Simmel168, nous met sur la voie d’une première explication au phénomène qui relierait la femme à la mode, et qui placerait en tout cas le vêtement à une place essentielle parmi les signes distinctifs convoqués par les femmes dans l’interaction.
‘« Si la mode exprime et accentue en même temps la tendance à l’égalisation et celle à l’individualisation, l’attrait de l’imitation et celui de la distinction, ceci explique peut-être pourquoi les femmes tiennent tout particulièrement à la mode, d’une façon générale. La faiblesse de la position sociale à laquelle furent condamnées les femmes durant la partie la plus importante, et de loin, de l’histoire, a pour résultat leur étroite relation à tout ce qui est mœurs, à ce qui se fait, à la forme de l’existence qui est reconnue et approuvée par tous. Car le faible évite de l’individuation, le fait de ne s’en remettre qu’à soi dans la pratique avec ses responsabilités et sa nécessité de se défendre tout seul par ses propres forces. »169 ’Associant donc le statut de femme à celui du statut des faibles, des opprimés, Simmel nous invite à reconsidérer la nature prétendument futile de la mode pour les femmes qui s’y conforment.
‘« La mode est en propre le terrain de jeu pour les individus qui, intérieurement, manquent d’autonomie et ont besoin pour sentir leur propre valeur qu’on les distingue, qu’on leur prête attention et qu’on les mette à part »170 ’Cette fonction attribuée à la mode insiste sur les possibilités de distinction et d’appartenance soulevées précédemment et nous met encore sur la piste d’une réflexion plus approfondie quant au lien qu’entretiennent les femmes avec la mode. La mode est alors selon Simmel, une réponse, la réponse unique qu’il reste aux femmes, pour l’expression d’une personnalité singulière.
‘« D’une part, elle (la mode) est un domaine d’imitation universelle, une immersion dans le sillage social le plus large, un soulagement pour l’individu de la responsabilité de ses goûts et de ses actions - d’autre part elle est une distinction, une accentuation, un embellissement individuel de la personnalité. »171 ’La mode a donc pour vocation d’accompagner les femmes dans une ultime expression de leur individualité, tout en se conformant aux rituels de la socialisation, et donc en participant du maintien de ces mêmes normes qui les contraignent. En outre, si les analyses des sciences sociales trouvent dans cet usage de la mode, un fait social évocateur d’une structuration particulière des relations hommes-femmes dans la société, les psychanalystes quant à eux y trouvent l’explication lacanienne de l’absence de La femme.
Nous allons procéder à une brève explication ici, permise grâce aux apports théoriques de la psychanalyse, mais néanmoins utiles dans le champ d’une analyse des représentations sociales. Ainsi donc, si la féminité n’est que l’absence de virilité alors la femme trouve s’identifie, d’abord, en tant que ce qu’elle n’est pas ou plutôt de ce qu’elle n’a pas. Définie d’une telle manière, la féminité est donc une construction entière basée sur une absence, un masque posé sur le manque, voire le masque du manque. C’est donc logiquement, puis presque « naturellement » que la féminité se construit non pas autour d’une « essence féminine » mais bel un bien d’un vide. La féminité pour s’exprimer se doit donc de passer par un système d’artifices, camouflant dans un premier temps le manque, et organisés, exprimant la féminité. Les postures féminines et les pratiques associées au sexe féminin se voient donc identifiées en ce qu’elles ne sont pas masculines, en ce qu’elles ne peuvent pas être masculines. C’est ensuite dans l’interaction que nous pouvons situer ces artifices, et la femme en action, mobilise ainsi l’ensemble de ce système ayant fonction de masque. L’activation de ce masque dans l’interaction est alors nommée « mascarade ». Rivière172 reprend et approfondit cette notion et insiste alors sur les formes de mises en scènes et de ritualisation de la féminité qui consistent à reproduire cette mascarade dans des situations particulières dans lesquelles la femme se trouve. C’est ainsi que par crainte de représailles (supposition de Rivière), la femme qui se verrait occuper momentanément la place d’un homme, aurait recours de façon stratégique bien qu’inconsciente parfois, paradoxalement, à la mascarade. Jouer la femme pour une femme qui se veut conforme aux injonctions de la société constitue donc le rôle féminin de la mascarade. Parade féminine par excellence, la mascarade, bien qu’activée de façon plus ou moins conséquente selon les situations, est à distinguer de la parade, en ce qu’elle ne fait pas que de répondre à une situation précisément définie, mais qu’elle est transversale à toutes les interactions dans lesquelles les femmes se trouvent. Ainsi, plus qu’un processus ou qu’une action, la mascarade serait une caractéristique identitaire, un « trait » féminin. La féminité, c’est la mascarade, ou encore, devenir femme pour un individu, c’est masquer le fait de ne pas avoir les attributs du masculin, c’est « mascarader ».
G. Simmel, Philosophie de la modernité, op. cit.
Ibid. 136
Ibid. 133
Ibid. 137
J. Rivière, La féminité en tant que mascarade, op. cit.