2.2 Les conflits conjugaux et parentaux

La littérature est abondante en matière de conflits conjugaux et parentaux. Sans prétendre faire une étude approfondie de toutes les questions recensées en matière familiale, nous allons nous limiter aux écrits les plus pertinents pour notre cadre de travail.

D’entrée de jeu, nous affirmons que tout couple a une identité conjugale et des formes de fonctionnement propres à sa réalité. Nous nous référons ici au pacte exprès ou secret cité par Cigoli (2002) ou aux règles implicites ou explicites (Walsh, 2002) qui sont des codes conjugaux inhérents à chaque couple. D’autres auteurs tels que Kellerhals, Widmer et Levy (2004) ont exprimé que tout couple doit construire sa relation en fixant des frontières, en définissant ses buts en tant que couple et famille et également en coordonnant ses activités. Cependant, ces codes ne sont pas toujours actualisés et, par conséquent, les possibilités de conflits affleurent. Dans une étude menée par ces auteurs, les problèmes recensés en matière conjugale ont été imputés, dans 62% des cas, au manque de communication et à la difficulté d’exprimer des sentiments et des émotions, suivis des problèmes dans les relations sexuelles (45%) et les conflits liés à la parenté de l’un ou de l’autre (37%). De ces données, on peut déduire que le manque de dialogue dans le couple est l’un des facteurs les plus importants pour le fonctionnement adéquat de la dynamique familiale.

En effet, dans l’ensemble des conflits parentaux issus d’une rupture conjugale, les plus courants sont la résidence des enfants, les contacts parent-enfant et le règlement de la contribution financière.

De plus, les études révèlent qu’il existe une forte association entre l’intensité de conflits dans la relation conjugale et la fréquence de contact avec l’enfant, après une séparation parentale.

Cyr (1998) remarque que les pères ayant vécu une relation conjugale très conflictuelle ont tendance à maintenir des contacts dont la fréquence et la durée sont plus limitées et les conséquences sur les problèmes de comportement plus grandes.

Wallerstein et Kelly (1998) abondent dans le même sens. Pour ces auteures, les visites irrégulières du père séparé sont des facteurs également perturbateurs dans la vie des enfants. De même, Poussin (2004) souligne que les visites occasionnelles désorganisent l’univers de l’enfant et, pour lui, l’absence de ces contacts est encore préférable aux visites occasionnelles. Ainsi, les contacts fréquents et réguliers du père non-gardien aboutissent à moins de problèmes de comportement chez les enfants. Un autre facteur important, qui porte tort à la vie des enfants dans ces circonstances, est lorsque les parents associent la conjugalité avec la parentalité. Il est courant, dans certains cas, que les parents associent le paiement des contributions financières à l’échange du droit de visites. L’enfant, au centre de tout cela, est placé dans une relation d’échange et de marchandise.

Pour Benedicto (1999), juge au TGI, en France, et qui travaille dans un contexte de médiation pénale, 55% des plaintes sont consécutives au délit de non-paiement de pension alimentaire et la plainte est dirigée généralement contre le père. Ces situations sont à l’origine de conflits et de défaillances de la part des parents et se répercutent sur l’enfant qui en paie le prix, socialement, économiquement et psychologiquement. En fait, ces conflits sont habituellement courants dans les cas de séparation parentale et, souvent, les parents et les membres de la famille ne sont pas conscients du tort qu’ils causent à leurs enfants.

De plus, on ne peut pas ignorer les conflits issus de la recomposition parentale. Étant donnée la diversité de personnes importantes impliquées dans la configuration familiale, comme les parents, les beaux-parents, les frères, les sœurs, les demi-frères et demi-sœurs, etc., le potentiel de développer des problèmes familiaux est grand. Les études d’Archambault (2007) soulignent qu’en France, 28% des enfants de parents séparés résident avec un beau-parent. Le pourcentage d’enfants vivant dans une famille séparée ne cesse d’augmenter et le pourcentage de ceux qui vivent une recomposition de famille ne cesse de croître. Si l’on considère, comme l’indique les statistiques, qu’en France, dans 85% des cas, après une rupture conjugale les enfants restent avec la mère, et qu’au Brésil, dans près 90% des cas, on peut affirmer que les beaux-pères sont très nombreux à vivre cette expérience familiale qui s’avère parfois problématique.

