Le poids des images.

Passé le débat signes linguistiques et signes visuels qui tendait parfois à hiérarchiser les signes et à légitimer l’étude des uns vis-à-vis des autres, nous sommes amenés à reconsidérer ces différents signes comme complémentaires. D’abord par défaut d’une théorie qui aurait consisté à les distinguer de toute part et à réussir ainsi leur hiérarchisation, aussi parce que nous sommes aujourd’hui amenés à constater dans le paysage médiatique qui nous environne, que les images (souvent parents pauvres dans l’analyse des signes et donc soumises à la supériorité du discours langagier) sont omniprésentes. De nombreux théoriciens partant d’un constat de déluges d’images, presque dangereux, notamment grâce aux progrès technologiques de la diffusion médiatique de masse, permettent, malgré la radicalité de leurs propos de mieux saisir l’importance aujourd’hui d’une étude spécifique des images, en ce qu’elles sont des procédés imageants. Procédés engendrant des représentations, les images peuvent alors être considérées comme des :

‘« condensations dans lesquelles se rejoignent des impressions passées et actuelles et se compriment en une apparence donnée, ou pour le dire avec les mots de Walter Benjamin : « Une image [...] est ce que en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. »249.’

C’est en considérant ainsi l’image comme ayant un rôle central dans nos connaissances et dans leur construction, que nous sommes donc amenés à concevoir l’image comme un ensemble bien supérieur à la simple somme des images iconiques et techniques. Nous voyons alors que l’image en tant que production picturale ou photographique, et l’image en tant que spécificité langagière, se rejoignent dans une telle conceptualisation. Les perceptions visuelles, en tant qu’expériences immédiates, associées à la maîtrise d’un langage, socialement et culturellement marqué, associées encore aux images du souvenir, nous mettent sur la voie d’une méthodologie d’étude de l’image pour mettre en exergue la naissance des significations spécifiques de l’image.

C’est dans ce cadre théorique que l’image, comme le propose Mitchell250, devient un « concept général, ramifié en diverses analogies et correspondances (convenientia, aemulatio, analogia, sympathia), qui maintient la cohésion du monde par des images du savoir ». Il faut entendre ce savoir contenu dans l’image dans le sens d’une encyclopédie de valeurs, de normes, de croyances, de transgressions ou bien de comportements partagés par des audiences et des publics. Si la presse féminine et ses productions de messages inscrivent dans le champ médiatique et donc dans le discours social des images toutes faites, socialement et culturellement admises sans interprétation équivoque, nous pouvons dénoncer une forme de prescription aliénante. Toutefois, si exposés aux images, nous les interprétons comme de nouvelles tentatives de connaissances quant à la mode, et d’appropriation de nouveaux savoirs quant à l’identité féminine, alors nous pouvons caractériser les images de mode de la presse féminine comme des anticipations sociales créatives, support de nouvelles connaissances.

Dans la mesure où, comme Monneyron251, nous caractérisons la mode comme un concept et un phénomène social lié à l’avènement des sociétés fondées sur l’individu (et non pas lié aux sociétés traditionnels continuant alors d’adopter des parures traditionnelles aux significations différentes), alors nous pouvons consacrer la mode et la production d’images de mode au rang d’indicateurs sociaux pour une société individualiste.

‘« Si la photographie, comme la psychanalyse, nous permet de plonger dans les profondeurs psychiques, elle nous permet aussi de plonger dans les profondeurs sociétales. [...] c’est que, à travers elle, peuvent se lire les mythes, les images et les symboles, et, par suite, les grandes structures anthropologiques qui définissent une époque et lui donne un sens. Elle est mieux, même, que le simple révélateur d’un inconscient collectif. »252

Si nous associons l’intérêt d’une analyse de la mode en tant qu’ « indicateur social » à l’intérêt de l’analyse d’une image en tant que vecteur de nouvelles connaissances, alors nous trouvons dans l’analyse des images de mode de la presse féminine un terrain privilégié de l’analyse de la représentation du genre féminin dans la mode en tant que représentation sociale possiblement anticipatrice de changements et élément de nouvelles connaissances.

Notes
249.

S. Weigel, Bilder als Hauptakteure auf dem Schauplatz der Erkenntnis. Zur poiesis und episteme sprachlicher und visueller Bilder. Dans Ästhetik Erfahrung. Interventionen 13, Ästhetik Erfahrung. (Zurich : Voldemeer/Wien et New York : Springer, 2004) 191-212

250.

G. Boehm, Was ist ein Bild?, éd. (Munich : Fink (Wilhelm), 1994)

251.

F. Monneyron, Sociologie de la mode, op. cit.

252.

F. Monneyron, La photographie de mode - Un art souverain (Paris : Presses Universitaires de France - PUF, 2010) 155