La charge de travail selon Hart et Staveland (1988)

Nos expériences passées (Maincent, Martin, Van Box Som, 2005), nous font privilégier l’approche proposée par Hart et Staveland (1988) pour l’étude de la charge de travail résultant d’une activité finalisée. Selon ces auteurs, la charge de travail est une construction hypothétique qui représente le coût imposé à un opérateur humain pour atteindre un niveau particulier de performance. Ils adoptent une approche centrée sur l’opérateur plutôt que sur la tâche (Sheridan, et Stassen, 1979).

L’expérience subjective de charge de travail ressentie par l’opérateur résume les influences de plusieurs facteurs qui s’ajoutent aux exigences objectives imposées par la tâche. La charge de travail n’est donc pas un attribut de la tâche, mais elle émerge de l’interaction entre les exigences de cette tâche, les circonstances dans lesquelles elle est exécutée et les habiletés, comportements et perceptions de l’opérateur. Dans la mesure où, plusieurs variables apparemment non reliées peuvent se combiner pour construire une « expérience subjective » de charge, les auteurs ont proposé un modèle conceptuel dans lequel les différentes sources qui peuvent influencer la charge de travail sont mises en relation (Figure 10).

Figure 10 : Modélisation conceptuelle de la charge de travail (d’après Hart et Staveland, 1988)

Dans ce modèle de Hart et Staveland, la charge de travail imposée fait référence à la situation rencontrée par un opérateur. Les exigences théoriques de la tâche découlent de ses objectifs, de la durée requise pour son exécution, de ses caractéristiques, ainsi que des ressources disponibles (humaines et techniques). Les exigences réelles imposées lors de l’exécution d’une tâche donnée à un opérateur spécifique peuvent être influencées par de nombreux facteurs caractéristiques d’un événement particulier (les pannes du système, les erreurs de l’opérateur, etc.). Ces facteurs « incidentels » représentent des sources plus ou moins importantes de variabilité de la charge de travail imposée par la tâche pendant son exécution.

La réponse du système fait référence au comportement et au résultat de l’interaction du système homme-machine. Les opérateurs sont motivés et guidés dans leur action par les exigences imposées, mais leur conduite est aussi fonction de leurs perceptions, qui vont permettre l’anticipation et la mise en œuvre de stratégies, de l’effort qu’ils fournissent et des ressourcesdisponibles pour atteindre les objectifs de la tâche. L’effort physique est le plus facile à conceptualiser, observer et mesurer, cependant, son importance est moindre dans le pilotage de systèmes complexes comme dans la conduite des véhicules modernes. L’effort mental en revanche, est difficilement observable et quantifiable directement et peut être confondu avec la notion de ressources attentionnelles allouées à la tâche.

Les performances du système représentent le produit des actions et limites d’un opérateur avec les possibilités et caractéristiques du système contrôlé. Le retour d’expérience fournit aux opérateurs une information sur les résultats de leur action face aux exigences de la tâche en leur permettant d’adapter leurs stratégies ou de fournir un effort supplémentaire pour corriger leurs erreurs.

Ce modèle, bien que spécifiquement adapté à la conduite de systèmes complexes dans la forme présentée ci-dessus (Maincent, Martin, Van Box Som, 2005), nous semble pouvoir être appliqué à de nombreuses activités finalisées, dont la conduite de véhicules industriels.

Ainsi, pour Hart et Staveland (op. cité), la charge de travail ressentie, et les conséquences psychophysiologiques qui en découlent, reflètent l’effet de l’exécution d’une tâche sur un individu. Cependant, il paraît peu vraisemblable que la charge de travail ressentie par un opérateur soit une simple combinaison de facteurs observables. En effet, les estimations peuvent être influencées par les attentes et les représentations de l’individu concernant la tâche et par sa définition personnelle de la charge de travail. Puisqu’il est peu probable que les opérateurs soient conscients de toutes les variables de la tâche ou des processus qui sont à l’origine de leurs décisions et de leurs actions, leur évaluation ne reflétera pas forcément tous les facteurs pertinents impliqués dans la charge de travail. Les auteurs estiment donc nécessaire de distinguer un niveau théorique de charge de travail (niveau que le système est censé imposer à l’opérateur), les résultats de l’interaction des opérateurs avec une tâche spécifique, et leur expérience subjective (leur ressenti).

Malgré de nombreuses divergences d’opinion au sujet de sa nature, de sa définition et de son évaluation, la charge de travail n’en reste pas moins une dimension importante, mesurable et qui se révèle pertinente.De nature multidimensionnelle, la charge de travail engendrée par l’exécution d’une activité finalisée fait partie des conditions qui peuvent entraîner des changements provisoires dans les fonctionnements de l’individu (Leplat, 1985). D’importance variable, elle peut être influencée et modulée non seulement par de nombreux facteurs tant individuels que situationnels, mais aussi en fonction des processus de traitement de l’information nécessaires à l’exécution de l’activité. Elle s’exprime, chez l’individu, par une « expérience subjective », un ressenti, et par des manifestations psychophysiologiques. Bien que l’on puisse définir des niveaux de charge théorique associés aux tâches spécifiques composant une activité finalisée, en pratique, pour l’individu, la charge de travail ressentie est une reconstruction subjective qui émerge de l’interaction entre les diverses dimensions, physiques et cognitives, intervenant dans le fonctionnement humain et celles, multiples, provenant de la situation.

Il nous semble donc nécessaire, pour une analyse pertinente de l’activité humaine, d’intégrer la notion de charge de travail en tant que composante à part entière dans un modèle du fonctionnement humain appliqué aux activités finalisées.

En résumé, l’activité de conduite d’un véhicule industriel est une activité de travail finalisée, qui s’effectue au moyen d’un instrument particulier dont le pilotage est médiatisé par des interfaces techniques. Cette activité s’exerce dans un environnement physique dynamique et complexe et obéit à des contraintes socioprofessionnelles spécifiques en termes de sécurité, de sûreté et de productivité. Elle est composée d’un ensemble de tâches sensorimotrices et cognitives dont l’exécution peut être automatisée ou sous contrôle attentionnel et qui engendre, chez le conducteur, un certain niveau de charge de travail. Cette charge de travail, ressentie par le conducteur, et les conséquences psychophysiologiques qui en découlent font partie des conditions susceptibles de modifier le comportement du conducteur. Enfin, la conduite d’un véhicule industriel est soumise à un apprentissage spécifique et le niveau d’automatisation des habiletés qui la composent est directement dépendant de l’expertise du conducteur.

Dans ces premiers chapitres, nous avons posé le contexte dans lequel s’effectue l’activité du conducteur routier et précisé les dimensions cognitives et ergonomiques en jeu dans l’activité de conduite d’un véhicule. A partir de ces observations, il nous semble possible de proposer un modèle « écologique » adapté à l’étude des activités humaines finalisées. Cette démarche de modélisation est exposée dans le chapitre suivant.