C’est en considérant la socialisation spécifique des individus de sexe féminin, que nous pouvons mieux saisir la typologie dressée par Heinich188 dans son étude des représentations fictionnelles de femmes dans la littérature. En effet, partant de l’observation des héroïnes féminines, Heinich extrait une typologie des différents états dans lesquels les femmes peuvent être identifiées. Ceci s’articule autour d’une variable spécifique selon elle aux femmes, leur liaison aux hommes.
Il existerait ainsi deux états principaux, la femme liée et la femme non liée, à l’homme, aux hommes. L’auteure prend ici en considération, également quand elle traite de l’ambivalence de l’émancipation féminine, deux natures particulières de liaison : les liaisons d’ordre sexuel, et les liaisons d’ordre économique. Combinant ainsi deux formes de rapport entre hommes et femmes, l’auteure aboutit à la conclusion que la femme est condamnée à une double expression de son statut, toujours dans un monde objectif masculin, elle doit donc exprimer sa disponibilité sexuelle et sa dépendance économique.
‘« Comme tout système structural, ce modèle possède une matrice d’engendrement, qui détermine chacune des figures en même temps que la configuration d’ensemble : il s’agit de l’articulation entre ces deux critères du statut que sont le mode de subsistance économique, d’une part, et la disponibilité sexuelle, d’autre part – Marx et Freud étant ainsi convoqués, indissociablement, pour définir la position occupée par une femme. »189 ’Plus ou moins disponible et plus ou moins dépendante, la femme considérée se représente donc et se présente aux autres, en arborant simultanément les signes codant pour son « niveau » de disponibilité et pour la « nature » de sa dépendance. Économiquement et sexuellement liée à l’homme et aux hommes, la femme a donc un parcours de vie dicté par les codes élaborés dans une société patriarcale. Et s’il demeure des possibilités pour la femme d’être non liée, celles-ci ressemblent de près ou de loin, dans la fiction, à des échecs ou des renoncements. Ainsi, la religieuse n’est elle pas dépendante ni disponible, tout comme la vieille fille ou la veuve ne le sont plus, ou comme la maîtresse et la courtisane paraissent l’être moins, tout en l’étant finalement davantage. Ainsi donc, nul autre choix n’apparaissent dans une société objectivement masculine, que d’être la femme d’un homme, une femme par rapport aux hommes, dont les statuts, plus que choisis, restent dictés. L’âge, les origines sociales, la culture, ou encore l’étiquette, induisent pour les femmes des comportements adaptés en réponse aux « besoins » sociaux d’un groupe masculin.
N. Heinich, États de femme. L'identité féminine dans la fiction occidentale, op. cit.
Ibid. 13