Interprétation des premières observations : normativité et socialisation de la femme.

Ainsi, nous observons, dans l’ensemble de nos séries mode, la prédominance d’un modèle. Prédominance sur deux plans, car il est à la fois dominant en termes de production de sens (procédé de stéréotypage performant pour l’interprétation du message) et dominant en termes de quantité d’occurrences. Les images, composées d’un contexte et d’un corps de femme habillée, rappellent les définitions de la femme liée291, celles du regard banalisé de Kaufmann292, ou encore celles de la femme soumise et docile de Goffman293. Pour nos résultats, nous délaisserons momentanément la terminologie goffmanienne qui nous apparaît moins neutre que celle que notre discipline peut justifier. Quoique nous puissions parfois utiliser les termes goffmaniens isolés par Chabrol294 dans une de ses interventions sur le stéréotypage qui rappelle alors les dimensions dominantes de la ritualisation de la féminité dans les analyses de publicité de Goffman, à savoir la taille du personnage féminin, le prestige de l’activité performée, l’auto-contact du corps, les postures de subordination, le retrait du centre de la scène. Nous isolons deux dimensions parmi ces dernières pour lesquelles nous sommes particulièrement attentifs lors de l’analyse des images de mode : l’auto-contact et les postures de subordination, que nous qualifierons plutôt dans notre cas de postures d’attente.

Nous avons établi dans la grille d’analyse les systèmes de signes codant, d’après nos premières investigations théoriques, pour différents types de féminités. Cette grille, bien qu’établie en tant qu’outil stable de l’analyse demeure « ouverte », elle nous permet à la fois de vérifier l’hypothèse d’une multiplicité de représentations possibles mais également de tester l’hypothèse de l’unique recours au stéréotypage dans les images de mode. Nous avons présupposé pour cela deux formes de stéréotypages liés au contexte photographique de la mise en scène, un stéréotype normatif neutralisant dans un contexte social collectif, et un stéréotype normatif sexualisé dans un contexte intime de relation homme-femme. Ces deux premiers types de représentations sont ainsi « délimités » dans notre grille d’analyse et nous les définissons par le biais de variations appliquées par nous-mêmes aux indicateurs corps, vêtements et contexte. Reste à vérifier si l’ensemble de notre corpus d’étude peut se répertorier au sein de ces deux catégories ou si une partie de ce corpus, comme nous le supposons, peut s’apparenter lui-même à un troisième type de représentation de la féminité. Nous le voyons déjà après ces premières analyses, un troisième type semble émerger, en tout cas, un ensemble d’indicateurs présents ne code pas pour les deux premières catégories de représentations stéréotypées et semble se répartir sur l’ensemble du corpus au travers de notre typologie théorique constituée précédemment et supposant la présence de représentations de femmes socialement anticipatrices. En effet, l’ensemble de ces indicateurs extérieurs à nos deux premiers types se retrouve dans la définition que nous avions construite pour le 3e type supposé.

Notes
291.

N. Heinich, États de femme. L'identité féminine dans la fiction occidentale, op. cit.

292.

J. Kaufmann, Corps de femmes, regards d'hommes : sociologie des seins nus, op. cit.

293.

E. Goffman, La ritualisation de la féminité, op. cit.

294.

C. Chabrol, Catégorisation de genre et stéréotypage médiatique : du procès des médias aux processus socio-médiatiques, op. cit.