Forces et limites de la technique

Les estimations subjectives sont généralement considérées comme des outils comportant des biais indésirables et représentant la pratique discréditée de l’introspection. Néanmoins, il apparaît que les biais observés dans les mesures globales de la charge de travail, de même que ceux observés dans les évaluations subjectives des autres facteurs intervenants, peuvent en fait refléter des processus cognitifs intéressants et importants. Hart et Staveland (1988) ont ainsi identifié au moins cinq sources de variabilité :

  1. Des variations de l’importance objective et subjective de différents attributs de la charge de travail pour des tâches différentes,
  2. Des variations expérimentales de l’amplitude des différents facteurs,
  3. Des différences dans les règles avec lesquelles les individus associent l’information issue de la tâche, leur propre comportement et les réponses psychologiques à la tâche dans les expériences subjectives de charge de travail,
  4. Des difficultés associées à la traduction d’une expérience subjective en une évaluation formalisée,
  5. Enfin, un manque de sensibilité aux manipulations expérimentales.

Toutefois, l’expérience subjective de charge de travail représente l’interaction entre les exigences objectives de la tâche et chaque réponse de l’individu à ces exigences. Ainsi, les sources de variabilité non contrôlées sont nécessairement prises en compte. Les différences dans la charge de travail associées à la composition spécifique de la tâche et à ses contreparties psychologiques peuvent être identifiées au travers de comptes-rendus subjectifs concernant des activités spécifiques. Cette information est comprise dans la méthode d’évaluation multidimensionnelle proposée. Le NASA TLX, sous forme de pondérations, s’applique à la mesure de facteurs de charge spécifiques. Les deux dernières sources de variabilité, celles qui ont trait aux problèmes psychométriques et de sensibilité, restent probablement des variables indésirables et non contrôlées. Cependant, la prise en compte des facteurs pondérés, des échelles mises au point et des tâches de référence, semble apporter une amélioration suffisante pour la sensibilité et la stabilité du test. Les autres sources de variabilité peuvent alors n’être considérées que comme du « bruit », sans pour autant compromettre l’utilité de cette mesure subjective en tant que source d’information pratique et significative sur la charge de travail.

A partir de toutes les informations recueillies grâce aux analyses initiales de la base de données d’origine, ainsi qu’à celles de la série d’expérimentations incluses dans l’étude de validation, il apparaît que le NASA TLX est plus sensible aux manipulations expérimentales de la charge de travail, que, soit une mesure globale, soit une combinaison pondérée de sous-échelles. De plus, chacune des six dimensions s’est révélée être une source primaire de charge dans au moins une condition expérimentale et a contribué à la charge de travail des autres. De même, chaque facteur a été en mesure de fournir une information indépendante sur la structure des différentes tâches. Ainsi, le NASA TLX fournit une information supplémentaire sur les tâches, que ne fournissent pas la SWAT ou l’échelle en neuf facteurs préalablement envisagée (Maincent, 2001).

Les mesures du NASA TLX peuvent être obtenues rapidement, il faut moins d’une minute pour obtenir des opérateurs les six taux après chaque condition expérimentale. De plus, il ne leur faut pas plus de deux minutes pour fournir les pondérations pour chaque type de tâches. Ainsi, ce test multidimensionnel semble un outil pratique à utiliser en environnement opérationnel et dont l’analyse des données est plus facile à accomplir que pour la SWAT (qui nécessite un programme d’analyse spécifique associé au test).

La combinaison pondérée des facteurs fournit un indicateur sensible de score global de charge de travail et permet de distinguer différentes tâches et différents niveaux à l’intérieur de chaque tâche. Les pondérations et l’amplitude des mesures des échelles individuelles fournissent quant à elles une information diagnostique importante sur la source spécifique de charge à l’intérieur de la tâche.

Parmi les nombreuses études et recherches qui ont porté sur le NASA TLX ou qui l’ont utilisé en tant que méthodologie principale ou associée à d’autres techniques, Gawron (2000) a relevé quelques résultats qui illustrent selon différents aspects les forces et limites de la méthode.

De manière générale, le NASA TLX est une méthode très largement utilisée aux Etats Unis, dans l’aérospatiale, dans l’aviation civile et militaire, dans le cadre du contrôle aérien et dans de nombreuses études sur les activités dynamiques de l’opérateur humain.

