Il est ici un double stéréotypage à identifier si nous voulons approcher le plus justement la problématique des discours de la presse magazine féminine. En effet, si les féministes tendent à dénoncer le caractère stéréotypé des images et des discours de ce type de médias, leurs propres discours eux-mêmes relayés dans les médias, ont pu faire l’objet d’une certaine forme de stéréotypage pour être traduits au sein de l’espace public. Ainsi donc deux aspects doivent être abordés pour l’étude du cas particulier du discours féministes dans les médias. D’abord, nous pouvons traiter du contenu de ce discours, impliquant la dénonciation d’un stéréotype. Ensuite, nous pouvons traiter de la nature de ce discours féministes médiatisé, lui-même en jeu dans un processus de stéréotypage.
Nous passerons sur une approche historique exhaustive des médias, qui retracerait l’ensemble des évolutions du discours médiatiques, nous noterons seulement que l’apparition des premiers magazines féminins est à associer à la diffusion de modèles de couture. C’est ainsi que dès le 18ème siècle, les femmes ont accès à un ensemble de publications féminines liées à la mode ou encore à l’actualité de la vie mondaine. Dédiée d’abord à une aristocratie élitiste et conservatrice, il faut attendre la révolution française pour que la presse féminine élabore les prémisses de la presse féministe. Dans l’ère de revendications de nouveaux droits, avec le décret sur le mariage civil ou encore sur la légalisation du divorce, la presse féminine engagée et militante prend forme. Or, la période de la Restauration coupe court à ces essais et la presse féminine reprend son sujet de prédilection, la mode. Nous noterons, comme le souligne Sullerot220, que la presse féminine à ses débuts était avant tout l’histoire des mœurs, à l’instar de la presse d’information construites autour des événements du monde environnant :
‘« un reflet significatif de la vie quotidienne, de l’économie domestique, des rapports sociaux, des mentalités, des morales et des snobismes passionnés, dans leur monotone frénésie de nouveautés »221 ’Ensuite encore interdite par Louis Napoléon Bonaparte, la presse féminine peut finalement reprendre forme dans un nouveau contexte social, celui de la révolution industrielle et de l’essor de la classe bourgeoise. L’ouverture des grands magasins parisiens, ainsi que la diffusion d’une mode parisienne, apportent à la presse féminine de nouvelles raisons d’exister. Contribuant dans un premier temps au succès des couturiers et de leurs modèles, la presse magazine féminine française s’inspirera par la suite de la presse américaine, et notamment du Vogue américain créé en 1892. C’est ainsi que sur les plans de la forme et du fond, la presse féminine connaît de profonds changements. La forme prend du relief en images et en couleurs, grâce aux progrès techniques. Le fond quant à lui, dans l’ère de consommation qui s’amorce, s’enrichit de nouvelles thématiques, parmi lesquelles la beauté et l’esthétique, ce qui témoigne par là-même de l’essor de la nouvelle industrie cosmétique. Et c’est enfin avec l’essor de la publicité que la presse féminine devient le relais essentiel pour les marques qui désirent optimiser leur visibilité auprès de leur clientèle. Par la suite, toujours témoin de l’évolution et de la condition sociale de la femme, la presse féminine introduit dans ses pages de nouvelles rubriques dans lesquelles on retrouve alors des conseils pratiques, divulgués avec un certain pragmatisme (comme Marie-Claire par exemple) ou encore des témoignages soulevant des problèmes humains cette fois, faisant de la presse féminine un lieu d’expression, un instrument pour la femme dans l’organisation de son quotidien.
D’abord considérée comme une aide pour la femme, qui « a besoin de conseils spécifiques pour mener (à bien) sa tâche au foyer »222, elle informe également et Ryskiewic223 précise que la traduction de l’actualité est biaisée par une interprétation teintée des valeurs et de l’opinion de l’auteur. La presse féminine ne traite donc pas d’une actualité immédiate mais fournit à son lectorat une réalité observée, et son discours est reconnaissable par une forme de positivisme spécifique. Les nouvelles traduites sont donc souvent des nouvelles heureuses. Pour Bonvoisin et Maignien224, la presse magazine féminine revêt d’autres fonctions majeures, au-delà de l’information, qui s’apparentent davantage à la formation même. Ils insistent sur ce rôle de conseiller, et vont jusqu’à conférer à la presse féminine le rôle de « guide moral garant des valeurs établies ». Nous voyons donc que dans un premier temps, la presse magazine féminine se fait un des relais de socialisation pour les femmes, qui pérennise l’ordre des choses établi par une société androcentrée, et renforce donc les rôles traditionnels des femmes, en produisant des représentations du genre féminin en accord avec les conceptions patriarcales de la société environnante. Il n’a donc pas toujours été question d’introduire des discours d’émancipation dans la presse féminine. Toutefois, malgré cet effet de moralisation, les discours produits par la presse féminine trouvent écho au sein de leur lectorat en utilisant un ton de complicité, c’est par une proximité avec ses lectrices que cette presse peut jouer ses fonctions de garantes de la morale. Ajoutées à ces premières fonctions d’informations et de formations, les fonctions de divertissement et de loisir optimisent la circulation de messages moralisateurs. C’est donc tout un système dont il est question ici, organisé certes autour d’une pérennisation des valeurs morales traditionnelles, mais qui, agrémenté des fonctions de divertissement et structuré sur un ton complice permet de rendre « efficace » la diffusion de ses représentations de la réalité. Nous pouvons ajouter à cela le caractère prescriptif de la presse féminine qui trouve naturellement sa place dans la société