6.1 Les facteurs de réussite d’une médiation

Sarrazin et Lévesque (2001), dans leur recensement des écrits affirment que la plupart des recherches examinent les facteurs de réussite d’une médiation sur deux plans, celui du couple et celui du médiateur.

6.1.1 Du point de vue du couple

Les études de Kressel et al. (1980) ont conclu que le type de divorce est un facteur qui détermine la pertinence ou non d’aller en médiation. Ainsi, la sorte de conflit ou l’absence du conflit ainsi que son intensité sont directement liées aux conditions de succès de la médiation. En effet, chaque type de couple exige une forme appropriée d’intervention. Dans cette perspective, les couples qui présentent des conflits modérés sont les plus indiqués à réaliser une médiation par rapport aux couples qui présentent un niveau élevé de conflit. Ceux-ci présentent des attitudes plutôt négatives et agressives. De plus, lorsque la décision de la séparation n’est pas mutuelle, le succès de la médiation n’est pas garanti. Ces auteurs ont aussi affirmé que les personnes qui ont eu accès à la médiation ont plus de chances de se mettre d’accord et ont des attitudes plutôt positives et coopératives que les personnes qui n’ont pas eu recours à la médiation.

Dans cette même perspective, Irving et Benjamin (1992) ont constaté dans une étude empirique auprès de 76 couples canadiens que le succès de la médiation familiale en pratique privée est associée à la faible intensité des conflits présentés par le couple. Ils concluent alors que les couples qui ont un faible niveau de conflit ont plus de chances de réussir une médiation.

Pou leur part, Bonafé-Schmitt et Charrier et Robert (2006) ont aussi constaté dans leurs études, que le niveau de conflit entre les participants est directement proportionnel à l’obtention ou non d’un accord en médiation et à la satisfaction envers le processus. Si les relations étaient déjà très conflictuelles, le passage en médiation n’y entraîne aucun changement. Au contraire, dans les situations de conflits modérés les relations sont plutôt renouvelées après la médiation. En effet, celles qui sont très conflictuelles sont plutôt liées à des problèmes d’application et de modification des décisions concernant l’autorité parentale par rapport à celles qui présentent moins de conflit. De plus, les résultats ont révélé que lorsque le couple n’est pas en conflit ou même très peu, ce sont les besoins des enfants qui deviennent prioritaires, alors qu’en cas de conflit élevé les relations avec l’autre partie sont placées à l’avant-scène. Noreau et Amor (2004) vont dans le même sens en affirmant que la médiation familiale s’adresse notamment à un conflit de faible intensité. D’autre part, les études de Kelly et Gigy citées par Sarrazin et Lévesque (2001) arguent que les couples qui arrivent à un accord en médiation ne sont pas liés au niveau de conflit. Ces accords peuvent se faire dans les cas plus ou moins conflictuels.

Un autre facteur lié à la réussite de la médiation concerne les compétences socioéducatives des couples. Des chercheurs ont examiné les formes de fonctionnement au sein du couple, en identifiant les identités conjugales et les façons qu’a le couple de régler ou de gérer ses conflits. Les études de Kellerhals, Widmer et Levy (2004) ont identifié cinq styles de conjugalité qui correspondent aux ressources socioculturelles des individus comme les variables éducation, profession et pouvoir. Ces auteurs ont trouvé des corrélations entre le milieu social et le type de fonctionnement familial.

En effet, pour les couples présentant un haut niveau d’éducation et de professionnalisation, les rôles fonctionnels, relationnels et même motivationnels, sont différents de ceux des couples moins scolarisés. Par exemple, les couples possédant une plus grande capacité de négociation sont plus scolarisés et exigent un partage égalitaire des tâches et des décisions. En revanche, les couples moins scolarisés donnent plus d’importance aux enjeux liés à la hiérarchie et à la différenciation des rôles et leurs capacités de négociation sont plutôt faibles.

Kellerhals, Widmer et Levy (2004), dans leur analyse du fonctionnement des couples ont identifié deux types qui caractérisent le couple moderne: le style associatif et le style fusionnel (Bastard, 2002).

Dans le style associatif, l’autonomie et l’individualité des personnes doivent être préservées à tout prix. Le fonctionnement du couple est marqué par la communication et la négociation. L’accent est mis sur l’égalité des sexes et un partage des rôles fonctionnels. Le partage des tâches est égalitaire et les décisions au sein de la famille sont prises conjointement. Ils sont une ouverture sur le monde extérieur et ils détestent des tâches routinières.

Quant au style fusionnel, il est caractérisé par un niveau élevé de fusion où l’on fonctionne en tant qu’ensemble, comme le « nous-couple ». Les valeurs liées à la sécurité et à la stabilité sont essentielles au fonctionnement familial. Les femmes assument les tâches et les responsabilités domestiques et éducatives comme dans le type traditionnel de conjugalité. Le style fusionnel se trouve présent dans toutes les classes sociales (Kellerhals, Widmer et Levy, 2004). À titre d’exemple, l’une des différentes motivations entre ces deux types de couples concerne la décision de procréer. Pour les associatifs, la venue des enfants est retardée, car ce qui importe initialement sont les compétences scolaires et professionnelles. Au contraire, pour les fusionnels, le passage du couple à la famille se fait plus précocement et les rôles familiaux les attirent plus que les rôles professionnels. Cela correspond également au niveau socioéconomique des familles; les classes sociales moins aisées ont tendance à avoir plus d’enfants que les classes plus aisées.

Pour Bastard (2002), le style du couple est également en liaison avec le type de divorce. En effet, pour les couples du type associatif, les compétences de communication et de négociation sont plutôt développées par rapport à celles des couples de style fusionnel. Le type associatif est déjà habitué à fractionner; chacun gardant son autonomie et son individualité. Ainsi, ils s’ajustent plus facilement à un accord et gardent plus couramment des liens après la séparation.

D’autre part, pour le style fusionnel, le fonctionnement est plutôt en termes de symbiose familiale et la séparation devient plus compliquée. Ils visualisent difficilement leur vie à l’extérieur de l’entité familiale. En effet, leurs séparations sont plutôt conflictuelles; ils éprouvent des difficultés à séparer la conjugalité de la parentalité et à procéder au partage des ressources financières et patrimoniales. Comme conséquence, les conflits s’intensifient. On a tendance à exclure le parent non gardien et à refuser la négociation.

Ainsi, pour le type associatif, la dédramatisation du divorce et son règlement à l’amiable peuvent s’avérer satisfaisants alors que pour le type fusionnel, ils sont complètement inefficaces (Bastard,2002). Dans cette même logique, une étude australienne, citée par Noreau et Amor (2004), indique que la médiation soit appropriée lorsqu’il existe déjà une bonne communication dans le couple et qu’elle se continue par la suite dans la coparentalité. Ceci s’observe surtout chez la classe moyenne où argent et coopération sont des valeurs importantes. Richardson (1988) arrivait aux mêmes conclusions.

Enfin, Bastard (2002) argue que le type associatif n’est pas le privilège des classes plus aisées et que le modèle fusionnel se trouve présent dans toutes les classes sociales. Il se demande aussi si vouloir régler tous les conflits par la médiation n’est pas un mythe. La négociation des conflits est louable mais elle n’est pas à la portée de tous.

Il y a le risque de créer de nouvelles « fictions juridiques » et de faux accords.