Introduction

Au cours des dernières décennies, la médiation familiale comme pratique professionnelle s’est imposée dans plusieurs sociétés. D’abord, apparue dans les pays anglo-saxons dans les années 1970, elle s’est rapidement développée dans les pays francophones dans les années 1980 et a fait son chemin par la suite dans d’autres pays comme une façon nouvelle de gérer les conflits interpersonnels et familiaux liés à la rupture d’union. Le développement rapide et l’implantation de cette approche dans différents contextes culturels ne se sont pas faits sans heurter les mentalités des juristes et bousculer les pratiques sociojuridiques établies. Par cette recherche, nous nous proposons d’explorer cette approche, d’examiner son développement, d’identifier les effets de son implantation et d‘évaluer les conditions d’une pratique éclairée et efficace.

En tant que pratique sociale, la médiation se situe dans le contexte des mutations de la société post-moderne, lesquelles viennent accompagner des changements sur les plans social, familial, institutionnel et juridique.

La pratique de la médiation est née de l’idée d’aborder la question de la dissolution du lien conjugal autrement que par une réponse juridique unique. Elle présuppose un changement de paradigme dans le règlement des conflits familiaux et se démarque du système judiciaire classique.

Au niveau sociétal la médiation évolue dans le sens d’un raisonnement communicationnel qui se fonde sur la « la théorie de l’agir communicationnel », lequel est orienté par l’intercompréhension mutuelle (Habermas, 1987).

Au niveau juridique, elle devient une pratique qui est de plus en plus insérée dans les textes légaux des droits de la famille contemporains de plusieurs pays, afin de promouvoir des modes de gestion des conflits plus pacifiques et coopératifs, au détriment du contexte contradictoire du système judiciaire.

Plusieurs études scientifiques sur les effets de la médiation familiale et conduites depuis 20 ans, révèlent, dans l’ensemble, une plus grande satisfaction tant à l’égard du processus de médiation que des accords atteints au moyen de la médiation. De plus, elle résulte en un accord qui répond mieux aux besoins personnels et notamment à ceux des enfants au moment d’un divorce parental. Les ententes sont également, dans la plupart des cas, respectés et les révisions en justice sont assez rares. Les limites de la médiation sont plutôt liées à l’intensité d’un conflit familial et à des questions de violence domestique.

Parallèlement, au sein de cette pratique professionnelle, nous constatons des modèles théoriques différenciés; un modèle à connotation plutôt généraliste de la médiation basé sur des considérations politiques et sociales et un autre, plus spécifique au domaine familial, basé sur l’évolution des sociétés quant à la gestion des conflits interpersonnels.

De plus, la médiation familiale dépend du contexte où elle se pratique, soit extrajudiciaire c’est-à-dire en amont d’une procédure judiciaire soit au sein de la médiation judiciaire où il existe des logiques différentes.

En France la médiation familiale existe depuis une vingtaine d’années et elle a été introduite dans le code civil en 2002. En effet, la création du Diplôme d’état de médiateur familial, sanctionné par le Décret du 2 décembre 2003, confirmait la reconnaissance officielle de la pratique et établissait la base du développement d’une nouvelle profession dans le pays (Bastard, 2005).

Au Brésil, la médiation en contexte familial commence à susciter l’intérêt professionnel, particulièrement à l’intérieur des systèmes de justice. Plusieurs projets de loi sont à l’étude au Congrès National en vue de sa réglementation dans le Code Civil. Parallèlement, une enquête réalisée par le Ministère de la Justice rapporte que certaines initiatives des services de médiation familiale dans les secteurs public, privé et associatif se sont multipliées au cours des dernières années (BRASIL, 2005). Toutefois, au Brésil, la médiation en est encore à ses balbutiements ; les connaissances et les fondements épistémologiques sont limités. La médiation n’a pas fait l’objet d’une sanction légale et la pratique est au stade expérimental.

L’objectif de ce travail est d’identifier et d’analyser les modèles de pratique de médiation familiale qui sont reconnus au Brésil et en France et leurs effets auprès des couples.

Notre intérêt pour cette problématique vient de notre expérience professionnelle dans un Palais de Justice depuis une vingtaine d’années, intervenant auprès de couples en conflit et en tant qu’expert pour des questions de droit de la famille, de l’enfance et de la jeunesse. Parallèlement, notre recherche s’inscrit dans la continuation et l’approfondissement d’une première approche sur “Le transfert de pratiques de médiation familiale: une étude Québec-Brésil “, dans le cadre de notre mémoire de Master à l’École de Service Social de l’Université de Montréal. Par la suite, à notre retour au Brésil, nous avons mis en place un projet pilote de médiation familiale dans la Chambre de la Famille du Palais de Justice de Santa Catarina, intervenant à titre de médiatrice et surtout à titre de formatrice.

Plusieurs études (Kelly,1996 ; Richardson, 1987) ont examiné les effets positifs de la médiation en comparaison au système judiciaire traditionnel et ont évalué ce nouveau processus de gestion des conflits. Toutefois, très peu d’études analysent le contexte dans lequel la médiation familiale s’insère, c’est-à-dire l’extrajudiciaire et le judiciaire et rapportent quelles sont les différences principales entre ces deux modalités de médiation.

