Résultats en images : des décors identiques pour les mises en scène mais des représentations propres à chaque magazine.

Nous allons désormais illustrer nos précédents propos à travers une sélection d’images extraites du corpus analysé. Nous allons donc préciser par ces illustrations, les précédentes analyses d’indicateurs et de marqueurs qui nous ont déjà mis sur la voie du constat d’une pluralité de représentations des images de femmes. Nous avons observé trois types de mises en scène selon l’environnement dans lequel était placé le personnage féminin représenté, parmi lesquelles nous reconnaissons des figures stéréotypées du genre féminin, notamment pour des mises en scène du social et des mises en scène de l’intime. Nous avons vu par le jeu des indicateurs et des marqueurs que si les magazines pouvaient montrer un certain nombre de similitudes dans leur structuration d’images de mode, et dans leur type de représentations mises en scène, il n’en demeurait pas moins un nombre aussi certain de différences dans les usages des marqueurs et dans l’agencement des indicateurs. Nous allons voir cette fois en images, ces similitudes apparentes et ces différences.

Tout d’abord, nous reconnaissons dans les mises en scène du social, deux possibilités en termes de décor, un décor urbain - la ville, et un décor extérieur « naturel » - le bord de mer, la campagne, la montagne. Nous allons montrer ici que si tous les magazines procèdent à ce type de « contextualisation », les actions qualifiées dans les images n’en demeurent pas moins propres à chacun.

  • En ville

Femme Actuelle place les personnages féminins en ville dans l’action : elles sont en mouvement dans l’image et les accessoires alors associées à la mise en scène dénotent une activité professionnelle ou en tout cas une activité à dessein, autre que l’attente passive. Les femmes ainsi mises en scène sont situées dans le social mais ne fusionnent pas avec ce dernier, malgré une forte cohérence des vêtements et des postures. Les personnages féminins sont mobiles et actifs dans la scène, ils ne constituent pas des éléments du décor mais bien des personnages, des acteurs, évoluant dans un décor.

Image 7 : Mise en scène à dominante sociale en ville dans Femme Actuelle.
Image 7 : Mise en scène à dominante sociale en ville dans Femme Actuelle.

ELLE à la différence de Femme Actuelle propose des personnages féminins exclusivement dans l’attente, passifs, sans action, dont les regards s’orientent soit vers l’objectif soit vers un point du décor d’où semble arriver l’élément qui viendrait possiblement rompre l’attente. Les femmes mises en scène de cette manière sont en contact avec le décor, assises ou contre un mur, et paraissent appartenir à ce décor, en tant qu’élément figé, inactif. Ces personnages féminins sont comme « soutenus » par le décor. Il est fréquent de voir le personnage féminin à même le sol, parfois allongé, dans des postures connotant des postures érotisées, au détail près que les corps ne sont pas dénudés. Les postures d’attente peuvent possiblement être agrémentées de postures de séduction, les jeux de jambes sont pour cela significatifs. Les personnages féminins situés dans un environnement social dans ELLE sont comme « aidés » par le décor, les femmes ne sont jamais dans une action permettant de les extraire de cet environnement et de les y distancier.

Image 8 : Mises en scène à dominante sociale en ville dans ELLE.
Image 8 : Mises en scène à dominante sociale en ville dans ELLE.

Cosmopolitan propose lui des mises en scène du social de deux types, avec ou sans l’homme en présence. Nous notons que si l’homme est présent, la femme est dans une parade tout à fait liée à cette présence et ses actions se trouvent indiquées par cette présence. Outre le regard masculin, c’est donc le regard social qui prime dans ces mises en scène, où tout comme ELLE, sont représentés des personnages en attente, parfois en contact avec le décor, mais dans des postures pour lesquelles la représentation de la soumission n’est pas de mise (pas de personnages allongés dans le caniveau ou sur le bitume comme dans ELLE par exemple).

Image 9 : Mises en scène à dominante sociale en ville dans Cosmopolitan.
Image 9 : Mises en scène à dominante sociale en ville dans Cosmopolitan.

Nous remarquons qu’à la différence de ELLE, les personnages féminins peuvent être représentés en dehors d’un contact direct du corps avec le décor, aussi, Cosmopolitan peut recourir à une mise en scène du social en ville en extrayant le personnage féminin de toute contingence en termes de figuration sociale. Il en est ainsi dans la troisième image ici, dans laquelle la femme est distanciée de l’environnement en adoptant une posture de marche, bras croisés, au milieu de la circulation. Aussi, nous notons que lorsque le personnage est en contact avec le décor, les marqueurs du corps sont mobilisés en vue d’une hyper ritualisation (tête inclinée, tenue du blouson fermé, main posée sur le décor, jambes croisées).

  • Dans la nature

Ce contexte photographique est présent dans les trois magazines et pourtant évoque trois types d’action tout à fait différents selon le titre évoqué. Femme Actuelle propose des personnages féminins là encore en mouvements, les postures qualifient des actions propres au milieu dans lequel est située la scène, les vêtements quant à eux sont adaptés au climat et aux actions. Les indicateurs convergent tous vers une mise en scène sociale, les marqueurs du corps, du vêtement et du décor sont également mobilisés pour cette cohérence.

Image 10 : Mises en scène à dominante sociale dans la nature dans Femme Actuelle.
Image 10 : Mises en scène à dominante sociale dans la nature dans Femme Actuelle.
Image 11 : Mises en scène dans la nature dans ELLE.
Image 11 : Mises en scène dans la nature dans ELLE.

