2.1 Des changements au niveau de la société

La logique de la médiation s’éloigne de la mentalité juridique, omniprésente dans les sociétés occidentales, selon ce que prédisait le sociologue québécois Guy Rocher (in Lévesque, 2004). La médiation cherche d’autres façons de règler un conflit et non pas uniquement à travers le droit, qui s'est approprié le discours du conflit dans notre société. Dans la logique juridique, les conflits doivent être judiciarisés pour avoir une légitimité et une reconnaissance sociale. De même,le sociologue français Bourdieu (1986) dénonçait cette logique, dans son article « La force du droit » lorsqu’il mentionnait le pouvoir de domination et l’institution du monopole où seul le droit peut régler les conflits qui existent entre les personnes.

Il peut y avoir d’autres formes de règlement et de gestion des conflits qui ne demandent pas nécessairement la voie judiciaire. Un mode de gestion des conflits plus souple qui privilégie un espace de communication et de coopération sans se soucier, à priori, d’un code de normes et de valeurs. Il faut aussi avoir des formes extrajudiciaires auxquelles on peut s’adresser librement. A titre indicatif, dans notre culture occidentale, lorsque les personnes ont des problèmes de comportement, voire relationnels, elles ont l’habitude de chercher un psychologue ou un thérapeute conjugal et familial. Quand les difficultés de couple apparaissent au sein du mariage, les époux cherchent soit un conseiller conjugal, soit des proches, soit des amis intimes. Dans le cas de séparation et de divorce, ils font appel à un avocat pour régler la séparation.

Toutefois, ce seul choix est en train de changer avec l’apparition du médiateur familial. Aujourd’hui, dans les sociétés plus avancées, lorsque les personnes ont l’intention de se séparer, le médiateur est alors un professionnel capable de les aider à réorganiser leur vie future dans un esprit de dialogue, de négociation et de tolérance. Ceci caractérise l’apparition d’un nouveau métier dans les sociétés actuelles, différent de la procédure judiciaire classique qui fait exclusivement appel à des avocats pour régler le divorce.

En effet, les logiquesconcernant la façon d’envisager un conflit sontdifférentes s’agissant de la médiation ou du système judiciaire. Pour les juristes, le conflit exprimé par une personne est directement transformé en litige, c’est-à-dire, une dispute donnant matière à un procès judiciaire. Le juriste cherche à réaliser l’encadrement du conflit dans la normativité juridique. Dans ce sens, l’un a tort et l’autre a raison, l’un gagne et l’autre perd, c’est la logique du contradictoire. Pour mieux comprendre cette dualité, il faut faire une référence à Guillaume-Hofnung (2005) qui résume les idées d’Edgar Morin sur lapensée binaire. Cette logique caractérise les formes traditionnelles de règlement des conflits et renferme les possibilités de compréhension. Dans l’esprit de la médiation, la conception du conflit est autre. Il s’agit d’une perception plus positive des conflits interpersonnels (Lévesque,1998). Le conflit est analysé en termes d’insatisfactions réciproques et également comme une forme de changement personnel et de renouvellement de la vie. Les deux parties peuvent gagner et se sentir satisfaites de la solution qu’elles ont trouvée. De plus, comme le renforcent les anglo-saxons, la médiation donne la priorité à « l’empowerment » qui n’est plus que la capacité des personnes à prendre des décisions, en préservant leur autonomie et leur responsabilité dans la solution de leurs différences.

Dans ce sens, les conflits sont vus comme étant une occasion de changement qui permet de questionner des faits sociaux et des croyances qui nous paraissent évidents et d’autres qui ne le sont pas. Ils nous permettent la créativité, l’empathie et l’altérité. Les valeurs sont autres, aussi bien basées sur la flexibilité, la participation et la singularité quesur la rigidité, les normes préétablies et les impositions. Ainsi, pour les juristes, le conflit est une pathologie qu’il faut réduire. En revanche, pour les sociologues, le conflit fait partie du fonctionnement et des changements du monde social (Commaille, 2004).

Dans le domaine familial, la médiation met de l’avant une vision plus globale des conflits interpersonnels, une vision basée sur la notion de l’interdisciplinarité requise dans les sociétés postmodernes. Elle fait appel à différents savoirs et à différentes conceptions de la réalité. La vision fragmentée et réductrice, caractéristique des sociétés modernes, est remplacée par une vision plurielle et interdisciplinaire.