La mascarade est donc mise en scène dans les images des séries mode, et reconnaissable dans la mobilisation de stéréotypes de genre dans les mises en scène du social et de l’intime. Or si nous sommes désormais assurés de l’existence du stéréotype et de sa particularité dans notre cas qui le constitue en procédé-étape dans la construction de sens, nous sommes également amené à considérer ce recours dans les images que nous n’avons pas pu classer dans nos deux premiers types de féminité, neutralisant et sexualisé. En effet, il apparaît qu’une troisième série d’images, au contexte photographique non défini, a recours à d’autres séries d’indicateurs et fait varier les marqueurs du corps et du vêtement, indépendamment d’un contexte social ou intime, et donc indépendamment d’une interaction entre femme et société ou entre femme et homme.
Nous devons nous interroger sur la nature de la représentation ainsi produite, et nous pouvons pour cela convoquer la notion de façade, que Goffman définit ainsi:
‘« On appellera désormais « façade » la partie de la représentation qui a pour fonction normale d'établir et de fixer la définition de la situation qui est proposée aux observateurs. La façade n'est autre que l'appareillage symbolique, utilisé habituellement par l'acteur, à dessein ou non, durant sa représentation.[...]Tout d'abord, il y a le "décor", qui comprend le mobilier, la décoration la disposition des objets et d'autres éléments du second plan constituant la toile de fond et les accessoires des actes humains qui se déroulent à cet endroit. [...] Si l'on utilise le terme de « décor » pour désigner les éléments scéniques de l'appareillage symbolique, on peut parler de « façade personnelle » pour désigner les éléments qui, confondus avec la personne de l'acteur lui-même, le suivent partout où il va. [...] Habituellement l'apparence et la manière sont congruentes, en sorte que les différences de statut social entre les partenaires d'une interaction s'expriment par des différences correspondantes dans les indications fournies sur le rôle qu'ils vont jouer au cours de l'interaction. »323 ’Nous voyons donc que nous devons envisager la particularité de ce type de représentations, en ce qu'il ne correspond plus à la définition d'une représentation "traditionnelle", cadrée et structurée par le social, dans laquelle l'apparence et les manières doivent converger vers une réponse normée et attendue. Qu'en est-il donc de ces représentations extraites d'un décor, dans lesquelles la façade ne permet plus de situer et d'identifier le personnage, qui pour autant, poursuit des actions participant à sa reconnaissance?
Afin de pouvoir définir cette série comme un ensemble d’images cohérent et structuré autour d’un même système de représentations, nous devons mener désormais une analyse plus précise des indicateurs présents dans les photographies considérées. Si les premiers indicateurs du contexte nous indiquent dans un premier temps une similitude pour toutes ces images en ce qu’elles ne contiennent aucun élément permettant de situer l’action ou le personnage, il n’en demeure pas moins une possibilité de différencier ces images les unes des autres. Les représentations de la féminité dans ces compositions photographiques évacuent la possibilité d’une mise en scène sociale. Toutefois, nous constatons pour autant l’utilisation de postures du corps spécifiques et qui, en dehors de tout contexte social ou intime, produisent néanmoins un sens. Mais quel sens pouvons-nous donner à ces choix de représentations si les indices du social n’apparaissent pas ? En d’autres termes, de quelle figuration, de quelle stratégie est-il question, puisque nous ne sommes visiblement pas dans l’observation d’une interaction sociale ?
E. Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation de soi, op. cit. 29-31