ELLE se distingue à nouveau de Femme Actuelle en représentant les femmes dans la nature comme éléments participant de l’esthétisme de l’image en général. Ainsi, l’accent est mis sur les formes et les couleurs des vêtements tandis que les actions représentées ne sont pas significatives d’actions socialement identifiables. Les femmes ainsi mises en scène sont à nouveau « prises » dans le décor, non pas en tant qu’actrices mais dans une figuration essentiellement esthétique. En outre, nous pouvons également noter la représentation de la femme nue dans la nature, les codes de l’intimité sont transposés ici à cette mise en scène. Les femmes dans la nature pour ELLE sont soit des détails esthétiques de formes et de couleurs, soit dans un état de « nature brute » nécessitant la nudité pour exprimer ce type de genre féminin représenté.

Cosmopolitan quant à lui propose deux manières de faire agir les personnages féminins dans un milieu extérieur naturel. Les femmes ainsi mises en scène sont le plus souvent à la plage, leurs vêtements et leurs postures n’indiquent rien d’autre que des actions associées au milieu dans lequel elles se trouvent, la séduction n’y est pas traduite de façon notoire.

Nous notons en parallèle de ce contexte de bord de mer, l’utilisation de la campagne pour situer les personnages. Ceux-ci sont en général représentés dans une forme de décalage, identifié dans l’incohérence des vêtements, des actions et du cadre. La femme n’y est donc pas « naturelle » ou en tout cas « naturalisée » comme cela peut être le cas dans ELLE. Au contraire, le décalage opéré dans Cosmopolitan confère à l’action des personnages féminins dans la nature, un caractère tout à fait « antinaturelle ».

Sont alors présentées des femmes sophistiquées, dont les postures et les vêtements sont en contraste avec le décor. Plus qu’un stéréotype, il s’agit d’un contre-stéréotype de « la femme dans la nature ».

Image 12 : Mises en scène à dominante sociale dans la nature dans Cosmopolitan.
Image 12 : Mises en scène à dominante sociale dans la nature dans Cosmopolitan.
Image 13 : Mises en scènes dans la nature en décalage dans Cosmopolitan.
Image 13 : Mises en scènes dans la nature en décalage dans Cosmopolitan.
  • Dans l’intimité

Ce type de mise en scène est répertorié dans ELLE et dans Cosmopolitan, Femme Actuelle ne présentant aucune série de mise en scène à dominante intime dans les numéros du corpus. Là encore, pour un même type de contexte, les deux magazines ELLE et Cosmopolitan proposent des actions différentes dans les représentations de femmes proposées. ELLE a recours dans le cadre de la mise en scène de l’intime, en intérieur, à des images de femmes fantasmées, dans des décors imaginaires, que nous ne pouvons associer à un intérieur identifiable. Les postures du corps, non plus seulement dans l’attente ou dans la lascivité, laissent entrevoir des mises en scènes mythifiées de figures du féminin archétypiques du fantasme masculin. Tantôt offerte, tantôt dominatrice, les femmes représentées dans ELLE dans une mise en scène de l’intime sont totalement extraites d’un quotidien reconnaissable voire reproductible pour le lectorat.

Image 14 : Mises en scène à dominante intime dans ELLE.
Image 14 : Mises en scène à dominante intime dans ELLE.

Cosmopolitan opère d’une manière tout à fait différente et suggère, non plus le rêve d’un féminin inaccessible fantasmé, mais la réalité d’une mise en scène en intérieur identifiable, dans lequel les jeux de miroirs et de portes proposent une mise en scène du regard. Les femmes représentées dans les postures de séduction s’observent elles-mêmes et se laissent observer. La présence d’un observateur est ainsi connotée, notamment dans les photographies présentant au premier plan une baie vitrée ou encore une porte entrouverte. Les mises en scène de l’intime pour Cosmopolitan suggèrent davantage que le mythe ou le fantasme, la possibilité d’une interaction entre un personnage féminin et un personnage masculin, interaction basée sur un jeu de séduction immergé dans un contexte photographique réaliste, vraisemblable, avec toutefois cette hyper ritualisation du corps toujours visible.

Image 15 : Mises en scène à dominante intime dans Cosmopolitan.
Image 15 : Mises en scène à dominante intime dans Cosmopolitan.

Nous le voyons donc, à l’intérieur même d’une pluralité de stéréotypes, coexiste, au sein de notre corpus, une pluralité de représentations possibles pour chaque stéréotype. Les mises en scène structurant les séries mode sont donc des mises en scène reproduites dans chaque magazine, mais les postures et les qualifications d’actions pour chacun opèrent une différenciation supplémentaire dans les possibles représentations du genre féminin. Si ces actions genrées paraissent normatives, elles suggèrent toutefois une normativité spécifique. Paradoxe dans la définition même de cette normativité, il existerait une multiplicité de « normes » non plus universelles ou communes à toutes les femmes, mais choisies, représentées et interprétées pour chacune d’elles. Nous le voyons dans ce corpus constitué de titres de presse magazine féminine ayant trois publics ciblés distincts, les propositions en termes de représentation, bien qu’apparemment normées et stéréotypées, n’en sont pas moins plurielles et complexes. L’agencement des indicateurs et des marqueurs donnent lieu à une succession d’images toutes différentes bien que structurées autour des mêmes éléments basiques. Au-delà du « portrait de genre », nous sommes bien face à une série de représentations différenciées de pratiques de genre, socialement situées, comme autant de parades associables à des expressions symptomatiques de comportements de genre.