1.3 La cohabitation

Par cohabitation, on comprend la vie en couple, sans une confirmation légale. Les juristes brésiliens la nomment aussi « union de fait », « union libre » ou « union stable ». Ce modèle qui est actuellement la norme dans plusieurs pays a toujours été populaire au Brésil et l’est encore aujourd’hui.

Pour quelles raisons les conjoints cohabitent plus et pourquoi cela devient-il la forme d’union la plus répandue dans les sociétés contemporaines? Les explications de ce choix sont très variables et dépendent de la réalité sociale et culturelle de chaque pays.

En Europe, l’une des motivations, peut-être la plus attrayante, est la négation de l’institution du mariage ou le désir de moins d’interférence de l’état sur la vie privée des personnes. Pour Déchaut (2007), l’explication se trouve notamment dans la préférence des couples à demeurer à l’extérieur du mariage traditionnel.

En France, selon les données de l’INSEE, en 2006, pour la première fois, la majorité (50,5%) des naissances avaient lieu en dehors du mariage. Il y a dix ans, cette proportion ne dépassait pas 40 %.

En Europe, selon les études de Prioux (2006), cette propagation de la vie en couple sans union légale est aussi manifeste, mais à des rythmes différents. Dans des pays comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, la cohabitation hors du mariage reste encore minimale et la majorité des premières unions prend la forme d’un mariage direct. Par contre, la France ressemble principalement aux pays scandinaves, à l’exemple de la Suède, de la Norvège et de la Finlande, où cette modalité est très en usage. Déchaut (2007) souligne qu’en 2002, en France, on estimait que 2,7 millions de couples, soit un sur cinq, vivaient dans des unions hors mariage, contre 1 sur 35 en 1968. Cette forme de cohabitation est surtout répandue chez les jeunes.

Au Brésil, le nombre d’unions de fait chez les plus jeunes est en hausse. Selon les dernières études statistiques réalisées en 2000 par l’IBGE sur les couples non mariés, les cohabitations ont augmenté annuellement dans ce groupe d’âge pour la période de 1980 à 2000. Par ailleurs, de 1991 à 2000, les unions libres ont quasiment doublé. En 2000, le nombre total de cohabitations était de 19.107.754 ce qui représentait 28,33% du total d’unions de couples. Ces chiffres sont élevés comparés aux autres types d’union. En effet, seule l‘addition des mariages religieux et des mariages civils permet de dépasser le nombre d’union de fait. Il faut mentionner qu’au Brésil un couple peut se marier religieusement sans qu’il n’y ait d’effets légaux, se marier civilement ou encore opter pour les deux. Cette dernière option est la plus courante.

Il faut ici prendre en considération la trajectoire historique des unions libres et ce qui les motive ; l’Europe et le Brésil diffèrent dans ce contexte particulier. Ainsi en Europe, l’union libre est devenue un style de vie et constitue la négation de l’institution du mariage qu’on estime être du domaine du privé.Au Brésil, il faut considérer les facteurs économique, culturel et social dans le choix de vivre la cohabitation. La société brésilienne se constitue d’une forte inégalité sociale et les explications ne sont pas les mêmes pour les couples des classes sociales plus aisées et pour les couples des classes plus populaires. Les premiers, peut-on dire, suivent les mêmes motivations que celles des pays européens, ce qui n’est pas le cas pour les couples moins aisés.

En effet, les pays d’Amérique Latine, en raison de facteurs économiques et sociaux distincts, ont un parcours historique différent, quant à l’augmentation de la cohabitation. D’après une étude italienne concernant l’union libre, réalisée par Mortara et citée par Leite (2003), les unions de fait en Amérique Latine sont plus fréquentes que dans d’autres pays occidentaux. La motivation pour ce type d’union présente des traces de l’époque de l’esclavage où la promiscuité sexuelle était courante, de même que l’ignorance et l’indifférence du sens du devoir civique et de la coutume du respect de la loi.

Un autre aspect, qui doit être pris en compte se rapporte au facteur économique en raison du coût élevé d’un mariage. Les dépenses des procédures pour formaliser un mariage empêchaient l’union légale et le choix qui se présentait était celui de l’union libre.

D’un autre côté, comme l’indique Leite (2003), la légalisation tardive du divorce, qui a été sanctionné au Brésil en 1977,a contribué également à l’accès aux unions libres. La législation en vigueur ne permettait pas que le couple, qui se séparait, puisse se marier une autre fois, ce qui a favorisé le choix des unions de fait. Mais aussi, selon les historiens, les règles et les formalités du mariage étaient un privilège de la classe aisée lié à l’intérêt patrimonial, donc le mariage pour les riches et le concubinage pour les pauvres.

D’ailleurs, l’une des grandes innovations de la nouvelle Constitution Fédérale du Brésil de 1988, touche le nouveau concept de la famille qui comprend la famille constituée soit par le mariage légal, soit par l’union stable ou soit par les familles monoparentales. Ainsi, les unions libres ont été finalement reconnues par le nouveau code civil brésilien de 2002. Par cette loi, la cohabitation est donc institutionnalisée et légalisée. Toutefois, il faut dire que, pour le code civil brésilien, les unions stables sont celles originaires d’une union de fait, caractérisée par une vie commune et qui montre une stabilité et une continuité entre deux personnes de sexes différents qui vivent ensemble. Les personnes du même sexe qui vivent en couple ne sont pas reconnues par la législation brésilienne.

Quant la stabilité des unions libres, les recherches montrent le caractère très instable de ces unions. D’après l’Institut National des Etudes Démographiques (INED), en France, la proportion des unions rompues dans les cinq premières années a beaucoup augmenté. Ces ruptures conjugales ont lieu aussi bien pour les couples mariés directement que pour ceux qui ont commencé leur vie commune en dehors du mariage. Les recherches européennes confirment cette plus grande fragilité des unions hors mariage et soulignent que durant les premières années de l’union le risque de la rupture est plus élevé que dans les mariages directs (Prioux, 2006). Cela peut s’expliquer par le fait que dans les unions libres, contrairement aux unions légales où les droits et devoirs sont explicites, la formation du couple se réalise plutôt sans un engagement formel de part et d’autre. Le couple veut d’abord faire l’expérience d’une vie commune à deux.

Cependant, de nos jours, si l’on se fie au grand nombre de divorce, le mariage ne constitue pas non plus une garantie contre la rupture. Toutefois, comme le souligne Prioux (2006), dans la plupart des pays où la cohabitation est habituelle, le couple dont l’union légale a été précédée d’une période de cohabitation est plus prédisposé à se séparer que ceux qui sont mariés directement. Ainsi, non seulement l’augmentation de la cohabitation prénuptiale n’a pas ralenti la fréquence des divorces, mais elle n’a pas diminué non plus le nombre des séparations.

On peut se demander si la légalisation de la cohabitation fragilise les relations entre les conjoints et constitue une source de contrainte qui peut mener à la séparation ? Toutefois nous croyons que la fragilisation de la vie de couple n’est pas tant liée au statut marital qu’aux transformations familiales qui mettent l’emphase sur la qualité des relations et des besoins affectifs.

Selon Singly (2005) le mariage-institution est en processus de déstabilisation. Il n’offre pas un pouvoir d’attraction pour ceux qui sont rébarbatifs à l’intervention de l’Etat et qui ne prisent les normes, rôles, devoirs et obligations imposés par d’autres. La cohabitation offre une façon plus souple, moins autoritaire et adaptable aux réalités de chacun.