1. Le contexte historique et social de la médiation familiale

La médiation, comme règlement pacifique des conflits, n’est pas récente. Dès 1907, elle était déjà prévue dans la Convention de la Haye pour gérer les confits internationaux. Quoique la médiation soit utilisée depuis longtemps dans les mouvements pacifistes, les communautés religieuses, ou encore dans le milieu du travail et du commerce, son application en matière familiale est récente.

La médiation familiale dans un contexte de séparation et de divorce a pris son essor dans les pays anglo-saxons dans les années 1970 et s’est rapidement étendue et institutionnalisée dans plusieurs pays. Si, au début, elle avait une connotation plutôt religieuse, notamment d’influence protestante, et était considérée, avant tout, comme une façon de reformer des familles en difficulté, elle est rapidement devenue une façon de principalement gérer leur dissolution. (Faget, 2005),

En effet, l’apparition de ce nouveau mode de règlement des conflits vient d’un mouvement plus large que celui traitant de la promotion de modes alternatifs et non judiciaires de résolution des conflits, en dehors des contextes étatiques et institutionnels. En fait, donner aux citoyens un pouvoir de participation et de responsabilisation de leurs conflits constitue l’un des objectifs principaux de ce mouvement.

Ainsi, la médiation en matière familiale est vue sous deux perspectives théoriques : l’un concernant l’évolution et les mutations des familles contemporaines et l’autre relatif au développement des modes alternatifs de règlement des conflits.

Dans le sens plus large, la médiation en matière de séparation et de divorce est habituellement définie comme un processus de gestion des conflits interpersonnels, dans lequel les personnes impliquées demandent ou acceptent l’intervention confidentielle d’une tierce personne qualifiée et impartiale, le médiateur, qui les amènera à trouver, par elles-mêmes, les bases d’un accord durable et mutuellement acceptable. Le médiateur familial vise les besoins personnels et, surtout, ceux des enfants. La communication, la reconnaissance et l’acceptation des différences sont les atouts de cette nouvelle façon de gérer un conflit familial.

Sassier (2001) souligne les principes fondamentaux de la médiation familiale, qui sont formés par l’impartialité et l’indépendance du médiateur, ainsi que par l’autonomie des personnes, leur permettant de prendre des décisions. La médiation ne peut être que volontaire, le médiateur n’a aucun pouvoir de contrainte ou d’expertise.

Aux Etats-Unis, cette pratique est apparue dans les années 1970 et parmi ses principaux initiateurs, citons Coogler (1978), avocat et psychothérapeute, fondateur du premier Centre privé de médiation dans ce pays et, également, les études de Haynes (1981), professeur universitaire, travailleur social et thérapeute familial. D’autres, comme Saposnek (1985), Bush et Folger (1994) et Brown (1982), ont contribué au développement de la médiation familiale dans ce pays.

Au Canada anglophone, elle est apparue dans les années 1980 et il faut souligner les écrits d’Irving et Benjamin (1987, 1992). Au Canada francophone, les études et écrits des professeurs, travailleurs sociaux et médiateurs Lévesque (1989, 1998,1999), Filion (1998), Laurent-Boyer (1998) et de la juriste Clairmont (1998) ont contribué à l’évolution de la pratique de la médiation. Au Québec, la médiation familiale a été mise en place en 1982 à partir d’un projet pilote créant un service public gratuit de médiation, à la Cour Supérieure de Montréal. Dès le départ, ce service a été créé à partir d’un modèle interdisciplinaire, réunissant intervenants sociaux et des avocats.

En Angleterre, Lisa Parkinson (2004) lançait, en 1986, un projet pilote de médiation globale à Londres privilégiant un modèle de comédiation interdisciplinaire de concert avec des avocats spécialisés en médiation.

En France, la médiation s’est développée à la fin des années 1980 au moyen d’initiatives personnelles ou associatives. Parmi les principaux ouvrages, citons les chercheurs et sociologues Bastard et Cardia-Vonèche (1990), les juristes Bonafé-Schmitt (1992) et Faget (1997) et également les travaux des assistantes sociales Babu (1997) et Dahan (1996) et de la médiatrice Claire Dennis (2001).

