Nous avons vu précédemment les conditions dans lesquelles la construction d’une identité féminine et donc d’un genre féminin avait été permise. Le genre féminin aurait donc valeur de réponse construite socialement et culturellement, à la domination exercée par les hommes sur le groupe des femmes. Si la langue du corps et la langue du vêtement ont été construites elles-aussi dans cette perspective, c’est déjà que la langue elle-même l’a été. Pour l’interprétation, faisant appel à des schémas de pensée préconstruits, l’individu fait donc appel à sa langue et à son langage dans les processus de significations. Or, la langue française, elle-même empreinte des traces d’une domination grammaticale du masculin, ne peut que relayer cette domination réelle et symbolique de l’homme sur la femme. Houdebine195 parvient à cette conclusion dans ses analyses linguistiques et propose pour palier à cette domination grammaticale renforçant la domination symbolique, de féminiser par exemple, les noms de métier. Outre cet exemple précis et concret de tentative de féminisation, nous pouvons citer les travaux d’Houdebine196 contribuant à démontrer le caractère performant d’une telle structure de la langue, sur les pratiques et les représentations.
Butler197 rejoint dans ses travaux cette même théorie, qui contribue à démontrer l’impact de la nomination et donc du discours langagier sur l’identification genrée des individus. Invoquant la notion de performativité empruntée à Austin, Butler aborde à la fois la ritualisation et le pouvoir des mots et en extrait les caractères performatifs dans l’interaction.
‘« L’idée d’Austin selon laquelle l’acte de discours illocutoire est conditionné par sa dimension conventionnelle, autrement dit par sa dimension rituelle ou cérémonielle, trouve son pendant dans l’affirmation d’Althusser qui veut que l’idéologie ait une forme rituelle et que ce rituel constitue l’existence d’un appareil idéologique. Pour rendre compte de la dimension rituelle de l’idéologie, Althusser invoque ainsi, de façon provocatrice, les analyses de Pascal sur la foi : « Pascal dit à peu près : mettez-vous à genou, remuez les lèvres en prière et vous croirez. »198 ’Prenant pour exemple le plus significatif, l’attribution même du prénom à la naissance, nous reconnaîtrons le caractère performatif du discours dans l’appellation d’un individu par un prénom sexué. La langue apparaît comme le relais privilégié des stéréotypes de genre et contribue, en parallèle de la langue du corps et de la langue des vêtements, à renforcer les attributs du genre féminin et à justifier les identifications de genre. Houdebine199 n’a de cesse pour alimenter son argumentation de citer de nombreux exemples dans la langue, qui pratiquée dans le langage et interprétée au sein d’un système de représentations opérationnel, démontre ce renforcement du stéréotype, ou en tout cas, sa participation dans l’identification de la femme en tant que soumise au jugement masculin. Une telle structure de la langue et une telle pratique du langage participent donc à une interprétation générale de l’ensemble des signes qui concourent à l’identification d’un individu.
‘« Le fait est connu aujourd’hui, non seulement les parlers peuvent être sexués et la langue discriminante, mais les propos des hommes et des femmes ne sont pas entendus de la même façon, lors d’interviews, de conférences, de conversations, de textes de fiction (Aebischer 1985). Il en va de même pour les icônes : les stéréotypes influencent les productions : la photo d’un enfant en pleurs n’est pas commentée linguistiquement de façon identique. D’un garçon il est dit qu’il pleure parce qu’il est en colère ; d’une fille, qu’elle pleure parce qu’elle a peur. »200 ’L’apparence, le langage du corps et du vêtement sont eux-mêmes passés aux cribles du stéréotype et de la sexuation langagière dans leur interprétation.
A. Houdebine-Gravaud, Trente ans de recherche sur la différence sexuelle, ou Le langage des femmes et la sexuation dans la langue, les discours, les images, op. cit.
Ibid.
J. Butler, Le Pouvoir des mots : Discours de haine et politique du performatif (Paris : Éditions Amsterdam, 2008)
Ibid. 55
A. Houdebine-Gravaud, Trente ans de recherche sur la différence sexuelle, ou Le langage des femmes et la sexuation dans la langue, les discours, les images, op. cit.
Ibid.