La stratification sociale.

Si nous considérons la société comme constituée de groupes différents, qui viendraient, par leur réunion, produire un ensemble, nous devons considérer alors que ces groupes, selon des facteurs de distinction et d’appartenance qui permettent de les identifier, s’organisent entre eux, en strates et non pas en une somme homogène. Parmi ces critères de différenciation opérationnels, nous pouvons distinguer selon que nous nous penchons sur les sciences sociales, les sciences humaines, les sciences politiques ou les sciences économiques, plusieurs types. Ainsi des critères de différenciations tels que l’âge, le style de vie ou le sexe viennent s’ajouter à d’autres critères déterminants dans la constitution de groupes homogènes en interne, tels que les statuts professionnels, les revenus, les savoirs…. Les groupes sociaux ainsi déterminés, en raison d’un habitus partagé, ont en commun un système de valeurs et de représentations propres. Deux groupes sont alors définis pour situer les individus dans cette stratification sociale, les groupes d’appartenance et les groupes de référence. Si la définition du premier semble évidente, la définition du deuxième nécessite une précision. Le groupe de référence agit en effet comme un groupe « idéal » auquel s’identifie un autre groupe d’individus, et qui se pose comme le groupe « juge » des conduites apparentés à un groupe d’appartenance. Ainsi donc il y aurait déjà les prémisses dans une telle composition de la société d’une double volonté d’identification pour les individus : appartenir à un groupe et se référer à un autre pour juger du bienfondé des pratiques du premier. C’est en d’autres termes la réflexivité dont peut également parler Bourdieu141, lorsqu’il précise que l’agent se regarde lui-même de l’extérieur, comme pour anticiper en empruntant le regard de l’autre, le jugement sur sa propre identité. L’individu intériorise donc à la fois les pratiques de son groupe d’appartenance ainsi que ses représentations, et les pratiques et représentations du groupe de référence. Se dessine alors, dans une telle structuration de la société, au-delà d’une stratification, une véritable hiérarchie. Des groupes seraient ainsi soumis, voire se soumettraient, à l’objectivation d’un autre groupe, afin d’adapter ses comportements aux représentations de ce dernier. Les critères pour élaborer cette hiérarchie sont à leurs tours culturels et sociaux, en ce qu’ils varient en fonction des sociétés. Tandis que certaines accordent le crédit d’un groupe de référence sur des vertus religieuses, d’autres l’accordent selon des caractéristiques économiques, ou encore des valeurs guerrières, etc. De même les frontières de ces groupes sociaux sont plus ou moins perméables selon les sociétés. La société ainsi ayant les frontières les plus rigides en interne s’apparente à une société de castes, tandis qu’une société de classe prend des contours plus souples dans la détermination de ces groupes. C’est dans le cadre de nos sociétés occidentales contemporaines, que nous pouvons observer une stratification par classes sociales. Sans exprimer ici tout l’intérêt des théories marxistes à cet égard, nous nous en tiendrons au fait que la société, même si elle a pu devenir plus homogène ces dernières décennies par la montée de la classe moyenne, n’en demeure pas moins constituée en « classes sociales » voire même aujourd’hui, en classes socioculturelles.

Les analyses de Marx et Engels142, et de Weber143 ont permis un découpage de la société en classes, découpage dans lequel, pour Weber, on retrouve l’idée que le statut de classe peut être déterminé par un ordre économique, un ordre politique et un ordre social. C’est par la synthèse de ces deux analyses, et en ajoutant l’importance de la distinction que Bourdieu144 parvient à son tour à proposer de nouvelles conditions de ressources pour la classification des groupes de la société. Le capital économique, le capital culturel et le capital social deviennent alors les trois types de ressources au travers desquelles les individus peuvent se constituer en classes. Ainsi, le pouvoir se distribue entre chaque classe selon la nature de ses ressources et selon bien sûr leur déploiement. Or, il ne suffit pas de répondre aux critères d’une des classes pour y appartenir, encore faut-il, dans ses pratiques, que l’agent ait assimilé les manières de vivre et de penser de cette classe, autrement dit, qu’il en ait adopté les habitus. C’est en étudiant les modes d’acquisition de ces habitus dans une société stratifiée en classes hiérarchisées que nous serons amenés par la suite à apporter des précisions quant au cas particulier de la mode et de ses effets.

Notes
141.

P. Bourdieu, Remarques provisoires sur la perception sociale du corps, op. cit.

142.

On notera au-delà de cette stratification sociale, le possible transfert de cette théorie à la famille, dans cette perspective Engels précise : «Dans la famille, l'homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat.», F. Engels, L'origine de la famille, de la propriété privée
et de l'État
(Moscou : Éditions du Progrès, 1976) 82

143.

M. Weber, Économie et société, tome 1 : Les Catégories de la sociologie (Paris : Pocket, 2007)

144.

P. Bourdieu, La distinction, op. cit.