La presse féminine se développe autour de trois fonctions principales : informer, distraire, conseiller les femmes. C’est à l’intérieur de ces trois fonctions que la nature des discours prend la forme d’informations, de distractions ou de conseils, qui tendent à renforcer l’ordre social des choses alors établis, ou tendent à déconstruire cet ordre en proposant, avec anticipation de nouveaux discours capables de faire évoluer à leur tour les discours sociaux. Le magazine moderne, quelque soit son domaine d’investigation et sa cible, a recourt à la combinaison de deux récits, celui du visuel et celui du texte. Charon227 propose une précise de ces deux types de récits, d’abord en les distinguant, puis en insistant sur la place consacrée à l’image.
‘« Au fil des décennies le rôle de celle-ci n’a cessé de se renforcer, de s’enrichir, devenant totalement interdépendant du texte. Il ne s’agit pas de simple illustration, comme c’est bien souvent le cas pour un quotidien, mais bien d’un récit spécifique, dont il possible de souligner au moins trois fonctions essentielles. »228 ’Ces fonctions sont celles de renseigner, de guider et de faire plaisir. Nous noterons que ces fonctions des images sont les mêmes que celles que l’on attribue traditionnellement à la presse magazine, pour qui le souci d’actualité et d’information n’est évidemment pas le même que pour la presse quotidienne, compte tenu des délais de parution et donc de production différents. L’objet même des discours de la presse magazine n’est donc pas de même nature que celui de la presse quotidienne d’informations. Aussi, est-il reconnu par les chiffres, que les magazines s’adressant principalement ou majoritairement aux femmes représentent le second segment de la presse périodique grand public. Il semble alors que ce mode d’adresse médiatique, la presse magazine illustrée, soit l’apanage d’un public féminin. D’autres soulignent l’importance de ce type de presse dans la socialisation des femmes, quitte à en juger à l’emporte-pièce parfois, son caractère stéréotypé, ce qui relève néanmoins d’une représentation courante dans la société de la presse magazine féminine :
‘« Peut-être à cet égard, devrait-on prêter davantage d’attention à l’importance actuelle des magazines féminins. D’ailleurs la dyssimétrie entre hommes et femmes ne se révèle jamais mieux que dans la différence entre magazines masculins (peu nombreux, et où les photos de femmes à reluquer l’emportent largement sur les images d’hommes auxquelles s’identifier) et les magazines féminins (pléthoriques et remplis, non pas de photos d’hommes pour faire rêver, mais d’images de femmes à imiter). S’y exprime, quasiment à chaque page, le désarroi identitaire face à cette ouverture des choix et, corrélativement, des modes d’excellence […] »229 ’Les images viendraient donc renforcer les fonctions de la presse magazine et nous pouvons avancer que les images de la presse magazine féminine viennent à leur tour renforcer les fonctions de conseil et d’informations dédiés au public féminin. Nous préciserons le rôle de ces dernières dans la partie suivante.
Revenons alors à la double logique des médias telle que Charaudeau230 l’a établie. Il s’agirait de répondre à une logique économique, sur un marché donc, simultanément à une logique sémiologique, auprès d’un public récepteur. Analyser les médias et leurs dispositifs relève donc de la considération de ce double objectif. Parlant des médias d’information plus particulièrement, l’auteur précise que ces derniers diffusent des informations relatives aux événements qui se produisent dans l’espace public tout en répondant à une logique économique, selon laquelle tout organe d’information agit comme une entreprise. Ayant pour finalité la fabrication d’un produit et sa distribution commerciale, les médias d’information ajoutent à cette démarche, une logique sémiologique. L’organe d’information est cette fois à considérer comme une machine produisant des signes, contribuant à la construction du sens social. Ainsi donc il apparaît que pour répondre à cette logique sémiologique, les messages produits doivent trouver écho au sein d’un public. Les médias en viennent donc à produire, à élaborer un message médiatique, à diffuser une information construite au travers des jeux de langage, et à soumettre cette « représentation » informative au public. Or, Charaudeau insiste sur ce caractère construit de l’événement médiatique (comme Veron231 a pu le faire également) et suggère un processus d’identification de la cible à la réalité médiatique diffusée, pour optimiser la réussite du projet économique et sémiologique des médias.
