Ainsi, nous sommes amenés à considérer les avancées de Chabrol312 quant à la réception des messages stéréotypés et à avancer dans notre cas, que si le contrat de lectorat est rempli entre les deux instances considérées, le stéréotypage participe donc également de ce succès. C’est donc en effet possiblement expliqué par la reconnaissance de la cible et son identification au travers de ce stéréotypage. S’objectivant elles-mêmes en tant que femmes féminines et s’identifiant à ces stéréotypes de genre, devenant ainsi des préconstruits signifiants pour la suite du processus d’interprétation, les femmes lectrices consommatrices de la presse magazine féminine et de ses séries mode, adhèrent à leur manière à ces messages, en tout cas, semblent les comprendre et les interpréter en dehors de toute considération négative. Il serait présomptueux ici d’émettre l’hypothèse selon laquelle l’ensemble du lectorat de la presse magazine féminine serait tout à fait dupe des pratiques de stéréotypage, tout comme il serait absurde de présenter cette consommation de la presse magazine féminine comme une pure aliénation des opprimées, ayant conscience de leur soumission et s’y confortant non seulement en la subissant, mais en alimentant son marché par la consommation forcée de la presse magazine féminine. Les questionnements demeurent néanmoins tout aussi vifs, après ces précisions. Ils sont même renforcés si l’on considère l’impossibilité aujourd’hui, dans nos sociétés libérales et démocratiques contemporaines, de forcer à la consommation et à la réception d’un seul et unique message médiatique313.
Ainsi, nous sommes dans un premier temps de l’analyse interprétative, forcés de constater que la presse magazine féminine, tout en diffusant des représentations stéréotypées du genre féminin et tout en alimentant d’une certaine manière une forme de domination masculine en cours dans nos sociétés encore androcentrées, rencontre un vif succès auprès de son lectorat féminin. A en croire les chiffres d’audience des trois magazines choisis dans notre corpus, des centaines de milliers de femmes sont donc amenées de façon hebdomadaire ou mensuelle à consommer et à interpréter de tels messages stéréotypés, qui apparemment, ne sont en rien un frein à la consommation de la presse magazine féminine. Donc, plus que de signaler la performativité du stéréotype, et plus que de dénoncer une éventuelle incapacité d’interprétation de la part du lectorat féminin, nous constatons que les représentations normatives et stéréotypées du genre féminin de cette presse ne constituent pas un frein à l’acceptation des mondes possibles construits dans les images de mode. Mieux, la cible semble avoir connaissance de ce procédé à en croire les investigations de Chabrol314, et vient lui conférer une fonction essentielle dans l’interprétation et dans les processus de signification. Se reconnaître en tant que cible du stéréotypage permet donc l’instauration des bases du contrat de lectorat entre producteurs et récepteurs et mieux, reconnaître l’imaginaire de la mode dans les séries mode et accepter les mondes possibles tels qu’ils sont créés dans la photographie optimise le processus de signification de l’ensemble des représentations, en ce qu’elles sont situées et comprises dans un système de significations propre à la mode et à ses représentations. Les stéréotypes traduit majoritairement dans ELLE et Femme Actuelle ne sont toutefois pas traduits seulement par le personnage féminin mis en scène mais sont encodés à la fois dans le vêtement et dans le contexte. Ainsi, il apparaît que les femmes ainsi stéréotypées ne sont pas pleinement dans une incarnation du stéréotype mais davantage dans une figuration, dans un jeu de scène pour lequel un décor et un costume est approprié. Pour cela nous avons donc présenté ces mises en scène stéréotypées en tant que parades du genre féminin, en tant que rôle, s’appuyant comme au théâtre, sur un décor et sur un costume. Le stéréotype se trouve donc finalement déjà nuancé dans les séries stéréotypées elles-mêmes, par le recours à d’autres éléments de la mise en scène pour sa traduction, éléments extérieurs à la femme elle-même représentée. En outre, là où il paraît accentué, notamment dans Cosmopolitan avec le recours aux marqueurs du corps, donc à une incarnation complète du stéréotype par le personnage féminin, il est associé à une mise en scène totalement débrayée du social, dans laquelle les représentations du genre féminin se basent essentiellement sur la mobilisation des éléments du contexte et du vêtement. Ainsi, après incarnation totalisante du stéréotype, le personnage féminin de Cosmopolitan opère à un renversement des codes, traduits dans la convocation de marqueurs du vêtement et du contexte pour illustrer une subversion des normes de genre. Le corps des femmes représentés, après avoir « sur-joué » les parades, qu’elles soient sociales ou sexualisées, déjoue les attentes en termes de postures et s’efface devant une représentation de la mode dans un contexte annihilant toute figuration socialement normée.
C. Chabrol, Catégorisation de genre et stéréotypage médiatique : du procès des médias aux processus socio-médiatiques, op. cit.
En effet, n’oublions pas que dans le cas de la presse magazine féminine, la lectrice est dans un acte d’achat et de consommation volontaire, bien que socialement orienté et culturellement guidé, et que nous ne sommes pas dans une dictature totale où l’ensemble de l’appareillage médiatique est mis au profit d’une instance autoritaire. De la même façon, à ma connaissance, aucun titre de presse n’est interdit à la lecture à aucun individu, et une femme qui viendrait acheter l’Express ou les Echos et qui ne consommerait pas la presse magazine féminine ne se verrait en aucun cas inquiétée par les autorités.
Ibid.