stratifiée, dans laquelle la classe dominante se veut modèle pour les classes inférieures. Ainsi donc, la classe dominante s’identifie « directement » aux modèles et aux représentations construites dans la presse féminine, tandis que les classes inférieures y reconnaissent la classe de référence de laquelle il souhaite adopter les pratiques, en vue de feindre une éventuelle appartenance. Les lois de l’imitation trouvant leur lieu naturel d’expression (entre autres dans la mode), la presse féminine revêt dès lors, dans un tel contexte, la fonction de prescripteur, au-delà de celle du simple conseiller. Houdebine, pour un tout autre exemple de tendances, en linguistique cette fois, avait elle-même noter que l’adoption de nouvelles pratiques langagières empruntées aux classes supérieures ou à la ville (pour les ruraux), était due principalement aux femmes, qui par la suite, pouvaient diffuser au sein du foyer et notamment aux enfants, ces nouvelles pratiques. Ainsi donc, à l’affût de la nouveauté mais très certainement à l’affût de la nouvelle pratique leur permettant une identification aux classes supérieures, les femmes demeurent les individus ciblés de façon privilégiée pour la diffusion de nouvelles tendances dans la société de consommation. Jouant de son apparence pour son identification, alors seule issue permise pour la femme de produire une identité, la mode et les tendances qui y sont liées font figure d’un lieu naturel d’expression pour elle. Nous pouvons en déduire en partie le succès d’une telle presse prescriptive auprès de ce public. Toutefois, les évolutions sociales environnantes prennent part dans ce dialogue entre les femmes et la presse qui leur est dédiée. Leurs centres d’intérêts ayant évolué, avec leur arrivée dans la vie active et leur émancipation, la presse féminine, si elle veut poursuivre son dialogue avec son public, se doit donc d’adapter ses discours et ses représentations à ces nouvelles données sociales. C’est ainsi que les années suivant la seconde guerre mondiale ont marqué la presse féminine occidentale, et notamment la presse féminine française.
En résonnance à l’émancipation de la femme et à sa volonté d’autonomie, la presse magazine féminine propose alors de nouveaux discours, qui tendent à s’éloigner des simples diffusions de la mode, pour s’établir en tant que presse féminine généraliste, comme le montre les premières éditions de Marie-Claire et de Elle. Mais parallèlement à cette transformation de la presse féminine, la presse féministe voit le jour notamment à la levée de la censure au 19ème siècle. La presse féminine voit donc ses fonctions s’enrichir et se modifier à l’arrivée de nouveaux discours sociaux. Dénoncée et controversée par les voix féministes, la presse féminine, devant une telle pression, voit sa construction de discours évoluer. Si nous admettons que la presse féminine pour autant ne devient pas la presse féministe et que ces deux types de médias restent distincts, nous notons toutefois, et notamment dans le Marie-Claire, que les débats instaurés par les féministes, sont relayés en partie au sein de la presse féminine. Sans radicaliser les discours autour d’un militantisme parfois violent, la presse féminine introduit plus ou moins discrètement de nouvelles représentations du genre féminin, ce qu’elle avait déjà tenté avec l’introduction de témoignages.
Ainsi, les représentations du genre féminin de la presse féminine se retrouvent au carrefour, pour certains titres, des représentations sociales traditionnelles en cours et des représentations nouvelles inspirées du féminisme militant. C’est à ce carrefour de représentations que réside la complexité de la production du discours et des images de la presse magazine féminine. C’est à ce même carrefour, que nous poserons les questions qui nous animent dans ces travaux. Ce parcours de la presse féminine se retrouve détaillé par Soulier225 dans son ouvrage qui reprend comme Monneyron226, le caractère frivole du sujet pour mieux en démontrer l’importance en tant qu’objet d’étude.
La presse magazine féminine a donc un rôle à jouer, dans la construction des représentations sociales du genre féminin, en ce qu’elle se fait le relais de discours inscrits dans la sphère publique et en ce qu’elle s’adresse précisément aux cibles d’un stéréotypage et en particulier aux femmes dans un monde androcentré. Accompagnant la socialisation des femmes dans un tel contexte, la presse magazine féminine doit donc savoir articuler des discours à double vocation, entre l’accompagnement d’une émancipation revendiquée et la prescription de pratiques normées et attendues. C’est dans la maîtrise de cet écart que les discours et les images de la presse magazine féminines vont devoir s’illustrer, et c’est dans la manipulation habile de cette zone aux frontières floues, que cette presse tend alors de rendre possible un processus d’identification de sa cible. Si l'image publicitaire est vouée à interpeller une cible commerciale étendue et à s'adresser par le biais de raccourcis, de préconstruits et de stéréotypes à cette dernière pour vanter des promesses liées à l'usage d'un produit ou d'une marque, nous supposons qu'il n'en est pas de même pour les discours de la presse elle-même, qui doit veiller à articuler une logique économique avec une logique sémiologique, sur laquelle repose le contrat de lectorat passé avec son public.
E. Sullerot, La presse féminine (Paris : Armand Colin, 1963)
Ibid.
J. Obergfell-Abreu, La presse féminine. Dans Femmes et médias, Bosshart, L. (Fribourg : Presse Universitaires de Fribourg, 1991)
J. Ryskiewic, Magazines féminins. Dans Femmes et médias, Bosshart, L. (Fribourg : Presse Universitaires de Fribourg, 1991)
S. Bonvoisin & M. Maignien, La presse féminine, 2 éd. (Paris : Presses Universitaires de France - PUF, 1986)
V. Soulier, Presse féminine : La puissance frivole (Paris : L'Archipel, 2008)
F. Monneyron, La frivolité essentielle, op. cit.