Risque et danger, deux facettes d’une situation ?

Pour le piéton qui se déplace, la sécurité ne constitue ni un but, ni même un moyen : elle n’est qu’une condition subjectivement évaluée et acceptée comme telle. En revanche, c’est la représentation108 qu’a cet usager de l’environnement routier qui va constituer le modèle mental (Bainbridge, 1980) sur lequel il va se baser pour réguler son activité de déplacement.

Or, il s’avère que cet environnement est hostile pour le piéton qui est particulièrement vulnérable aux collisions avec des véhicules en mouvement. Ainsi, tout déplacement en ville peut être considéré comme dangereux, et les activités piétonnières intègrent, naturellement une dimension de risque d’accident (Granié, 2004).

Dans le domaine de la sécurité routière, les notions de risque et de danger sont intimement liées et représentent deux facettes de la réalité pour le piéton qui effectue un déplacement dans un environnement routier, urbain ou non :

  • Le danger représente une variable objective, quantifiable en termes de probabilités d’accident dans une situation donnée,
  • la notion de risque peut représenter une variable psychologique, subjective, qui ne coïncide pas forcément avec la dangerosité réelle de la situation (Charron, 2005).

Cependant, dans sa définition même, le concept de risque est loin d’être univoque ; il renvoie autant au caractère dommageable et dangereux d’un événement qu’à son caractère incertain. De même, pour ce qui concerne le domaine de la psychologie du risque, Turner, McClure, Pirozzo (2004) cités par Thiffault (2005) font état d’un urgent besoin de développer un cadre conceptuel précis et opérationnel. En effet, pour certains auteurs, la notion de prise de risque renvoie à un simple comportement observable qui augmente la probabilité d’un accident (Cvetkovich et Earle, 1988 ; Jonah, 1986) alors que, pour d’autres, elle implique nécessairement une certaine conscience du risque encouru (Irwin et Millstein, 1992 ; Yates et Stone, 1992). Pour d’autres encore la prise de risque implique non seulement la conscience du risque mais aussi sa recherche délibérée (Thuen, Klepp, Wold, 1992). D’un point de vue épidémiologique, Leight (1999) aborde la notion de facteurs de risque, dans un secteur d’activité donné, en insistant sur le fait que l’adoption d’un comportement à risque n’est pas forcément lié à la conscience de la prise de risque qu’implique ce comportement. Ainsi le piéton âgé qui traverse hors passage pour piéton n’a pas nécessairement conscience qu’il prend plus de risque qu’un jeune, mais il fait néanmoins partie d’une population plus « à risque » d’avoir un accident dans ce type de situation.

Pour Thiffault (op. cité), il semble donc important de distinguer les comportements à risque (exposition au risque sans en avoir conscience), des conduites de risque qui font, selon lui, obligatoirement référence à une exposition consciente et volontaire à une situation dangereuse. Dans ce cadre, la compréhension du danger est un facteur déterminant dans la modification du comportement et dans l’évaluation de la prise de risque volontaire.

Enfin, pour Shtarkshal (1987), la prise de risque repose sur trois éléments majeurs. D’une part, le risque doit être perçu comme tel : la connaissance ou une certaine conscience du risque est indispensable pour évoquer la notion de prise de risque. D’autre part, la métaconnaissance de ses propres capacités à faire face à la situation est importante dans la prise de risque. Enfin, le troisième facteur, mais non le moindre pour l’auteur, concerne l’acceptation du risque qui implique une volonté consciente à accepter le risque. Cette volonté serait en lien avec la personnalité.

De plus, la nature du risque dans le cadre de déplacements piétonniers peut revêtir différents aspects. On pense avant tout au risque physique d’accident pour l’usager vulnérable, mais le risque peut aussi concerner le temps ou le coût du déplacement (prendre le risque de passer par tel itinéraire pour ne pas perdre de temps…) voire même des motifs plus triviaux (prendre le risque de traverser n’importe où pour éviter une rencontre inopportune…). Enfin, la prise de risque s’exprimera par l’intermédiaire des représentations du piéton (de la situation, de lui-même, de l’activité, de l’environnement...), qui ajustera son comportement selon un rapport « risque préférentiel/risque perçu » (Delignières, 1993), en vue, d’une part, de réduire la dissonance entre ces deux aspects de la représentation, mais aussi en répondant à un sentiment de plaisir associé à une certaine estime de soi dans la maîtrise du risque (Wilde, 1988).

A ces deux variables, risque et danger, nécessairement impliquées dans l’adoption d’un comportement en environnement routier, viennent s’ajouter des variables psychologiques qui sous-tendent tout comportement humain (Martin, 2005), dont la notion d’intention (choix délibéré d’un comportement, dangereux ou non), la notion de but (motif du déplacement) et la notion de satisfaction associée à la maîtrise de la situation. Ainsi, face à une même situation routière, objectivement dangereuse ou non, la notion de risque associée à un comportement pourra être totalement différente selon les individus, non seulement en fonction de leurs connaissances, de leurs représentations, mais aussi en fonction de la perception qu’ils ont de la situation ainsi que de leurs buts et intentions à ce moment précis.

Nous avons construit notre démarche méthodologique à partir de ces notions multiples, en essayant de prendre en compte l’expérience d’usager des individus, d’évaluer la représentation du danger et du risque qu’ils ont face à une situation dynamique et d’en déterminer les éléments saillants.

Notes
108.

Les notions théoriques attachées aux représentations ont été traitées dans la première partie de ce mémoire, chapitre II, pp. 58-61.