Le discours et l’apparence participent donc d’un processus de genre, comme nous l’avons défini auparavant. Si le genre est lui-même une composition de représentations et que sa traduction dans la réalité passe par une complexité de signifiants et de signifiés, nous sommes en droit de nous interroger sur la possibilité de « représenter cette représentation » complexe. Double contrainte dans cette représentation, qui ne consiste plus seulement à mettre en série une suite de signes mais qui consiste à composer un système de signes, qui dans leur présentation sont eux-mêmes individuellement soumis à une mise en perspective symbolique. S’il est permis dans le discours d’identifier clairement par une grammaire sexuée, les hommes et les femmes et de les y distinguer, en image, l’opération devient plus complexe. En effet, nous l’avons vu, l’apparence est une composition, elle fait appel à la langue du corps et la langue du vêtement, mais n’en est pas moins instable.
L'étude des images de la féminité et de ses représentations, notamment dans la publicité, a fait l'objet de plusieurs études de Soulages.
‘« Derrière son catalogue de mondes possibles, la publicité propose son propre reflet rêvé et “imaginarisé” de la réalité sociale, des modes de vie et de consommation, égrenant un vaste système de classement de soi et des autres. La définition du genre y apparaît bel et bien comme un espace de conflictualité à l’intérieur duquel se joue une lutte symbolique pour la construction des identités des êtres sexués et de leur être social. Dans nos sociétés médiatisées, la publicité se présente comme un authentique programme de construction identitaire mais surtout comme un des porte-parole de l’Imaginaire Social définissant l’horizon des possibles d’une collectivité. »201 ’Si nous considérons les langues du corps et du vêtement, nous pouvons leur attribuer nombre de fonctions d’une langue, toutefois, nous ne pouvons lui accorder la stabilité du système langue. Les modifications possibles sur les signifiants même de cette langue induisent une forme de mobilité et de variabilité non plus des signifiés mais des signifiants eux-mêmes qui vient troubler l’identification de genre. Les marqueurs de genre pouvant connaitre par stratégie ou par injonction, de profondes modifications, l’identification par l’apparence se complexifie. Dès lors, la représentation d’une image du genre, lui-même non homogène et non stable dans l’agencement de ses signes, prend nature de challenge. Devant une telle complexité pour la représentativité, les représentations empruntent par défaut presque, le chemin des raccourcis du stéréotype, assurant ainsi non plus les traces d'une réalité sociale, mais les traces d'une représentation sociale stéréotypée.
‘« En effet, ces visuels débouchent sur une sédimentation d’images archétypales de la « féminité » ou de la « virilité » exhibant des identités narratives découlant de stratégies figuratives particularisantes (donnant lieu à des normes dominantes, divergentes ou bien totalement périphériques [...] Les univers convoqués, les formes visuelles et plastiques, tout concourt dans l’expression iconique à nourrir une opposition marquée du genre à travers des traits tout à fait stables de différentiation. Le personnage masculin s’affiche comme un sujet agissant inséré dans des mondes réalistes (la ville, l’espace privé, etc.), à l’opposé, la femme y est figurée dans des attitudes de parade de séduction illustrées par des gestes qualifiants et immergée dans des univers déréalisés (fonds texturés, à plat colorés, univers éthérés etc.). »202 ’Si une différenciation en termes de représentation du genre, féminin ou masculin, est ainsi visible et clairement identifiable dans les discours publicitaires ici, il n'en reste pas moins le problème de la représentation du genre féminin lui-même, traduit dans une forme figée dans un univers androcentré, ne tenant pas compte de la pluralité de représentations qu'un individu peut recouvrir dans une même pluralité de situations. Et nous le comprenons dans les propos de Soulages, les situations étant elles-mêmes, à quelques détails près, toujours les mêmes, alors, les représentations du genre demeurent fixes. En outre, les femmes, peut être même plus que les hommes, nous le verrons, ne peuvent se représenter dans une seule et même image représentative, qui se voudrait exhaustive d'une complexité d'états réels, eux-mêmes distincts dans le temps et dans l'espace. Nous envisagerons plus tard le cas particulier des images de mode construites par la presse magazine féminine et nous tenterons d'isoler de nouvelles fonctions pour ce cas particulier de représentations stéréotypées.
Le cas particulier du genre féminin vient poser d’autres problèmes à sa représentation en images. Ainsi, la femme est identifiée nous l’avons vu, tout au long de son parcours de vie, par de multiples images.
‘« Encore faut-il montrer comment se déclinent concrètement les façons plurielles d’être une femme, quelque part entre l’unicité fantasmatique imaginée parfois, de l’extérieur, par des hommes en mal d’idéalisation (chantres de la « femme » ou propagandistes du « devenir femme ») et l’infinie diversité des situations réelles, dont la particularité échappe par définition à toute généralisation »203.’Son âge et son statut venant modifier son apparence au cours du temps, il est particulièrement délicat de proposer UNE représentation de la femme. Caractérisé par son mouvement perpétuel, le genre féminin, déjà défini essentiellement en rapport au « genre masculin » soit disant stable, ne peut se résumer techniquement dans une seule et même composition visuelle universelle et représentative. S’il y a plusieurs images de femmes dans une seule, alors comment représenter en une seule image, toutes les femmes ?
Toute la problématique de la représentation du genre féminin prend racine dans ce questionnement sans réponse. Soit à produire un seul modèle, qui bien que performatif, n’en sera pas moins non représentatif sur le long terme, la seule réponse qu’il nous paraît possible d’apporter à ce problème, est la production de plusieurs images pour plusieurs femmes.
‘« Ainsi cette multiple approche – historique, sociologique, anthropologique, psychanalytique - dessine les contours d’une problématique qui n’est plus seulement celle de l’inconscient dans le psychisme individuel, ni de la représentation dans une culture collective, mais celle de l’identité, telle qu’elle se construit dans l’articulation du conscient et de l’inconscient, de l’individuel et du collectif, de la contingence et de la règle. »204 ’Or, si nous considérons qu’un individu et qui plus est, une femme, à travers les assignations qu’elle connaît chronologiquement et simultanément, s’identifie au travers de différentes postures selon les enjeux de l’interaction, nous ne pouvons résumer l’ensemble de l’individu dans une seule image représentative, ou bien celle-ci serait à situer dans un contexte suffisamment précis pour faire sens au moment de l’interprétation. Nous nous trouvons donc devant la multiple contrainte de la représentation en image du genre féminin, faire correspondre une image de femme à un contexte social, sachant que cette image est elle-même une composition de multiples représentations. Il s’agit alors de procéder au passage d’une représentation des multiples identités de la femme à une représentation de son identité multiple.
J. Soulages, Le genre en publicité, ou le culte des apparences. MEI. Media et Information, n°. 20 (2004) 51-59
Ibid.
N. Heinich, États de femme. L'identité féminine dans la fiction occidentale, op. cit. 331
Ibid. 345