Les états de femme ainsi répertoriés, dans la mesure où nous avons connaissance des enjeux dans les interactions, nous permettent dès lors d’aborder les formes de ritualisation de la féminité, en tant que réponses à ces prescriptions. Si les femmes doivent exprimer au cours de leur interaction, leurs niveaux de dépendance et de disponibilité, alors nous comprenons bien vite qu’une femme dépendante encore de son père et disponible, met en scène son apparence pour faire valoir son identification en tant que femme disponible. C’est dans un tel cadre, que la mise en scène choisie peut être celle de la séduction ou celle du couple marital, dans lequel la femme joue un rôle tout aussi particulier que lorsqu’elle doit signaler a contrario sa disponibilité. Goffman190 traitant de cette mise en scène particulière nous indique déjà que les postures féminines ont un rôle déterminant dans cette interaction. Ainsi l’épouse doit elle aussi poursuivre un jeu de rôle relatif à son époux et aux attentes en termes de représentations pour une femme mariée.
Être reconnue en tant que femme n’étant finalement pas permis en dehors d’un dialogue avec les hommes, les femmes sont donc reconnues en tant que telles dans leur relation aux hommes et dans leur disponibilité vis-à-vis d’eux. Afficher cette disponibilité comme une invitation résonne presque comme une injonction, pour la femme, qui, ne se destinant pas à la vie religieuse, se doit de prendre époux pour continuer à exister en tant que femme. C’est au cours de sa socialisation et donc de son éducation, que la femme prend connaissance des techniques du corps et des rituels appropriés pour la mise en scène de son personnage dans le jeu de la séduction. Ainsi s’il est à l’époque de la bienséance, de l’étiquette et de la domination masculine, un dessein dans le jeu de séduction, il n’est pas davantage celui de la poursuite de la socialisation de la femme, que celui de l’amour. Les femmes ont donc intériorisé la nécessité qui leur semble naturelle d’évoluer au côté d’un homme référent pour continuer à être individuellement reconnue. La ritualisation de la féminité permet donc, dans les interactions, d’identifier les niveaux de dépendance et de disponibilité de la femme en question. Ainsi ritualisées et stéréotypées, les postures féminines trouvent écho dans un imaginaire social construit autour de la vision objective de la société, vision masculine rappelons-le. L’interprétation de ces postures est donc possible par le biais de la signification du stéréotype. Au cours d’une interaction, ces gestes et ces postures codent comme un ensemble de signes, dont les signifiés deviennent la disponibilité sexuelle de la femme. La langue du corps et la langue du vêtements sont alors parties prenantes dans la parole de la femme disponible, qui utilise donc ces deux moyens pour parvenir à ses fins, en l’occurrence, parvenir à obtenir les faveurs d’un homme, lui assurant son statut social et sa reconnaissance.
Pour exemple, nous prendrons simplement celui des parures de la veuve, exemple extrême mais tendant à démontrer rapidement à quel point la parure de la femme peut en venir à exprimer son statut. Ainsi la bienséance, soit disant, voudra que la veuve éplorée arbore les signes de son veuvage au travers de ses vêtements, comme pour l’identifier en premier lieu, non pas seulement en tant que femme, mais en tant que femme-veuve, femme-sans l’homme.
L’identification de la féminité semble donc passer, au-delà d’une identification sexuelle (et nous l’avons vu les deux ne vont pas forcément dans le même sens), par une identification de genre spécifique. La féminité ne se penserait donc qu’en rapport avec l’homme, dans un monde objectivement masculin et « naturellement » porté à la soumission féminine. Si les femmes ont longtemps répondu aux injonctions qui sonnaient alors comme autant de bons conseils dans les discours qui leur étaient adressés (dans leur éducation, dans les médias…), elles ont néanmoins saisi au fil du temps les enjeux d’une telle organisation patriarcale, sans doute perçus dans la sphère privée mais sans expression possible (dans une société où la parole était dédiée aux hommes exclusivement). Ainsi, à l’écoute du monde des femmes dans lequel elle évoluait mais également à l’observation de sa propre expérience personnelle, De Beauvoir191 192 a su inspiré à sa manière nombre de discours féministes, et est parvenue à ouvrir les premiers débats quant à cette domination masculine. Passant au crible les arguments des essentialistes sur les attributions « naturelles » des rôles féminins et masculins, de Beauvoir tend à démontrer que les assignations de chacun dans la société se font au détriment des femmes dans un monde alors socialement construit par les hommes, dominants, qui ont tout intérêt à maintenir une telle structure leur garantissant les pleins pouvoirs.
E. Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation de soi, op. cit.
S. De Beauvoir, Deuxième sexe : Les faits et les mythes (Paris : Gallimard, 1949)
S. De Beauvoir, Deuxième sexe : L'expérience vécue, op. cit.