Partie II - La médiation familiale: approche comparée

Chapitre V: Méthodologie

1. Construction de l’objet et problématisation

La crise du système judiciaire est mondialement connue et largement débattue en raison des formes anachroniques des lois procédurales ainsi que de l’inadéquation du modèle « adversarial » dans la gestion de conflits familiaux. Ce modèle ne correspond pas aux mutations en cours dans les sociétés contemporaines.

Dans un contexte familial où les questions subjectives et émotionnelles prédominent, le Droit de la famille n’est pas adapté et fait l’objet d’un mécontentement qui perdure. La prestation juridictionnelle est considérée lente et très souvent inefficace, entraînant de nombreuses insatisfactions dans la société en général, d’où, le développement de modes plus coopératifs et communicationnels de gestion des conflits et parmi ces modes, la médiation familiale.

Notre sujet de recherche s’inscrit dans une démarche de compréhension des pratiques de médiation familiale en matière de séparation et de divorce, en tant que nouveau mode de gestion des conflits interpersonnels. L’approche médiation se veut donc une réponse à l’incapacité du système judiciaire de gérer efficacement les problèmes conjugaux et familiaux.

Considérant le caractère innovateur de cette approche, son efficacité à faciliter la gestion des conflits familiaux et la sanction officielle reçue par l’État en France et au Canada, il convient d’en explorer le cadre théorique, d’en examiner les modèles de pratique, de dégager les exigences pour la formation des médiateurs et d’identifier les lieux d’intervention.

En France et au Canada, la médiation est pratiquée par un professionnel qualifié qui connaît les référentiels théoriques spécifiques au processus de médiation et maîtrise des techniques de communication interpersonnelle.

Au Brésil, les expériences de médiation manquent de bases épistémologiques et scientifiques essentielles à une pratique éclairée. Bien que la médiation familiale promeut l’autonomie des personnes lors de la résolution de leurs conflits et une intervention qui vise avant tout l’agir communicationnel (Habermas, 1987), une telle intention est encore loin d’être assimilée et comprise dans l’ensemble de la société brésilienne. Toutefois, un changement de paradigme en matière de gestion de conflits interpersonnels s’impose ; les sociétés modernes l’ont compris et le Brésil commence à s’y intéresser.

Notre intérêt pour cette nouvelle approche vient de notre expérience professionnelle, comme assistante sociale dans un service judiciaire. En tant qu’expert auprès des couples en phase de rupture conjugale, nous nous sommes interrogées face à l’insatisfaction des personnes envers les décisions judicaires et le besoin des couples en conflit de dialoguer sur des questions émotionnelles et relationnelles de leur séparation. Les questions suivantes nous interpellaient :

  • sur quelle certitude sont basés les avis professionnels des experts en divorce ?
  • l’objectivité de la science du droit ne contribue-t-elle pas à aggraver les conflits familiaux ?

Pour Théry (001), il n’existe pas d’autres modes de résolution des conflits fondés sur d’autres bases plus autonomes que celles du savoir des sciences humaines.

Suite à ce questionnement, nous avons eu l’occasion de réaliser un projet de recherche en 1997, dans le cadre du Master à l’École de Service Social de l’Université de Montréal, dont le sujet de recherche portait sur la pratique de la médiation des conflits familiaux, notamment en cas de séparation et de divorce, sous la direction des professeurs Justin Lévesque et Ricardo Zuniga. Pour ce projet, nous avons reçu l’appui financier du programme de bourse d’études de l’Agence canadienne de développement international (ACDI)/ Université de Montréal/ Amérique Latine et celui du Tribunal de justice de Santa Catarina. Ils ont contribué à la réalisation de notre projet de recherche.

