1.6 Les familles recomposées

Les familles recomposées ne sont pas une invention moderne (Anaut, 2005, Archambault, 2007). Ces familles étaient fréquentes au XIXe siècle, en fonction de la situation de veuvage et du remariage de l’un des parents. Toutefois, aujourd’hui, cette situation a changé, la plupart des familles recomposées sont constituées suite à un divorce ou une séparation. Depuis 1980, la famille est rentrée dans « l’ère des recompositions familiales » Segalen (2006).

On peut définir la famille recomposée comme une famille dont au moins un enfant vit avec un de ses parents et un beau-parent. Cette nouvelle configuration familiale vient d’unions successives qui associent parents, beaux-parents, frères, sœurs, demi-frères et d’autres figures importantes dans les constellations familiales. Dans ces foyers, on retrouve souvent un enfant affecté d’un père, d’une belle-mère, d’une mère et d’un beau-père.

En France, selon l’INED, 10,6% des enfants vivaient dans des familles recomposées en 1999. De la même façon, au Québec, ces familles sont passées de 5,4% en 1987 à 8,4% en 1993 et à 10,4% en 2001 (Beaudry et al., 2005), ce qui caractérise un accroissement annuel du nombre de ces foyers. Au Brésil, même si on ne dispose pas de chiffres plus précis sur les enfants qui vivent dans une famille recomposée, l’IBGE (2006) rapporte une augmentation de mariages entre conjoints divorcés de 0,9 % en 1986 à 2,2 % en 2006. Les premières recherches dans ce domaine ont été menées par les Etats-Unis et le Canada, des pays qui ont connu plus tôt la réalité de ces familles, en raison de l’accroissement alarmant du nombre des divorces.

En France, les études actuelles qui analysent ce cadre familial sont axées soit sur les couples soit sur les relations des enfants avec les beaux-parents.

Quant aux couples, on retrouve une série de problèmes liés à la question de l’autorité, aux conflits de loyauté, à la jalousie et à la compétition. Pour les enfants, la définition par les beaux-parents et les beaux-enfants des rôles de chacun à l’intérieur de la famille constitue la principale difficulté. Comme le souligne Théry (1993), « l’indétermination du statut du beau-parent » est une source de préoccupations. Comment se comporter comme parent sans pour autant être un parent ? Comment jouer un rôle de parent sans faire ombrage à l’autre parent du même sexe ? Voilà des situations difficiles à régler dans ces foyers.

Les études récentes soulignent que le beau-parent ne peut plus être perçu comme un simple remplaçant du parent absent ou non hébergeant. Les recompositions familiales d’aujourd’hui viennent plutôt du remariage que de la condition du veuvage de l’un d’eux. L’autre parent est encore vivant et il faut concilier la place des parents et des beaux-parents.

En effet, les recherches psychologiques les plus récentes relèvent aussi bien l’importance du temps dans l’adaptation des enfants à la situation de divorce de leurs parents que la continuité et le bon déroulement de leurs liens avec le parent non hébergeant. De la même façon, savoir se comporter en respectant l’identité et l’histoire personnelle de chacun des individus, c’est-à-dire dans l’ensemble des relations, est la clé du succès dans une situation de recomposition familiale. Ce n’est pas facile, mais pas impossible non plus. C’est une question d’apprentissage dans l’interaction avec d’autres personnes importantes dans la vie des enfants. La notion de substitution est donc remise en question dans cette nouvelle réalité.

Les sociologues français Le Gall et Martin (1993) ont observé, dans leurs recherches empiriques, deux logiques de recomposition de la parentalité séparée qui s’organisent différemment selon les milieux sociaux. Dans celle du milieu populaire, où l’on constate des origines modestes et un niveau d’études peu élevé, ils ont rencontré des divorces plus souvent conflictuels et, où, notamment, la relation après rupture avec l’ex-conjoint se détériore et peut aller jusqu'à se rompre totalement.

En ce qui concerne les enfants, le parent qui n’a pas la résidence habituelle n’exerce normalement pas son droit de visite et le paiement de la pension alimentaire est très irrégulier ou inexistant. Le parent qui détient la résidence habituelle de ses enfants cherche à refaire sa vie et, normalement, l’adoption des enfants de la femme par le nouveau conjoint peut arriver. D’après les auteurs, là, on rencontre les tenants d’une conception plus « traditionnelle» de la famille. On cherche à reconstituer une famille « normale ».  Le père biologique doit être ignorépuisqu’il est un parent en plus. C’est la logique de substitution.

D’autre part, pour les familles plus scolarisées, les études ont démontré que le fonctionnement après la rupture est très différent. Dans les milieux sociaux favorisés, les désunions sont moins conflictuelles, plus négociées et les contacts entre les parents et leurs enfants sont beaucoup plus fréquents. Le parent qui n’a pas la résidence habituelle de ses enfants assume sa responsabilité de père et il n’y a pas de logique de substitution parentale. Même si les parents vont refaire leur vie conjugale avec d’autres partenaires, les fonctions parentales sont respectées.

Une autre étude, menée par Patrick Festy et Marie-France Valetas (in Théry, 1993), sur les femmes divorcées avec des enfants dans une situation de recomposition familiale, a également indiqué que la condition socio-économique est un facteur important dans ces familles, et qu’il semble que ce sont les pensions les plus basses qui sont les moins souvent payées.

Aussi, devant le phénomène des ruptures conjugales et l’accroissement des familles recomposées, les études récentes apportent une autre manière de voir ces relations familiales. La notion de substitution, identifiée par ces études, est ancrée dans une logique d’un modèle unique de la famille dite nucléaire, composée du père, de la mère et des enfants. Cette logique, d’après les recherches, est caractéristique des normes légales préétablies et d’une certaine inadéquation des systèmes juridiques occidentaux aux transformations familiales contemporaines.

Auparavant, le divorce était une exception, aujourd’hui il est courant dans les sociétés et des concepts comme celui de la pluriparentalité s’imposent. Ainsi, même avec la constitution d’une nouvelle famille, il faut préserver le maintien du lien de l’enfant avec chacun des parents. C’est donc, la « logique de pérennité » de la filiation qui s’impose (Segalen, 2006).

Les recompositions familiales se sont construites plutôt en fonction des nouvelles relations familiales, basées sur les relations affectives, nourricières et éducatives qui doivent être composées et non plus substituées. C’est une logique qui donne la priorité au besoin de continuité des relations parentales, même après la séparation du couple.

Le psychologue Poussin (2004) met en évidence l’importance de cette fonction dans le développement bio-psycho-social de l’enfant. D’après lui, le rôle beau-parental ne doit pas être confondu avec la fonction parentale. On doit le considérer comme un rôle particulier et non comme un rôle de substitution pour remplir une place qui n’est pas occupée. Dans cette ligne de raisonnement, même si les beaux-parents ont une importance significative dans la vie de leurs beaux-enfants, la place des parents biologiques doit être toujours préservée.