‘« Les médias ne transmettent pas ce qui se passe dans la réalité sociale, ils imposent ce qu’ils construisent de l’espace public. L’information est essentiellement affaire de langage et le langage n’est pas transparent au monde ; il présente sa propre opacité à travers laquelle se construisent une vision et un sens particulier du monde. Même l’image que l’on croyait plus apte à refléter le monde tel qu’il est, a sa propre opacité que l’on découvre de façon patente lorsqu’elle produit des effets pervers. [...] Les médias, s’ils sont un miroir, ne sont qu’un miroir déformant, ou plutôt ils sont plusieurs miroirs en même temps, de ceux qui dans les foires, malgré la déformation, témoignent malgré tout, chacun à sa façon, d’une parcelle amplifiée, simplifiée, stéréotypée du monde. »232 ’Cette logique de construction de la réalité par le biais des effets de réels, de l’utilisation de l’image et de la construction des discours n’échappe pas à la presse féminine. Ainsi nous pouvons trouver dans la maîtrise d’une telle production d’informations et de messages, la possibilité pour la presse féminine de développer sa propre stratégie d’énonciation. Nous l’avons vu, les évolutions sociales du statut de la femme et la modification des représentations du genre féminin inspirée par le féminisme, trouvent leur place au sein de la presse féminine. Toutefois, sans être militante, la presse féminine inscrit ces nouvelles représentations sociales au sein de son dispositif discursif, en faisant cohabiter discours de presse féminine et discours féministes. La presse féminine tend donc à produire un discours oscillant entre prescription et libération, en tenant compte d’un ensemble de représentations sociales du genre féminin en cours dans la société contemporaine à ses parutions. Nous retrouvons donc dans la presse magazine féminine cette pluralité de miroirs dont Charaudeau fait l’article. Si nous considérons les possibilités de mutation d’une représentation sociale telles que nous les avons identifiées précédemment, nous devons reconnaître à la presse féminine la lourde tâche qui lui incombe, de produire des représentations sociales suffisamment conformes et normées pour l’acceptation de son discours par le plus grand nombre, tout en insufflant de nouvelles possibilités en termes de représentations à son public-cible de femmes, agissant ainsi comme organe participant de l’émancipation de ces dernières.
Si cette problématique qui anime aujourd’hui la presse féminine est admise comme structurante dans ses productions, les controverses féministes ont d’abord évoqué le caractère essentiellement prescriptif de la presse féminine dans leurs dénonciations. En effet, si nous reprenons l’historique de la presse féminine, nous devons noter la nature stéréotypée des modèles de représentations avec lesquels la presse féminine produisait ses conseils et ses prescriptions. La presse féminine a d’abord contribué à un renforcement des pratiques de genre. A sa décharge, compte-tenu de sa double logique économique et sémiologique, la presse féminine se devait, pour assurer sa place sur un marché, répondre à une certaine normativité dans sa production de discours, afin de trouver, non pas forcément des adeptes en termes d’idéologie, mais au moins, dans un premier temps, de produire un discours apte à être interprété dans une telle configuration socioculturelle, celle du patriarcat. A la rencontre de son public, qui n’était pas mu de considérations féministes à cette époque, ou en tout cas, pas majoritairement tourné vers ce débat, la presse magazine féminine n’a fait alors que soumettre des représentations certes construites par elle-même dans ses pages, mais toutefois représentatives du système dans lequel elle prenait ses sources. C’est donc devant une pression grandissante d’une partie de plus en plus importante de son lectorat que la presse magazine féminine a pu se faire à son tour le producteur et le relais de nouvelles représentations du genre féminin. Après l’ère de la socialisation normative des femmes, le temps de la libération et de l’émancipation est venu, et a pu être à son tour intégré dans la construction des discours de la presse magazine féminine. Conservant ses stratégies socio-discursives propres, la presse féminine peut donc faire passer de nouvelles représentations médiatiques du genre féminin dans la sphère sociale et contribue alors à une modification progressive des représentations sociales en cours. Cette approche de la presse féminine, évoquée par Soulages dans ses propres analyses de la publicité télévisuelle, met en avant une possibilité d'énonciation propre au public concerné, à la différence d'autres médias:
‘« Sur le petit écran, comme sans doute dans l’expérience vécue de ses publics, l’identité féminine est structurellement fragmentée et chaque téléspectatrice doit jongler constamment avec plusieurs répertoires définitionnels divergents. Manifestement, la publicité à la télévision ne peut assurer un discours univoque et fédérateur, comme elle peut sans complexe l’assumer dans certains magazines féminins. Elle se doit d’y parler à tous et à toutes et s’évertuer à faire cohabiter ce chœur dissonant. »233 ’Nous pouvons désormais nous interroger sur la stratégie discursive de la presse féminine qui se doit de répondre aux besoins de normativité d’un groupe d’individus tout en répondant, dans son cas précis, aux volontés d’émancipation des femmes, qui viennent alors s’opposer à l’ordre des choses tel qu’il est une entendu pour l’ensemble d’une société androcentrée. Comment donc, la presse féminine peut-elle anticiper sur les représentations sociales du genre, en proposant des représentations médiatiques divergentes de la norme, tout en poursuivant les objectifs économiques et sémiologiques propres aux médias, qui nécessitent un processus d’identification en miroir ?
En d’autres termes, et nous poserons ici notre problématique, la presse magazine féminine est elle prescriptrice d’un seul modèle du genre féminin, ou fournit-elle, notamment à travers sa production d’images de mode, un espace de négociation pour les représentations de genre ?
J. Charon, La presse magazine, op. cit.
Ibid., p. 85
N. Heinich, Les ambivalences de l'émancipation féminine (Paris : Albin Michel, 2003) 17
P. Charaudeau, Le discours d'information médiatique : La construction du miroir social, op. cit.
E. Veron, Construire l'évènement. Les médias et l'accident de three mile island (Paris : Les Éditions de Minuit, 1997)
P. Charaudeau, Le discours d'information médiatique : La construction du miroir social, op. cit.
J. Soulages, Les avatars de la publicité télévisée ou les vies rêvées des femmes. Le Temps des médias, 12, n°. 1 (2009) 114-124