Appliqué à la conduite automobile, MacNeil (1994) a utilisé le NASA TLX pour étudier la charge mentale des conducteurs en environnement urbain dynamique. Elle a rajouté trois échelles pertinentes pour l’étude : sécurité, contrôle et orientation, et le NASA TLX a été suffisamment sensible pour différencier les quatre conditions expérimentales. L’auteur en a conclu que l’utilisation du NASA TLX pour le développement de critères ergonomiques d’évaluation de nouvelles technologies semble tout à fait pertinente et plus particulièrement dans le cadre de l’évaluation des effets des développements technologiques sur la conduite automobile

En France, il est principalement employé dans le contrôle aérien (Averty, 1998 ; Farbos et al., 1998) sous sa version originale américaine. Il a été utilisé en version française pour évaluer la charge de travail d’opérateurs de centrale nucléaire (Maincent, Martin, Van Box Som, 2005), et l’INRETS en a élaboré une version dérivée pour l’évaluation de la charge mentale engendrée par les tâches de conduite automobile : le « Driving Activity Load Index ou D.A.L.I. (Pauzié et Pachiaudi, 1996, Tableau 6).

Tableau 6 : Les échelles du D.A.L.I. (traduit d’après Pauzié et Pachiaudi, 1996)
Titre Descripteurs Descriptions
Effort ou Attention Faible/Elevé Evaluer l’attention requise par l’activité – penser à quelque chose, décider, regarder, etc.
Exigence visuelle Faible/Elevée Evaluer l’exigence visuelle nécessaire pour l’activité.
Exigence auditive Faible/Elevée Evaluer l’exigence auditive nécessaire pour l’activité.
Exigence temporelle Faible/Elevée Evaluer la contrainte spécifique causée par l’exigence temporelle au cours de l’activité.
Interférence Faible/Elevée Evaluer la perturbation possible au cours de l’activité de conduite simultanément avec une autre tâche supplémentaire telle que téléphoner, utiliser des systèmes embarqués ou la radio, etc.
Situation stressante Faible/Elevée Evaluer le niveau de contrainte dû au stress pendant l’activité de conduite – fatigue, sentiment d’insécurité, irritation, découragement…

Cette échelle a été testée lors de l’évaluation de la charge mentale engendrée par l’utilisation de systèmes de guidage embarqués et de téléphone mobile mains-libres. Les résultats obtenus par le D.A.L.I. ont été confirmés par les autres données recueillies (données objectives et subjectives). L’outil est aussi utilisé pour l’étude de la charge mentale dans le cadre de l’évaluation et de la conception d’un système communiquant à commande vocale embarqué (Nathan, 2001). Ainsi, selon Pauzié et Pachiaudi (1996), le D.A.L.I., associé à des données objectives, semble un outil intéressant pour l’étude de la charge mentale en situation de conduite automobile.

Dans la mesure où l’activité de conduite fait appel à un ensemble de processus cognitifs plus ou moins automatisés, et que cette activité s’effectue dans un environnement complexe, nous avons cherché un outil qui tienne compte de toute la complexité de l’activité, mais qui, pour des raisons pratiques, soit simple d’utilisation. A nouveau nous souhaitions simplifier la complexité.

Nous avons donc choisi d’évaluer la charge de travail des conducteurs d’un point de vue subjectif. En effet, comme Sperandio (1988), nous pensons que, dans la mesure où l’individu est le premier concerné par les tâches qui composent son activité, il est utile de connaître son ressenti sur les facteurs intervenant dans la charge de travail. De plus, il semble que les expériences phénoménologiques des opérateurs humains affectent leur conduite ultérieure, et ainsi influencent leurs performances et leurs réponses physiologiques face à une situation. Si un individu se sent en situation de surcharge, même si les exigences de la tâche sont objectivement faibles, il peut alors adopter des stratégies appropriées à une situation de forte charge de travail, se retrouver en situation de détresse psychologique ou physiologique, ou appliquer un critère de performance moins élevé.

Ainsi, il nous semble que l’analyse psychologique et ergonomique de situations dynamiques ne peut s’effectuer sans prendre en compte le ressenti de l’opérateur, et dans la mesure du possible en associant des mesures issues d’indicateurs comportementaux à celles issues de ces évaluations subjectives. Dans le cas de la conduite d’un véhicule, ce sont, par exemple, les actions sur les commandes, la consommation ou la vitesse…

Enfin, compte tenu des avantages qu’il présente, nous avons décidé d’utiliser la version française du NASA TLX. En revanche, il nous faudra modifier la description des facteurs de charge pour l’adapter à la spécificité de la conduite d’un véhicule industriel. Ces définitions pourront varier en fonction de l’environnement dans lequel sera étudiée la charge de travail (naturel ou simulé). Les versions modifiées sont exposées dans le cadre des protocoles expérimentaux correspondants (parties 3 et 4 de ce document).