Les analyses critiques de la notion de genre des dernières décennies ont, pour les plus radicales d’entre elles, contribué à dénaturaliser la différenciation sexuelle, en proposant le genre, comme préexistant à cette dernière. Ainsi, pur construit social, le genre est pour ces auteurs tels que Butler338, le résultat d’une socialisation « naturalisée » et non plus « naturalisante », et preuve est faite en citant l’exemple de pratiques sexuelles autonomes du genre, que le genre n’a plus cours aujourd’hui. Ainsi est-elle amenée à s’interroger sur l’existence d’un être féminin :
‘« Être du sexe féminin est-il un fait naturel ou une performance culturelle ? Ou la naturalité est-elle produite sur un mode performatif par des actes de parole qui suivent eux-mêmes des contraintes discursives pour produire le corps dans et par des catégories de sexe ? »339 ’Si les relations codées entre les individus peinent à faire abstraction d’une nomination genrée (notamment au travers du langage), les relations que l’individu entretient lui-même avec son sexe et son genre prennent davantage de liberté, jusqu’à s’extraire complètement des attentes sociales en termes de différenciation sexuelle, de pratiques, d’identification. Toutefois, Butler continue d’admettre une forme d’existence du genre, notamment du genre féminin exclusivement, puisque le masculin « est » par essence, sans artifices de représentations, et le définit ainsi :
‘« Le genre, c’est la stylisation répétée des corps, une série d’actes répétés à l’intérieur d’un cadre régulateur des plus rigides, des actes qui se figent avec le temps de telle sorte qu’ils finissent par produire l’apparence de la substance, un genre naturel de l’être. »340 ’L’auteure rejoint ici la définition des parades que nous avons donnée précédemment et reprend au travers de cette conceptualisation du genre féminin le caractère particulier des pratiques de genre, naturalisées jusqu’à produire des identités de genre. Nous trouvons ici une justification supplémentaire à l’étude de telles représentations stylisées mises en images dans les séries mode de la presse magazine féminine et soumises à un public féminin en attente d’identification.
La mode et ses représentations proposent une illustration de mondes possibles, dans lesquels le genre et le genre féminin dans notre cas, débrayé du social, prendrait la liberté de s’exprimer de manière socialement anticipatrice, présentant de nouvelles formes de féminité, détachée du regard de l’homme ou des injonctions du social. Car si cette stylisation du corps correspond à une assignation de rôles genrés dans des situations sociales identifiées, nous avançons qu’en dehors de telles situations, sa représentation prend une autre signification pour le public féminin alors interprète du message produit. En dehors d’une interaction définie entre les femmes et la société ou entre les femmes et les hommes, il devient impossible d’associer les représentations de cet ordre à des parades de genre, toutefois elles restent associées très clairement aux femmes, dans cette presse qui leur est dédiée. Pour autant, est-il toujours question ici de féminité en tant que construction et réponse sociales ?
J. Butler, Trouble dans le genre : Le féminisme et la subversion de l'identité, op. cit.
Ibid. 53
Ibid. 109