La complicité avec la co-énonciation et la co-construction de sens.

Nous savons déjà que pour la compréhension d’un discours émis par un destinateur au profit d’un destinataire, il faut que chacun d’eux partage un système de références commun. Pour cela, chacun doit avoir connaissance du système de référence de l’autre, et en particulier, le producteur, la presse féminine dans notre cas, doit connaître le système de référence de son lectorat ciblé pour s’assurer que celui-ci saisira le sens et le fonctionnement du discours produit. Dans le cas du discours social médiatique de la presse féminine, nous sommes face à un genre de discours spécifique. Établi en tant que genre, ce type de discours s’inscrit dans le mécanisme général de la presse féminine. Ainsi donc, même si les contenus peuvent varier d’un titre à un autre, la presse féminine a son propre genre discursif, qui n’est pas celui de la presse quotidienne d’information (nous avons vu les particularités de la presse magazine à cet égard) ni celui de la presse magazine d’autres domaines. C’est la connaissance de ce genre et sa reconnaissance parmi d’autres, qui nous permet, en tant que public, d’identifier tel ou titre de presse parmi les titres de la presse féminine, à un simple coup d’œil dans un kiosque. Il en va de même pour chaque genre de la presse magazine. La stratégie discursive est donc déjà identifiable à la perception de la couverture, voire même d’une partie de la couverture.

Les formes de ce discours médiatisés doivent donc être pensées comme des réponses à la double logique médiatique qui sous-tend les stratégies discursives de la presse magazine. Ce discours, impliquant une forme de relation entre un public, un lectorat dans notre cas et un producteur énonciateur, revêt ainsi plusieurs caractéristiques spécifiques, selon la nature de la relation souhaitée. Si nous considérons le discours comme un ensemble de représentations des systèmes de valeurs qui circulent dans un groupe, alors nous nous devons de considérer le discours de la presse féminine, au sens scripto-visuel (écrit et images), comme un ensemble de représentations partagées par le lectorat et l’énonciateur. Le discours de la presse féminine ne constitue pas la somme des représentations du lectorat et de l’instance énonciatrice, mais illustre la rencontre même de ces représentations en un point d’acceptation commun, qui tend à confondre les deux systèmes d’abord distincts en un seul, qui constitue alors le dispositif discursif opérationnel entre ces deux entités, le lectorat et l’énonciateur. Considéré dans notre cas comme une mise en scène, le discours médiatisé vient donc traduire une réalité biaisée, ou plutôt une forme de réalité parmi d’autres, qui pour être comprise et entendue, rencontre un ensemble de données préexistantes du côté du récepteur. Ainsi donc, un facteur d’acceptabilité, comme le souligne Angenot234, doit être pris en compte dans la production et la diffusion d’un discours social médiatisé et de représentations sociales construites.

D’après Fisher et Veron235, le discours s’adresse à une cible bien déterminée et est donc construit selon cet objectif visé. La cible selon eux se trouve constituée d’acteurs qu’ils nomment les co-énonciateurs. L’énonciateur, bien que s’adressant à une masse dans son discours, prend donc connaissance de cette cible et favorise son identification par le biais de cette conceptualisation du co-énonciateur. Il s’agit alors pour les producteurs du discours

‘« de construire un co-énonciateur bien déterminé à qui l’on fera prendre en charge des opérations très complexes, à qui l’on prêtera des attentions, des besoins, des intérêts et une identité bien précise. De l’exactitude de cette construction imaginaire dépend la survie du discours, du journal lui-même »236

C’est donc davantage d’une énonciation discursive que d’un récit dont il est question au travers des pages de la presse féminine. Nous ne sommes pas dans cette mesure, face à la narration d’un récit distancié mais bien face à une co-construction de discours, prenant en compte les intérêts de l’énonciateur et mettant en scène ceux du destinataire, par le biais d’une optimisation de l’identification de ce dernier, en usant du ton de la complicité et en jouant sur la construction de représentations au carrefour d’une réalité sociale vécue et d’un imaginaire interprétant.

Notes
234.

M. Angenot, 1889 : un état du discours social (Longueuil : Le Préambule, 1989)

235.

S. Fisher & E. Veron, Théorie de l’énonciation et discours sociaux. Études de lettres, n°. 4 (1986) 71-92

236.

Ibid.