7.2.2 La représentation sociale du genre féminin : entre transformations sociales brutales et transformation médiatiques progressives.

Si les féministes ont tenté d’introduire par le biais d’un militantisme radical de nouvelles représentations de la femme en parallèle d’une négation des relations de genre socialement établies, nous comprenons pourquoi leurs messages se sont vus relégués au rang de transgressions brutales ou de révolutions subversives, au lieu d’être institués au rang d’évolutions consenties et de progrès. En effet, si une mutation des représentations sociales est rendue pérenne et peut instaurer de nouvelles pratiques par un changement progressif de ses valeurs phares, le cas d’un changement brutal quant à lui ouvre deux issues possibles, à savoir : le renforcement des valeurs précédentes en réaction à cette provocation extérieure, ou le renversement total des pratiques et des valeurs, ce qui suppose de nouvelles difficultés organisationnelles autour de cette émergence brutale et non préparée de nouvelles significations. Prenant en compte une telle définition de la mutation des représentations sociales, nous sommes donc en mesure d’avancer que les fonctions remplies dans notre cas d’étude par la presse magazine féminine s’apparentent aux fonctions de catalyseur pour la mutation des représentations sociales du genre féminin. Le cas de la presse féministe quant à lui, nous le supposons, est différent en ce que les messages procèdent non pas d’une intégration des données sociales mais directement de leur désintégration voire de leur négation au profit de nouveautés, souffrant alors d’un caractère « infondé » pour le grand public, soumis à un imaginaire social institutionnalisé performant dans le cadre d’une reconnaissance et non performant dans le cadre d’une révolution totale des représentations. Ainsi l’acceptation de nouvelles formes de représentations du genre féminin contournant les normes sociales attendues passe d’abord par la reconnaissance en tant que normes sociales attendues des postures du genre féminin. Ce qu’il faut donc démontrer avant de négocier les frontières de la différenciation genrée, c’est l’institution même du genre en tant que base des interactions, étape sans laquelle aucune transgression ne peut s’apparenter à un progrès et étape sans laquelle un contournement du genre resterait identifié en tant que trouble et non en tant qu’évolution. Les images de mode, en instaurant comme monde possible un monde de femmes dans lequel l’imaginaire de la mode permettrait de négocier un choix en termes de postures et d’identification, tout en préservant un équilibre nécessaire à la poursuite des interactions, instaure par là même les prémisses de nouvelles représentations sociales en convoquant l’imaginaire et le symbolique, comme pour palier dans un premier temps au manque de vraisemblance et de représentativité. Enfin, reprenant la théorie de la performativité des messages qui admet que les ritualisations répétées constituent la possibilité d’existence reconnue des idées qui en découlent, nous pouvons avancer que c’est par la répétition et l’absorption par le social de ces représentations d’abord médiatiques, qu’une mutation profonde de l’imaginaire social est possible. Penser la mode et les images de mode comme constitutives d’un monde fictionnel possible inspiré du social et réinjecté dans le social permet de comprendre l’anticipation permise par la diffusion de telles représentations du genre féminin dans l’espace social. Ainsi les médias, non plus réduits dans leurs effets comme Mac Luhan352 le suppose à un renforcement des normes établies et à une répétition des codes institutionnalisés, permettent également de diluer dans le social de nouvelles connaissances. Et c’est par cette opération, exemplifiée ici par la négociation des représentations du genre féminin, que les médias, et la presse magazine féminine dans notre cas, peuvent participer non plus d’un nivellement réducteur des mentalités et des imaginaires, mais participer d’une ouverture à des discours et à des images nouveaux, en réponse à une volonté de progrès sociaux et d’évolution des mœurs. Systématiquement parallèles des évolutions sociétales, les médias n’en sont pas seulement les témoins et les relais mais peuvent en être les catalyseurs et pourquoi pas, dans le cas d’une diffusion de créations artistiques, les investigateurs. Nous avançons ici, après analyse des séries mode de la presse magazine féminine, que les images diffusées dans un tel cadre sont à la fois symptomatiques d’une émancipation de la femme et représentatives, non plus des femmes, mais de leurs attentes quant à la presse magazine féminine. La dénégation du stéréotypage ne se traduit pas dans une absence de représentations stéréotypées mais dans le « défigement » opéré par la structuration des séries mode autour des multiples contournements possibles que nous avons observés.

Notes
352.

M. Mc Luhan, Pour comprendre les média. Les prolongements technologiques de l'homme (Paris : Mame / Seuil, 1968)