Le stéréotypage.

Nous avons donc émis la possibilité de plusieurs représentations de la féminité dans les séries mode, ce qui permettrait au magazine de mode de se faire, comme le dénonce les féministes, le garant d’un ordre établi selon lequel la femme serait en interaction permanente avec un environnement androcentrélui assignant des postures socialement établies pour maintenir la domination masculine, et de se faire simultanément le vecteur d’une nouvelle connaissance quant aux représentations de la féminité, au travers des images de mode, considérant comme Monneyron267 que la mode peut être le lieu d’une anticipation sociale. Dans un premier temps, il convient de décrire les critères nous permettant de reconnaître le stéréotype dans les images de mode.

Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur les connaissances théoriques que nous avons mises au jour dans la première partie de nos travaux. Le corps, les vêtements, pris dans un contexte social défini, codant possiblement pour l’expression d’un genre, par le biais d’une reconnaissance visuelle immédiate et d’une identification toute aussi immédiate de l’individu en question, sont donc deux éléments essentiels dans la mise en exergue d’un stéréotype de genre. Nous l’avons vu dans l’étude des interactions, les gestes et les postures, associées à des parures dédiées, guident les individus dans leur identification, la leur et celle d’autrui. Les femmes dans les images de mode sont donc amenées à être des personnages féminins et Goffman nous propose, pour identifier le stéréotype de genre, l’exercice suivant :

‘« [...] il suffit pour prendre aussitôt conscience du stéréotype, d’imaginer pour chaque photographie ce qui résulterait si les sexes étaient échangés. Avec cette possibilité à l’esprit, le lecteur sera en mesure de produire ses propres commentaires et pourra se faire une idée des mérites éventuels des miens. »268

Nous allons proposer donc dans notre grille d’analyse une série d’indicateurs variant selon un stéréotypage de la féminité, que nous invitons nos lecteurs à considérer de la même manière que ce qu’indique Goffman. La légitimité de nos propositions quant à ce stéréotype repose sur les conceptions socialement inscrites de la représentation du genre féminin, que l’on s’y oppose ou qu’elles nous paraissent naturelles et justifiées, ces représentations demeurent existantes et opérationnelles dans chacun de nos imaginaires. Loin de vouloir porter un jugement sur ces stéréotypes, nous aborderons les représentations s’inscrivant dans ce type de féminité, comme des modèles possibles reconnus au sein des séries mode. Dans le temps de l’observation, nous tenterons de demeurer au plus près d’un constat factuel et pragmatique, et nous emploierons pour cela une terminologie qui se voudra la plus neutre possible, si tant est qu’une analyste féminine puisse être neutre dans le cadre de l’analyse des images de femme. Le recul nécessaire à cette analyse n’en efface pas la difficulté pour l’analyste que je suis. Si De Certeau269 nous conforte sur notre statut d’observateur « humain », plus ou moins neutre, mais toujours immergé dans un champ social, nous comprenons qu’il est impossible ici de placer cette analyse en dehors de tout contexte socioculturel propre à l’observatrice que je suis. Je demeure un individu de sexe féminin, et de genre féminin, tendant à fournir une analyse des représentations de mon genre au sein d’un corpus qui m’est lui-même familier et quotidiennement expérimenté. Toutefois, je me prémunis de certains écueils en précisant encore ici que mon travail ne s’inscrit pas dans le courant des analyses féministes, ni formellement dans celui des Cultural Studies ou des Gender Studies, mais qu’il s’inscrit dans le champ des sciences de l’information et de la communication, en ce qu’il tente de mettre au jour des stratégies discursives médiatiques et qu’il s’en tient à décrire et analyser la production en images d’une représentation sociale médiatisée. Nous nous concentrerons donc sur l’étude de l’agencement de signes codant pour la féminité, dans le cadre de la photographie de mode qui parle un langage qui lui est propre, au carrefour du langage de la société qui l’interprète et de celui des femmes en particulier qui interprètent les signes de l’imaginaire de la mode au sein des séries qui leur sont consacrées.

Nous pouvons également convoquer la méthodologie de Barthes270 dans ses analyses d’images. Il convoque en effet dans ses constats un imaginaire social opérationnel, dans lequel il évolue également en tant qu’individu, mais dont il se fait l’analyste plus précis en ajoutant à ses études, une méthodologie empruntée à la sémiologie, à la science des signes donc, mettant au jour des stéréotypes « mythiques » en tant que facteurs d’identification et d’interprétation des messages. Nous nous inscrivons dans cette même perspective de reconnaissance des signes au sein des images, ce qui nous mettra sur la voie de la stratégie d’énonciation des producteurs et sur celle de la possible identification des récepteurs.

Notes
267.

F. Monneyron, La frivolité essentielle, op. cit.

268.

E. Goffman, La ritualisation de la féminité, op. cit. 44

269.

M. D. Certeau, L. Giard & P. Mayol, L'invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire (Paris : Gallimard, 1990)

270.

R. Barthes, Mythologies (Paris : Seuil, 1970)