À notre retour au Brésil en 2000, nous avons mis en place un projet pilote de médiation familiale à la Chambre de la Famille du Palais de Justice de Santa Catarina, en intervenant à titre de médiatrice et surtout à titre de formatrice. Il est important de souligner que le projet a prévu deux formes de médiation: celle que nous appelons extrajudiciaire, c’est-à-dire, antérieure à l’enregistrement d’un procès judiciaire, et la médiation judiciaire, avec le procès en cours, c’est-à-dire, une action judiciaire ayant déjà été effectuée par les voies traditionnelles.

Grâce à cette expérience professionnelle, d’importantes discussions et réflexions philosophiques et épistémologiques autour de la formation des médiateurs et des modèles de pratique de médiation familiale ont eu lieu. Ainsi, les médiateurs du domaine juridique dont l’apprentissage académique était essentiellement axé sur le droit et l’Intervention judiciaire avaient tendance à voir le conflit familial uniquement en termes légaux. Quant aux professionnels du domaine psychosocial, ils utilisent les types d’intervention caractéristiques de leur formation académique sans pour autant orienter leurs actions vers l’obtention du but poursuivi en médiation. Bonafé-Schimtt (1999) souligne que le développement de la médiation familiale implique, de la part des avocats, un changement de structure mentale pour évoluer de l’homme de procès à celui de la médiation. D’autre part, concernant les professionnels du social et de la psychologie, le développement de la médiation familiale implique, aussi, une évolution de leurs pratiques. Il ne s’agit pas de fusionner thérapie, aide psychologique et médiation. À la relation d’aide doit être substituée une autre forme d’intervention dirigée vers le développement de l’autonomie des personnes.

Sur le plan des effets de la médiation dans un contexte judiciaire et extrajudiciaire, les discussions se rapportaient à la représentation des médiateurs familiaux et des couples de ces deux modalités de médiation. La question était : comment développer une pratique sociale d’intervention qui prenne en compte les besoins personnels et émotionnels, sans avoir à tomber dans les procédures ou se limiter aux conceptions des systèmes de justice, dans le cas de la médiation judiciaire ?

Dans les recherches sur la pratique de la médiation familiale, nous constatons que très peu d’études analysent le contexte dans lequel la médiation familiale s’inscrit, soit extrajudiciaire et judiciaire. Il importe de connaître les caractéristiques principales de ces deux types de médiation et d’en identifier les différences, C’est dans cette perspective que se situe la présente recherche, commencée en janvier 2007 et soutenue financièrement par le Tribunal de Santa Catarina.

Durant notre formation au niveau Master, nous nous sommescentrée uniquement sur la médiation familiale en tant que nouveau mode de gestion des conflits interpersonnels et son adaptation au contexte culturel et social brésilien. Dans notre formation doctorale, nous avons repris une thématique plus large, celle des modèles et du développement de la médiation familiale dans les pays qui ont des traditions culturelles distinctes et les impacts positifs et négatifs qui en découlentsur la médiation dans les contextes judiciaire et extrajudiciaire.

Ainsi, nous sommes partis d’une hypothèse de travail : la médiation familiale, qu’elle soit extrajudiciaire ou judiciaire, est un processus de gestion des conflits interpersonnels efficace et satisfaisant dans les cas d’une rupture conjugale. De plus, nous posons l’hypothèse selon laquelle la médiation extrajudiciaire serait plus efficace que la médiation judiciaire pour gérer un conflit familial.

Notre objectif est d’identifier les modèles de pratique de médiation familiale existants en France et au Brésil, de les d’analyser et d’évaluer les résultats de cette pratique auprès des couples. Cet objectif comprend quatre buts spécifiques :

  • Identifier et analyser la pratique de la médiation dans des pays où il y a des traditions culturelles, sociales, économiques et juridiques distinctes et son insertion dans les textes légaux.
  • Distinguer les principales différences et caractéristiques entre la médiation extrajudiciaire et la judiciaire.
  • Examiner si la médiation extrajudiciaire est plus efficace pour régler un conflit que la médiation judiciaire.
  • Discerner et analyser les effets des médiations extrajudiciaire et judiciaire auprès des couples.