3. La médiation familiale: une logique interdisciplinaire et communicationnelle

3.1 Une logique interdisciplinaire

Le XIXème siècle a été marqué par le temps des spécialistes. Selon Gusdorf (1983), le positivisme et le scientisme correspondent à cette nouvelle règle du savoir, où chaque discipline impose ses propres savoirs et méthodologies et s’enferme dans un isolement total par rapport à d’autres formes de connaissance. Ainsi, le territoire épistémologique ne cesse de se fragmenter.

La question de l’interdisciplinarité qui a été préalablement traitée depuis les origines de la culture occidentale et qui dénonçait le mal de la spécialisation est entrée dans la vie intellectuelle contemporaine. Toutefois, pour Gusdorf(1983), cette notion est encore loin d’être réalisée pour les spécialistes.

Aujourd’hui, il existe plusieurs concepts pour aborder l’interdisciplinarité, la multidisciplinarité, la pluridisciplinarité et la transdisciplinarité. L’intention, dans ce travail, n’est pas d’élucider les différences conceptuelles et terminologiques qui ont lieu dans les discours académiques de nos jours. Il s’agit plutôt d’évoquer simplement ce qu’est l’interdisciplinarité, comme elle a été comprise par Gusdorf(1983) et ce qui paraît plus approprié aux fondements épistémologiques de la médiation familiale. Pour l’auteur, la connaissance interdisciplinaire doit être comprise dans une logique de la découverte, une ouverture réciproque, une communication entre les domaines du savoir et non pas un formalisme qui neutralise toutes les significations en fermant toutes les issues. L’interdisciplinarité n’est pas seulement une juxtaposition, mais, avant tout, une mise en commun des connaissances. Il s’agit d’une compréhension des limites entre les disciplines spécialisées et, par conséquent, une possibilité de dialogue entre elles-mêmes. Ainsi, ce que cherche l’interdisciplinarité est un langage commun et une compréhension réciproque entre les sciences qui donneront une meilleure intégration des savoirs.

Toutefois, le contexte de l’interdisciplinarité est complexe et l'enjeu est de mettre en place cette attitude interdisciplinaire chez les professionnels. Develay (2009) présente trois sources de difficultés. La première est d’ordre institutionnel. Les professionnels  sont rarement formés au travail en équipe.  La deuxième est d’ordre identitaire. Le spécialiste a une identité professionnelle, ainsi qu'une identité personnelle. « L’interdisciplinarité ne conduit pas à rassurer  à propos de cette identité professionnelle et peut même donner le sentiment d’une dilution de cette dernière » (pp.56). Enfin, la troisième difficulté est  d’ordre épistémologique. Penser l’interdisciplinarité, c’est inévitablement avoir à travailler avec quelqu’un qui ne possède pas les mêmes structures de pensée qui nous font regarder le monde d’une façon particulière. Celui qui a une autre formation voit le monde différemment et il est possible que nous ne l’appréhendions pas. Accepter l’interdisciplinarité c’est accepter la différence et même la rechercher pour s’en nourrir.

Japiassu (1976) a dénoncé les limites d’un savoir spécialisé et le culte des experts. L’auteur a souligné l’interdisciplinarité comme une exigence actuelle dans les sciences et comme une nécessité pour une meilleure compréhension intellectuelle de notre réalité. Pour lui, la revendication interdisciplinaire est la conscience que chaque spécialiste a de ses propres limites pour accueillir les contributions des autres disciplines. Une épistémologie de la complémentarité doit remplacer l’idéologie de la dissociation. Ici, le paradigme de la simplification, qui se fonde sur les principes de la dissociation, de la réduction et de l’abstraction prend tout son sens (Morin, 2007).

C’est dans cette perspective que nous considérons la logique et la nature interdisciplinaires de la médiation familiale, c’est-à-dire une union de savoirs convergents vers une même fin. L’objet d’intervention du médiateur familial est la diversité des relations familiales et, en même temps, le conflit est analysé dans toutes ses dimensions comme les aspects sociaux, psychologiques, relationnels, émotionnels et juridiques, et tout cela en passant par des formes adéquates de communication interpersonnelle.

C’est à travers le dialogue entre les disciplines sociales, psychologiques et aussi juridiques, c’est-à-dire, la contribution que chacun peut donner à une situation particulière et la reconnaissance de ses limites, que la nature de la médiation familiale émerge. Et, pour cela, il faut passer par une véritable formation. Il est nécessaire de souligner qu’est interdisciplinaire ce qui n’appartient pas à telle ou telle discipline  (Gusdorf ,1983). C’est dans la perspective d’une conscience interdisciplinaire que la pratique de la médiation familiale a un sens. Elle suscite la communication entre les sciences et évite les particularismes et les savoirs fragmentés et dissociés. L’enseignement et les universités agissent dans des segments disciplinaires et des frontières hérités de l’illuminisme, dans une vision réductionniste (Schnitman,1999). Le futur global est pluriel et invite à la créativité qui permet de nouveaux savoirs.

De plus, dans l’expression médiation familiale on trouve deux mots : médiation et famille. Il faut faire l’articulation entre ces deux termes. Un qui se rapporte à la famille, mais pas exclusivement et, l’autre, qui se rapporte au savoir faire la médiation, qui correspond à l’attitude du médiateur et au processus de la médiation (Faget, 2005). Cela montre encore plus la nature interdisciplinaire de cette nouvelle pratique professionnelle qui est en pleine expansion. Penser la médiation dans cette logique interdisciplinaire, liée à une logique communicationnelle, semble être une alternative intéressante afin d’élaborer un cadre conceptuel de ce nouveau mode de gestion des conflits familiaux.