V. Principes méthodologiques pour la conception et l’évaluation des systèmes

Quelle qu’en soit sa finalité (sécurité, confort, économies de carburant), la conception d'un système d’assistance au conducteur est un processus complexe. Cela est dû en partie au fait que ce processus implique la reconfiguration d'un système hôte préexistant qui se compose du conducteur et d’un système technique (le véhicule et toute sa technologie), dans un environnement –– le contexte routier –– très variable, et sur lequel le comportement du couple conducteur-véhicule peut avoir un impact non négligeable. Ce système hôte a déjà ses propres équilibres, subtils, que le nouveau système vient modifier, voire perturber.

Dans la mesure où la modification du système hôte peut avoir des conséquences sur la sécurité, les systèmes d’aide à la conduite doivent être minutieusement évalués avant d’être développés, testés et commercialisés. Cette évaluation ne peut se limiter à examiner la robustesse ou l’utilisabilité du système d’aide isolément : elle doit décrypter la façon dont le système affecte les processus et les comportements de conduite existants, notamment en termes d’interférence et de charge de travail. En fait, ce n'est pas uniquement le système en soi qui doit être évalué, c’est plus précisément la façon dont le système global « conducteur-véhicule-environnement » se comportera avec la greffe d'un système d’assistance donné. Parmi les éléments à étudier figurent la manière dont les actions du nouveau système interfèrent avec les processus précédemment stabilisés, l'effet du contexte sur son utilisation et la façon dont les interactions avec ce système s’articulent avec d'autres dispositifs dans le véhicule (Fastreza et Haué, 2008).

Plus fondamentalement, la nécessité d'une conception adéquate comme celle d’une évaluation minutieuse du système exigent une profonde connaissance du fonctionnement des conducteurs et de leur activité en situation réelle de conduite. Cette connaissance peut aider à répondre à de multiples questions concernant les différents aspects interconnectés de la conception de systèmes d’assistance à la conduite, tels que le type d'information qu’ils devraient fournir au conducteur, ou la modalité perceptuelle qui devrait être employée pour délivrer cette information.

Un autre ensemble de questions se relie aux propriétés sémiotiques et temporelles des représentations produites par le système : devraient-elles être iconiques (c’est-à-dire ressembler à ce à quoi ils se réfèrent) ou symboliques (c’est-à-dire compter sur l'abstraction et les descriptions conventionnelles ou sur le langage) ? Devraient-elles se fonder sur des métaphores ? Devraient-elles être discrètes (par exemple des signaux binaires) ou continues (flux d'information continus) ? Étudier le comportement du conducteur peut également guider la manière dont ces représentations sont intégrées dans le véhicule (par exemple sur le tableau de bord, dans un affichage tête-haute, etc.) ou indiquer le timing de leur disponibilité (par exemple combien de temps à l'avance doit être produit un message d'alerte ?). De plus, une telle connaissance peut aider à déterminer les demandes attentionnelles du système, et la charge cognitive qu’il engendre chez son utilisateur (Fastreza et Haué, op. cité), sous réserve d’avoir préalablement déterminé un niveau « de base » de la charge de travail des conducteurs en situation réelle.

Ainsi, connaître et comprendre l’activité et le comportement du conducteur est une nécessité pour la conception et l'évaluation de systèmes d’aide à la conduite d’un véhicule. Cette connaissance est acquise à travers une grande variété d'approches méthodologiques, centrées sur l’analyse de l’activité et l'observation des conducteurs interagissant avec des systèmes nouveaux et existants, dans divers contextes. L’une des variables majeures orientant ces approches méthodologiques est le degré de contrôle que le chercheur peut avoir sur les interactions conducteur-véhicule et systèmes embarqués-environnement. Cette dimension peut être décrite sur un continuum allant du niveau de contrôle le plus élevé au niveau le plus faible :

Dans le cadre d’une recherche appliquée au développement et à l’évaluation d’un nouveau système d’aide à la conduite, le déroulement le plus communément adopté commence par une démarche expérimentale en environnement totalement contrôlé sur simulateur de conduite pour se terminer par des observations en situations réelles sur route ouverte. Le développement de tels systèmes procède bien souvent par phases itératives nécessitant notamment plusieurs expérimentations sur simulateur de conduite.

Nous ajouterons à cette démarche de développement une étape préalable qui nous paraît indispensable : les analyses de l’activité du conducteur en situation réelle. Outre la connaissance du milieu dans lequel l’activité de conduite sera réalisée, cette étape permet de déterminer les besoins réels explicites ou implicites face à une ou des situations données et de situer le contexte dans lequel le système développé sera utilisé.

Dans le chapitre suivant, nous exposerons brièvement les spécificités de chaque environnement évoqué précédemment. Nous traitons plus longuement la simulation de conduite pour terminer par la présentation du simulateur dynamique de camion de Renault Trucks – qui a servi de moyen expérimental pour l’évaluation des systèmes étudiés dans cette thèse.

Compte tenu de l’implication de la charge de travail dans le fonctionnement humain et de sa variabilité en fonction des contextes dans lequel s’exerce une activité finalisée, le dernier chapitre de cette partie méthodologique sera consacré aux problèmes liés à son évaluation.