout opérateur, et la charge en tant que conséquence pour un opérateur donné de l’activité qu’il met en œuvre pour répondre à ces exigences (Leplat, 1992).

Ainsi, dans le domaine de l’ergonomie, la charge de travail caractérise l’astreinte consécutive aux exigences d’un travail donné sur un individu (Leplat, 1980, 1997 ; Sperandio ; op. cité, Guillevic, op. cité). Elle représente le coût imposé à l’organisme humain par l’activité en termes de contraintes physiques ou psychologiques (de Gaudemaris, Frimat et Chamoux, 1998) : à la contrainte ou aux contraintes externes à l’individu, l’organisme répond par une ou des astreintes physiologiques et cognitives qui représentent un coût physique et mental pour l’opérateur (Sperandio, op. cité). Les ergonomes anglophones distinguent le niveau théorique de charge de travail (niveau que le système est censé imposer à l’opérateur) qui relève d’une approche centrée sur la tâche, et l’expérience subjective de charge de travail (Hart et Staveland, 1988), niveau effectivement ressenti par l’opérateur, et qui relève d’une approche centrée sur l’individu. Ces deux démarches se complètent et peuvent être simultanément adoptées dans une perspective systémique. De plus, la notion de charge de travail ne peut se limiter aux situations de travail. En effet, toute activité humaine, qu’elle soit ou non de nature professionnelle, engendre un coût physique et/ou psychologique pour l’individu, et l’activité de conduite d’un véhicule en est un exemple concret.

En nous appuyant sur les travaux de Hart et Staveland (op. cité) et en accord avec les orientations théoriques prônées par la SELF27, l’approche privilégiée dans cette thèse est centrée sur l'individu. La notion de charge de travail représente ici l’expérience subjective élaborée et ressentie par le conducteur, lors de l’activité de conduite, pour atteindre un objectif ou un niveau particulier de performance28. Ainsi, même si les objectifs sont fixés par l’entreprise, le conducteur peut décider lui-même du niveau de performance qu’il souhaite atteindre et de l’effort qu’il est disposé à fournir pour y arriver. La charge de travail n'est donc pas uniquement un attribut de la tâche de conduite.

Elle peut être considérée comme un construit qui émerge :

Cette charge de travail ressentie est importante dans la mesure où elle fait partie des conditions qui peuvent entraîner des changements provisoires dans les fonctionnements de l’individu (Leplat, 1997 ; Sperandio ; 1988). De fait, si un conducteur considère que la charge de travail résultant de son activité est excessive, il peut se comporter comme s'il était en situation de surcharge, même si les exigences de cette activité sont objectivement faibles. Il peut alors se retrouver en situation de « détresse » psychologique et/ou physiologique et adopter des stratégies inappropriées. Ainsi, par son activité même, tout individu modifie sa situation de travail et la charge qui en découle.

Notes
27.

Société d’Ergonomie de Langue Française

28.

Le premier objectif de la conduite d’un véhicule est toujours le déplacement d’un point à un autre, le niveau de performance peut représenter les conditions dans lesquelles l’activité est exécutée (sécurité, productivité…).