Les lois de l’imitation dans les processus de socialisation.

Si Durkheim ouvre la voie à une conception théorisée de la société et de ses pratiques structurantes, Tarde145 à sa manière propose une conception où les initiatives individuelles occupent une place fondamentale. C’est ainsi au travers de l’observation sur le terrain que Tarde apporte à la question de l’organisation sociale de nouvelles réponses par l’analyse de ses composantes réelles. Ce ne sont donc dans cette perspective, pas tant les individus eux-mêmes qui prennent valeurs de composantes, mais plutôt les courants d’imitation qui se diffusent à travers eux. Par là même, la société fonctionne selon Tarde selon des processus d’imitation, pour lesquels l’implication de chacun des individus est décisive. Les modes d’acquisition des pratiques dans un processus de socialisation et donc de constitution d’un groupe répondent à l’objectif ultime des hommes à vivre ensemble et donc à maîtriser leurs motivations et leurs désirs, dans une organisation structurante. L’imitation opère alors selon deux lois fondamentales, du dedans vers l’extérieur puis du supérieur vers l’inférieur. Ainsi donc, nous avons d’abord la copie et le modèle. En interne donc, l’imitation a lieu partant d’un noyau dur, central, vers les extrémités du groupe, et en externe, l’imitation a lieu partant d’un groupe social vers la classe supérieure, « sorte de château d’eau social d’où la cascade continue de l’imitation doit descendre »146. Il est intéressant de noter que dans cette métaphore « descendante », l’on accorderait la fonction à la classe supérieure de laisser descendre en quelque sorte ses pratiques vers les classes inférieures, n’accordant alors pas dans cette expression, le potentiel pouvoir des classes inférieurs à s’emparer en mode ascendant des pratiques de la classe supérieure. Tarde note également que ce processus d’imitation ne peut se faire sans quelques résistances, qu’il identifie de deux types, l’opposition et l’adaptation. Dans le premier cas, les résistants refuseraient d’imiter, et probablement inventeraient dans le meilleur des cas, innoveraient. Dans le deuxième cas, l’adaptation interviendrait possiblement après un phénomène d’opposition, en intégrant l’innovation afin d’assurer à nouveau une stabilité provisoire à cet équilibre social sans cesse retravaillé. A s’en tenir à une telle analyse du fonctionnement des processus d’imitation en cours dans la socialisation, dans une société de classes, nous voyons très clairement que les imitations ne sont pas « figées » entre un modèle et une copie, mais qu’elles procèdent davantage à des adaptations cycliques, qui permettent d’assurer, certes le maintien d’un ordre social, mais au travers de ce dernier, qui permettent de garantir les fonctions de distinction et d’appartenance de chacun des groupes.

Notes
145.

G. Tarde, Les lois de l'imitation (Paris : Alcan, 1890)

146.

Ibid.