Résultats des analyses

S’il est vrai qu’une grande partie du temps de travail des conducteurs est consacrée à la conduite du véhicule dans le secteur du Transport Routier de Marchandises (TRM) longue distance (national et international), il n’en va pas de même pour l’activité des conducteurs dans le secteur de la distribution.

La journée des conducteurs de l’entreprise POMONA commence à 5 heures du matin. Après avoir récupéré la liste des clients qu’ils auront à livrer, ils vérifient le chargement du camion et font le point sur l’ordre selon lequel la tournée est organisée, en tenant compte des contraintes horaires imposées par les clients ou par les contraintes dont ils ont connaissance par leur expérience de la tournée. Une fois ces vérifications et préparations effectuées, ils peuvent alors démarrer.

Concrètement, l’activité des chauffeurs-livreurs que nous avons suivis comprend deux phases distinctes pour une tournée moyenne de 20 livraisons en une dizaine d’heures en centre ville de Lyon :

(1) les phases de conduite qui représentent environ 31% du temps de travail et

(2) les phases d’arrêt et de livraison qui représentent les 69% restants.

Les phases de conduite sont elles-mêmes réparties selon deux tronçons distincts :

(1) les déplacements de l’entrepôt jusqu’au secteur de livraison et retour en zones périurbaines pour lesquels la vitesse moyenne relevée est de 60 km/h, et

(2) les déplacements en zones urbaines de livraison pour lesquels la vitesse moyenne relevée est de 14 km/h. Ces derniers sont composés d’un grand nombre de manœuvres basse vitesse (Tableau 26).

Tableau 26 : Décomposition d’une tournée type de livraison de l’entreprise POMONA en secteur urbain (centre ville de Lyon)
Tournée type en centre ville de Lyon :
20 livraisons – durée totale = 10 heures
Conduite :
31% temps d’activité
68 km parcourus
Déplacement de l’entrepôt au secteur de livraison et retour Trajets Périurbains
38 km parcourus
Vitesse moyenne = 60 km/h
Déplacement intra-zone de livraisons Trajets Urbains
30 km parcourus
Vitesse moyenne = 14 km/h
7 à 10 marches-arrière
2 à 6 demi-tours
13 stationnements non autorisés dont 9 en double file
2 stationnements en secteur piétonnier
Arrêt Livraisons :
69% temps d’activité

Selon leurs dires, les conducteurs sont soumis à un stress important du fait de la pression temporelle importante inhérente aux impératifs de livraison, mais aussi en raison des risques constants d’accident avec des usagers vulnérables, risques liés à la conduite en milieu urbain. Comme l’a décrit Cholez (2001), les conducteurs ont tendance à associer le centre ville à un lieu de travail pour eux et un lieu de loisir, de promenade, pour l’ensemble des autres usagers qui « traversent n’importe comment et font n’importe quoi sans avoir conscience qu’un camion ça ne manœuvre pas comme une voiture ». Ceux qui font d’autres tournées que celles du centre ville considèrent celle-ci comme la plus stressante, en raison de l’omniprésence massive de non professionnels de la conduite.

Tous les conducteurs rencontrés nous ont déclaré ne compter que sur eux-mêmes pour assurer la sécurité des usagers vulnérables en ville, partant du principe que les usagers ne prêtent aucune attention aux véhicules quels qu’ils soient. Les situations qu’ils jugent les plus délicates sont :

  • La situation de marche arrière : ils pensent que la majorité des autres usagers ne comprennent pas le sens du signal sonore de recul ou n’y prêtent pas attention. De fait, nous avons pu observer que nombre de piétons passent ou même s’arrêtent derrière le véhicule sans prendre garde à la manœuvre en cours.
  • La traversée inopinée de piétons : hors passage pour piétons, sur passage pour piéton lorsque le feu est vert pour les véhicules, ou surgissant entre deux voitures.
  • La situation de tourne à droite : soit avec un deux roues motorisé ou non (cycliste ou cyclomotoriste) remontant le long du camion à droite dans l’angle mort, soit avec les piétons qui descendent sur le passage pour piétons en attendant de traverser sans tenir compte de l’empattement du véhicule.

En ce qui concerne les problèmes de la multi-activité au volant, nous avons identifié trois actions qui reviennent régulièrement au cours de la journée :

  • la recherche d’itinéraires souvent sans l’aide d’un système de navigation : quand ils sont utilisés, les systèmes de navigation appartiennent au conducteur. Aucun des véhicules sur lesquels nous avons effectué les analyses d’activité n’est équipé de ce type de système.
  • L’utilisation du téléphone portable : les conducteurs utilisent le téléphone cellulaire pour demander à un collègue un renseignement sur un client ou un lieu de livraison ou pour aider un collègue de la même façon. Les conducteurs les plus anciens aident souvent les plus jeunes ou les intérimaires qui n’ont pas l’habitude d’une tournée.
  • La consultation des bordereaux de livraison.

Ces actions peuvent être effectuées pendant un arrêt pour livraison, pendant un arrêt à un feu tricolore ou pendant la conduite.

Enfin, les verbalisations spontanées recueillies au cours des analyses ont mis en évidence un réel besoin en termes d’assistance à la vision arrière du véhicule.

Une grande majorité des conducteurs nous a suggéré spontanément l’installation d’une caméra sur l’arrière du camion « comme ça existe déjà sur les bennes à ordures ménagères » avec un retour sur écran dans la cabine. La plupart d’entre eux pensent que l’écran doit être installé sur la planche de bord à gauche dans le champ de vision du rétroviseur.

La position centrale est rejetée avec pour argument le fait que le conducteur de camion ne regarde jamais au centre de la planche de bord quand il effectue une manœuvre de marche arrière. Globalement ils ne sont pas opposés à l’installation de systèmes d’assistance à la détection et à la prévention des accidents avec les usagers vulnérables mais ils insistent sur la nécessité d’avoir un système fiable qui ne « bipe pas à tout bout de champ ».