La notion de signe a succédé à celle de traces, de symboles ou d’indices, dans la mesure où procédant à une théorisation des processus de significations, les linguistes et les sémiologues ont trouvé dans ce terme la possibilité de faire résider la dualité du binôme signifiant-signifié.
Étudier le signe dans sa temporalité dénoterait en premier lieu la présence d’un signifiant qui permettrait, au cours d’un processus d’interprétation complexe, l’émergence d’un signifié. Les signes sont donc signes, comme le précise Joly, que parce qu’ils signifient,
‘« C’est-à-dire que leur aspect perceptible met en œuvre un processus de signification et donc l’interprétation, dépendant de leur nature, du contexte de leur manifestation, de la culture du récepteur, de ses préoccupations. C’est lui qui « associera », qui interprétera, qui établira tel ou tel type de rapport entre la face perceptible du signe et sa signification. »242 ’Ainsi donc, nous serions face à un système de signes construits en vue d’un processus de signification, interprétables sur deux niveaux, dans lesquels le récepteur produirait un sens grâce à la similarité du signe et de son référent, tout en ajoutant à son interprétation les conventions sociales et culturelles qui lui indiquent la signification du signe en tant que symbole. Nous sommes face à un nouvel objet signifiant qui pourrait ici être l’image. L’image, et particulièrement la photographie, sont alors à considérer par leur composition spécifique autour de ces deux types de signes : d’un côté elles sont une « mimésis parfaite » 243, d’un autre côté elles constituent une représentation culturellement codée. C’est dans une telle perspective que la polysémie du mot « image » peut également entrer en compte. Si l’image en tant qu’objet, matériel, est le fruit d’une composition visuelle construite par des formes, des couleurs, voire des textures, l’image en tant que figure langagière est quant à elle une représentation construite, comprise comme un acte fondateur de sens, si tant est qu’elle demeure réaliste, tout en se faisant fictionnelle. Ainsi donc dans notre cas de l’image de mode et de la photographie de mode, nous sommes également face à cette articulation de la vraisemblance et du symbolique, entre la perception d’une production visuelle descriptive d’une forme de réalité du vêtement et la signification culturelle et sociale d’une représentation de la mode et de la femme. Les significations de l’image de mode dépassent donc la simple interprétation de détails formels du vêtement, et sa mise en scène dans un environnement socialement et culturellement défini, tout comme le recours au corps de la femme et à ses postures, nous met sur la voie d’une étude approfondie de ce système de signes et de sa production.
Nous pouvons reprendre à ce propos l’étude des rhétoriques télévisuelles proposée par Soulages244 qui évoque, pour la télévision, (mais nous pouvons transposer ces remarques aux images médiatiques de façon plus générale) un formatage permanent du regard, producteur de sens en soi, fusionnant alors avec le processus d’interprétation du spectateur. Il en va de même dans la construction des images des séries mode, qui toutes articulées autour des mêmes principes de mises en scène, proposent des représentations de la femme selon une structure simple, à laquelle nous pouvons associer la typologie de Soulages245 pour les images télévisuelles. Il nous apparaît intéressant de faire coïncider cette typologie de l’image télévisuelle, qui se veut par définition en « mouvement » avec une typologie des images de mode, qui traduisent l’identité d’un personnage, mis en scène lui-même dans un décor et par des postures significatives d’une action en cours, et pour lesquelles la « pose » au sens photographique n’est pas systématiquement utilisée. Ainsi traduisant plus une action, ou une interaction, les photographies de mode s’apparentent davantage à des interpellations telles que la télévision peut le faire, qu’à des natures mortes ou des portraits que la réalisation de photographies « traditionnelles » peut proposer. Nous écartons toutefois dans cette typologie les types d’image strictement liés à un déterminisme technologique propre au média télévisuel. Seuls ici sont proposés les types dont nous avons pu trouver l’illustration dans les séries mode du corpus.
Ainsi le cadre-transparent246 permettrait, transposé à l’image de mode, de produire une image structurée autour d’un binarisme gauche-droite et d’un centrage des éléments principaux, comme pour reproduire le mouvement « naturel » de lecture d’une mise en scène. Le public, tout à fait extérieur pour cette lecture de l’image, se trouve placé au rang de l’observateur, qui d’un regard, balaye l’ensemble des données de l’image, alors structurée « logiquement », permettant une interprétation univoque de la mise en scène. Employée dans les séries mode pour mettre en scène des personnages féminins dans un espace social défini et reconnaissable, ce cadrage convoque une participation minimale du public, et présente les caractères d’une représentation sans équivoque d’une action en cours.
Le cadre-fenêtre247 quant à lui vient proposer un simulacre d’interaction dans la réception de l’image et permettre un rapprochement du personnage représenté pour le public. Nous remarquons que le recours à ce procédé dans les séries mode produit une forme de ponctuation au sein de la série et n’est pas un procédé permanent tout au long de cette dernière. Utilisé comme pour se rapprocher momentanément du modèle féminin, il traduit une forme d’intimité entre le modèle ici, et son public féminin. Agissant en métaphore d’un dialogue entre le personnage et le public féminin, ce cadrage ponctuel semble être un recours de réaffirmation de la complicité recherchée entre l’instance énonciatrice et son public.
Le cadre opaque248 enfin, est lui aussi utilisé dans la production des images de mode, et permet une mise en exergue du modèle par rapport à une mise en scène et à un décor dont le personnage semble alors s’extraire. Cette nouvelle procédure de mise en scène de l’intimité, au-delà de présenter une forme de complicité ou de rapprochement entre le personnage et le public, signifie une pénétration du sujet représenté, que l’image vient extraire de l’environnement, pour autant toujours présent et significatif. Le public est volontairement situé « dans » le personnage, comme fusionnant cette fois non plus seulement avec la scène mais avec le personnage lui-même. Ce procédé s’apparente donc davantage à une possible identification, qu’à un simple rapprochement du public féminin.
Nous le voyons donc le recours à l’image dans la production de message de la presse magazine n’est pas transparent et l’étude spécifique de ce type de procédé d’énonciation semble tout à fait pertinente dans le cadre de l’étude de représentations du genre féminin pour un public féminin. Nous ne nous attarderons pas davantage sur la composition photographique dans sa forme, pour aller plus tard plus précisément vers une analyse de son contenu, qui, nous le verrons, poursuit ces objectifs de complicité et d’identification par le recours à d’autres procédés de mises en scènes.
M. Joly, L'image et les signes : Approche sémiologique de l'image fixe (Paris : Nathan, 2000) 27
Ibid.
J. Soulages, Les rhétoriques télévisuelles, le formatage du regard (Bruxelles : De Boeck, 2007)
Ibid. 31-39
Ibid.
Ibid.
Ibid.