En ce qui concerne l’éducation des enfants dans les familles recomposées, Cadolle (2001), se basant sur un recensement des études américaines, a souligné que les beaux-parents, quand ils participent indirectement à l’éducation de leurs beaux-enfants, en soutenant les règles dictées par la mère, seraient plus efficaces que lorsqu’ils imposent leur propre discipline ou évitent de s’engager. De la même façon, en ce qui concerne les adolescents, ils ont plus de difficulté à accepter l’autorité de leurs beaux-parents. Les adolescents préfèrent que les règles posées viennent de leur parent biologique.

Si dans le cas d’une famille sans recomposition familiale, les conflits sont sérieux et déjà manifestes à cause des autres personnes qui la constituent, on peut imaginer les difficultés vécues dans l’entourage d’une famille recomposée où il existe beaucoup plus d’interférence d’acteurs importants sur la scène familiale. D’ailleurs, les recherches concernant les difficultés de ces familles décrivent les principaux enjeux qui existent dans ce cadre familial. Parmi ces difficultés, on souligne le fait que les conjoints assument en même temps des rôles de parents et de conjoints. Ces rôles, joués par des parents ou des beaux-parents, constituent un partage de l’autorité parentale qui implique le parent, le nouveau conjoint et le ou les ex-conjoints. Il faut également considérer la place qui sera laissée à chacun et qui, parfois, ne fait pas l’unanimité au sein de la famille.

Poussin (2004) et Giampino (2008) font une distinction au niveau du rôle de parent : il y a le parent substitut ou remplaçant et le parent biologique à qui appartient la fonction parentale. En effet, le beau-parent peut assumer un rôle parental (à la place de), mais il ne peut pas avoir une fonction parentale (le fait d’être parent). Pour l’enfant, un beau-parent ne sera pas à la même place symbolique que le père ou la mère de naissance. Giampino (2008) soutient que les beaux-parents doivent construire un lien relationnel qui dépend surtout de deux facteurs : le parent non-cohabitant doit accepter que l’enfant ait un lien avec le beau-parent et le beau-parent doit être capable de respecter la fonction parentale, et non pas se l’approprier. Les enjeux éducatifs entre le père, la mère et les beaux-parents, sont parfois irréconciliables. Les situations sont complexes et exigent beaucoup de compréhension, de respect et de reconnaissance de l’autre.

De plus, comme le souligne Beaudry et. al (2005), ces problèmes, qui affectent la plupart des familles recomposées, ne dépendent pas du milieu d’origine et de leur classe sociale. De même, ces familles ont une stabilité plus fragile que les premières unions. Ces auteurs ont mené une recherche auprès de 161 couples québécois qui vivent une recomposition familiale. L’objectif était d’identifier les principales difficultés vécues par les hommes et les femmes qui recomposent une famille et si ces difficultés sont liées à une plus faible satisfaction conjugale. Les résultats de la recherche ont révélé que les principales difficultés étaient associées à l’exercice du rôle parental, quel que soit le genre du répondant. Cependant, les résultats ont montré que la satisfaction conjugale est davantage associée à l’exercice du rôle conjugal qu’à l’exercice des rôles parentaux. Ce qui amène les auteurs à conclure que la qualité de la communication entre les conjoints est un facteur déterminant pour expliquer les parcours familiaux lors d’une recomposition familiale.

Ainsi, améliorer les compétences de communication, comme leur capacité d’écoute et de résolution des problèmes, sont les attitudes essentielles et les conditions de l’exercice d’un rôle parental satisfaisant. De plus, les auteurs soulignent que plus les conjoints sentent de difficultés dans leurs tâches d’éducateurs, moins ils sont satisfaits de leur relation de couple.

A travers les résultats de cette recherche, on peut également mesurer l’importance de la médiation familiale auprès des familles recomposées qui présentent des problèmes relationnels. Les compétences de communication dans le couple, si souvent citées par les auteurs recensés, sont à la base du processus de médiation familiale et leur apprentissage peut être d’une grande utilité pour les familles en difficulté.