Dans le cadre de cette recherche, nous posons l’hypothèse que la médiation familiale, qu’elle soit extrajudiciaire c’est-à-dire se situant avant une procédure judiciaire ou judiciaire c’est-à-dire que le procès déjà en cours, est un processus de gestion des conflits interpersonnels efficace et satisfaisant dans les cas d’une rupture conjugale. Également, nous posons l’hypothèse que la médiation extrajudiciaire s’avère plus efficace que la médiation judiciaire pour gérer un conflit familial.

Nous tenterons donc de répondre plus particulièrement aux questions suivantes:

  1. Comment les pays de traditions culturelles, sociales, économiques et juridiques distinctes pratiquent-ils la médiation ?
  2. Cette pratique se retrouve-t-elle dans les textes légaux ? Comment ?
  3. Quelles sont les principales différences entre la médiation extrajudiciaire et la médiation judiciaire? Quelles sont les caractéristiques de chacune ?
  4. Quels sont les effets de la médiation extrajudiciaire et judiciaire auprès des couples ?

Ces questions constituent l’axe principal de notre recherche. Les réponses à ces questions nous permettront de mieux cerner l’évolution de la médiation dans deux pays, nommément la France et le Brésil. Pour la collecte des données, nous avons opté pour le questionnaire et l’entretien semi-directif auprès des médiateurs familiaux et le questionnaire seulement auprès des couples bénéficiaires des services de médiation.

Quant à l’échantillonnage, il s’est échelonné sur une période de deux ans. En France, 69 médiateurs et 63 répondants représentant les couples bénéficiaires de service de médiation ont été sélectionnés en 2008 ; au Brésil, 60 médiateurs brésiliens et 59 répondants brésiliens récipiendaires de service de médiation. La collecte des données auprès de ces répondants est à la base de notre analyse comparative des modèles de pratique dans ces deux pays. Les résultats de note analyse visent à vérifier l’efficacité de la médiation et le degré de satisfaction des ceux qui en bénéficient.

La méthode d’analyse des données a été faite par ordinateur avec l’aide du logiciel Statistical Package for Social Sciences (SPSS) et du logiciel Excel pour l’organisation, le traitement et l’analyse descriptive des données.

Nous avons divisé le travail de recherche en deux parties : la première consiste en une recension de la littérature sur la médiation des conflits familiaux et la deuxième en une évaluation comparative des pratiques de médiation familiale en France et au Brésil. C’est dans cette deuxième partie que nous présentons la démarche scientifique suivie ainsi que les résultats et les conclusions de la recherche.

Le premier chapitre expose les nouvelles configurations familiales dans la famille contemporaine. Nous présentons un examen des principaux changements familiaux dans les sociétés en général et une analyse plus détaillée des mutations survenus au Brésil et en France. Dans un deuxième temps, nous faisons une revue de la littérature sur les effets du divorce et de la séparation parentale afin de voir comment nous pouvons gérer adéquatement ces situations de rupture familiale et parallèlement, envisager la médiation familiale comme un moyen plus efficace et approprié de gestion de conflits interpersonnels s’adressant à la réalité de ces familles.

Le deuxième chapitre examine les mutations plus récentes dans le domaine de la justice et notamment dans le droit de la famille contemporain. Ainsi, nous analysons les nouvelles pratiques de justice dues à l’apparition des modes alternatifs de résolution des conflits, plus particulièrement de la médiation des conflits familiaux et à la tendance à une plus grande déjudiciarisation des conflits familiaux. Une attention particulière est accordée aux récentes législations en matière familiale dans les deux pays et à l’insertion de la pratique de la médiation dans les textes légaux. Enfin, nous présentons en résumé des législations de certains pays concernant la médiation des conflits.

Le troisième chapitre porte spécifiquement sur le domaine de la médiation familiale. Dans un premier temps, nous analysons l’évolution historique et sociale de cette nouvelle pratique professionnelle ainsi que les principales différences entre les deux formes de médiation, soit, la forme spontanée (extrajudiciaire) et celle sur l’ordonnance du juge (judiciaire) et les différents champs d’application de la pratique de la médiation. Nous décrirons ensuite l’évolution de la médiation en France et au Brésil en soulignant leurs principales différences. Par la suite, nous traitons des effets de la médiation familiale sans pour autant être exhaustif au sujet des recherches scientifiques sur la matière.

Le quatrième chapitre nous dressons un portrait sommaire des modèles théoriques existants dans la littérature et leurs principales caractéristiques.

En ce qui concerne la deuxième partie, le cinquième chapitre aborde la construction méthodologique de la recherche réalisée dans les deux pays.

Les sixième et septième chapitres présentent les résultats recueillis auprès des médiateurs français et brésiliens, puis auprès des couples qui sont passés par un processus de médiation dans les deux pays.

Le huitième chapitre, nous traitons de la synthèse et de la discussion des résultats, en analysant les données confrontées aux catégories théoriques.

Pour terminer, nous présentons les conclusions de la recherche et des recommandations pour l’avancement scientifique de ce champ de pratique.