3.1.2 « On ne naît pas femme, on le devient. »

Être femme : une conséquence naturalisée pour des causes socialement inscrites.

De Beauvoir contribue à alimenter une nouvelle forme d’argumentation pour la dénonciation de la division sexuelle et de la domination masculine. S’appuyant alors sur les théories scientifiques chères aux essentialistes, elle parvient à déconstruire tout le cheminement « naturaliste » qui consiste alors à l’époque à justifier la différenciation sexuelle par un ensemble de données naturelles, biologiques, bref, irréfutables. Articulant d’abord ses propos autour des observations biologiques d’animaux voire de végétaux, l’auteure poursuit par une étude historique du déterminisme des rôles masculins et féminins. Par ces démonstrations, de Beauvoir tend à proposer sa propre version des fonctions de l’assignation des rôles masculins et féminins, et cherche avant tout à en découdre avec « l’ordre des choses naturel » qui s’impose alors aux femmes.

‘« Aucun homme n’est définitivement leur maître. Mais elles ont de l’homme le besoin le plus urgent. La courtisane perd tous ses moyens d’existence s’il cesse de la désirer ; la débutante sait que tout son avenir est entre leurs mains ; même la star, privée d’appui masculin, voit pâlir son prestige ; quittée par Orson Welles, c’est avec un air souffreteux d’orpheline que Rita Hayworth a erré à travers l’Europe avant d’avoir rencontré Ali Khan. La plus belle n’est jamais sûre du lendemain, car ses armes sont magiques et la magie est capricieuse ; elle est rivée à son protecteur – mari ou amant – presque aussi étroitement qu’une épouse « honnête » à son époux. Elle lui doit non seulement le service du lit mais il lui faut subir sa présence, sa conversation, ses amis et surtout les exigences de sa vanité. »193.’

Dans ce réquisitoire, De Beauvoir utilise l’exemple de la courtisane que l’on pourrait être tenté de considérer comme possédant davantage de pouvoirs sur la situation d’interaction avec l’homme. Par cet exemple, l’auteure nous amène à revoir les relations entre hommes et femmes comme des relations d’interdépendance certes, mais d’interdépendances dans lesquelles la femme se voit subir le statut de l’homme dominant. Ne pouvant donc s’identifier individuellement à un statut autre que celui de « femme-liée », la femme joue le rôle qui lui est assigné pour se garantir, dans une telle structure sociale, une forme d’existence minimale. Répondant ainsi aux attentes du patriarcat, les femmes n’ont d’autres recours que de correspondre à la représentation de leur rôle féminin, et donc de produire et reproduire les caractéristiques attendues pour un tel rôle. Stéréotypées parfois, les postures féminines sont les effets de pratiques socialement et culturellement construites, permettant la reconnaissance de la femme telle qu’elle est permise dans de tels schèmes de perception d’une société androcentrée.

Notes
193.

S. De Beauvoir, Deuxième sexe : Les faits et les mythes, op. cit.445