De fait, la médiation familiale trouve son origine au croisement de trois contextes : le social, le structurel et l’institutionnel (Avila et Anaut, 2008). Le social se réfère au phénomène de la multiplication des séparations conjugales dans les sociétés contemporaines (Anaut, 2005, 2007). PourSpielvogel et Noreau (2002), l’apparition de la médiation familiale constitue une innovation qui présume un autre type de relation entre les sphères publique et privée, conformément à la définition contemporaine de la famille et à la mise en valeur des individualités. L’aspect structurel concerne la déjudiciarisation des ruptures conjugales, la médiation étant une forme non judiciarisée de rapports privés. Ce processus semble plus solide, puisque les personnes prennent elles-mêmes les décisions et ne dépendent pas d’une décision judiciaire imposée. Enfin, le contexte institutionnel se réfère à la crise des systèmes de justice qui stimule les modes alternatifs et informels de solution des conflits, plus souples et efficaces, en employant la médiation comme instrument afin de diminuer le nombre de procès litigieux. Ainsi, plusieurs pays ont développé des politiques publiques et sociales qui ont contribué à la légalisation de la médiation et ensuite mené à la création de services et de centres de médiation familiale. Chaque pays, en fonction de ses valeurs et besoins spécifiques, a développé son propre modèle de médiation basé sur ses traditions culturelles, sociales et juridiques (Mattei, 2007). Si les contextes sociaux et culturels sont différents, les différents modèles de médiation ont toutefois des caractéristiques communes. Parmi ces caractéristiques, signalons que la pratique de la médiation, en matière de conflits familiaux a été souvent développée à l’initiative des professionnels, notamment du domaine psychosocial, inquiets de l’état de souffrance et de désorganisation des familles dans les contextes de ruptures (Lévesque,1991,1998 ; Théry, 2001). De plus, indépendamment des ses formes et différences culturelles et sociales, la médiation est conçue comme une démarche qui permet aux personnes en situation de séparation d’établir sur une base consensuelle les modalités de leur vie privée au moment d’une séparation ou d’un divorce (Noreau et Amor, 2004). Les discussions concernant les responsabilités parentales, l’accès au parent non hébergeant, les contributions financières, le partage de biens sont conduites avec l’aide d’un médiateur, à l’extérieur du contexte judiciaire classique. La médiation contribue à ce que les ex-conjoints continuent à maintenir des relations parentales même après la rupture conjugale, dans une optique de négociation et de communication. Ainsi, la médiation familiale est l’une des formes modernes de suivi du divorce (Bastard, 2001, 2002). En dépit de la rupture conjugale, phénomène fréquent dans les sociétés contemporaines, les parents devront continuer à assumer leur fonction parentale (Poussin, 2004). L’intervention d’un médiateur a pour but de les aider à trouver une solution ensemble sans avoir besoin de recourir au procès judiciaire. Le médiateur familial a pour rôled’encourager les personnes à dialoguer sur leurs différences, dans une perspective plus coopérative et de façon directe et respectueuse. Le médiateur ne décide pas, ne conseille pas, ne réconcilie pas les couples qui veulent se séparer. Il est simplement celui qui facilite la communication interpersonnelle, il ne leur impose pas de solutions, contrairement aux formes d’imposition, de contestation et de décision du système judiciaire.

La médiation n’est ni la pratique du droit, ni de la thérapie, ni de l’aide sociale. C’est l’alliance du domaine psychosocial et du juridique (Lévesque, 2003). Au début, la médiation familiale a été prise comme une alternative au système judiciaire traditionnel, en raison des insatisfactions envers les jugements de cours, les coûts élevés, les formalités excessives et la lenteur des procédures judiciaires. Elle s’ordonne en tant qu’alternative dans le sens où elle diffère des logiques habituelles du règlement des conflits judiciaires (Bastard, 2002 ; Schnitman, 1999, Laurent-Boyer, 1998). Aujourd’hui, elle est vue par certains auteurs comme étant un complément de la justice (Théry, 2001 ; Parkinson,2004 ; Noreau et Amor, 2004 ; Sellenet, David et Thomère, 2007).

Même sila médiation familiale a débuté dans un contexte non conventionnel et institutionnel, sa proximité avec le système juridique est certaine. Elle a été rapidementréappropriée par l’institution judiciaire et son incorporation devient une nouvelle pratique de justice ou une nouvelle forme de justice (Commaille, 1982). En fait, pour certains auteurs, la médiation ne doit pas être réduite à une simple réponse à la crise du système judiciaire. Considérer la médiation familiale de cette façon est une manière très réductricede la voir (Bonafé Schmitt, 1998) et Spielvogel et Noreau, 2000). La médiation n’est pas une simple technique de résolution des conflits, comme elle est généralement définie par les chercheurs américains (Bonafé Schmitt, 2002). Elle est plutôt issue des transformations sociétales. Pour sa part, Faget (2005) argue que la médiation fait partie d’un mouvement de transformations du rôle de l’Etat envers la société civile, du déclin des institutions et de la crise du lien civique. Les différents courants théoriques de la médiation feront l’objet du chapitre IV.

En somme, quelles que soient les logiques concernant la pratique, il s’agit inéluctablement d’un changement de paradigmes dans les rapports sociétaux, institutionnels et professionnels.