Stéréotypes et préconstruits dans les interactions

« Le stéréotype est un préconstruit »194 et c’est dans cette mesure qu’il contribue à la connaissance et à la reconnaissance de l’identité d’autrui dans une interaction. En fonction des croyances, des idéologies, des représentations opérationnelles dans l’imaginaire social convoqué, l’individu interprétant les signes émis par un autre individu, procède à une forme de « raccourcis » dans le processus d’interprétation. Les significations produites pour cette interprétation sont donc le fruit d’une rencontre entre un signifiant, visible, et un schéma de pensée structuré socialement et culturellement autour de représentations stéréotypées, de préconstruits. La perception d’un signe faisant écho à un préconstruit significatif, l’interprétation est alors permise. Agissant comme un catalyseur du processus d’interprétation dans l’interaction et dans la communication, le stéréotype, en ce qu’il est caractéristique et « cliché » en quelque sorte, contribue à faire d’un ensemble de signes un tout reconnaissable et identifiable. Percevant un ensemble de signes et le structurant comme un système, l’individu interprétant trouve dans la figure du stéréotype un moyen d’optimiser son interprétation, en tout cas, de la valider au sein du groupe. Ainsi, nous verrons tous les hommes portant le complet veston sombre, accessoirisé d’un chapeau melon et d’un parapluie, comme des anglais, tandis que nous verrons tous dans un enfant vêtu d’une robe rose et coiffée de rubans, une fillette. Par là même, si en tant que femme française, je revêts le chapeau melon et le complet veston, mes vêtements et mes accessoires participeront à mon identification en tant que « femme déguisée en anglais », pendant qu’un homme portant une jupe et des bas ostensibles, une perruque et du maquillage, se verra identifié en tant qu’ « homme déguisé en femme ». L’enfant sait aussi que pour jouer l’indien, il portera ne serait-ce qu’une plume ou qu’il agitera sa main devant sa bouche en émettant les sons appropriés. Dans ces exemples, nous voyons rapidement que l’impact visuel dans une interaction est primordial à l’identification non pas forcément de l’individu mais en tout cas de son rôle. Et c’est cette perception visuelle qui donne lieu à une interprétation, qui peut alors s’accompagner d’un stéréotypage. Mais le stéréotype ne réside pas seulement dans celui qui le porte, il réside comme nous le comprenons, dans celui qui l’interprète. C’est en cela qu’il agit comme un préconstruit. L’individu, qui, dans ses pratiques, reproduit un modèle identificatoire reconnaissable, fait appel par là même, aux capacités d’interprétations et de reconnaissances d’autrui. Basés sur le partage d’un langage commun, le préconstruit et le stéréotype renforcent donc la possibilité de communication et de transfert de significations dans l’identification au cours d’une interaction.

C’est dans cette même perspective que nous pouvons comprendre les enjeux d’une réponse conforme des femmes aux attentes d’une interaction, et plus généralement les stratégies énonciatives identitaires de chaque individu. Le recours au stéréotype est un recours au préconstruit, qui permet à l’individu de se représenter sous une forme reconnaissable et identifiable dans une société donnée. Ainsi donc, pour être femme et le devenir aux yeux d’autrui, il est nécessaire pour la femme, prise dans les jugements d’une société organisée autour de la domination masculine, de produire une représentation d’elle-même, si ce n’est stéréotypée, au moins suffisamment ritualisée pour optimiser les chances de réussite de sa reconnaissance. Devenir femme consiste alors essentiellement dans une telle démarche, de produire et de présenter un ensemble de signes reconnaissables, qui, structurés dans un système, font écho à un préconstruit, présent dans une forme de conscience collective. Ainsi donc, on ne naît pas femme, mais on le devient en prenant connaissance de tels enjeux, au cours d’une socialisation dictée par les institutions d’une société régie par les hommes.

Notes
194.

B. Fradin & J. Maradin, Autour de la définition: de la lexicographie à la sémantique. Langue Française, 43 (1979) 60-83