1. Discussion des résultats obtenus auprès des médiateurs familiaux français et brésiliens

1.1 Les modalités de médiation

Dans le cadre de cette recherche, nous posons l’hypothèse que la médiation familiale, qu’elle soit extrajudiciaire, c’est-à-dire se situant avant une procédure judiciaire ou extrajudiciaire c’est-à-dire que le procès estdéjà en cours, est un processus de gestion des conflits interpersonnels efficace et satisfaisant dans les cas d’une rupture conjugale. Nous formulons l’hypothèse selon laquelle la médiation extrajudiciaire s’avère plus efficace que la médiation judiciaire pour gérer un conflit familial.

En résumé, le résultat de notre étude valide notre hypothèse principale de recherche, puisque, aussi bien en France qu’au Brésil, la plupart des médiateurs familiaux interviewés (84% en France et 90% au Brésil) sont d’accord pour affirmer que la situation la plus efficace pour gérer un conflit familial est la médiation extrajudiciaire.

Des auteurs, comme Foucault (2004), Bourdieu (1986), Guillaume-Hofnung(2005) et Faget (2008), ont tous déjà théorisé sur les formes de domination et de pouvoir du droit et des systèmes judiciaires. Dans ce sens, nous soutenons que la médiation légale, bien qu’elle soit un processus de gestion des conflits interpersonnels efficace et satisfaisant dans les cas d’une rupture conjugale, est davantage soumise aux contraintes implicites et explicites des pratiques judiciaires.

En effet, la modalité extrajudiciaire est nettement plus appropriée pour promouvoir ses fondements de base, telles que la communication, l’autonomie de la prise de décision, la responsabilité et la coopération, tout en s’appuyant sur la théorie de l’agir communicationnel (Habermas, 1987) et guidée par l’intercompréhension, pierre angulaire de la médiation.

Habermas (in Pinzani, 2009) souligne l’effet des procédures de « juridicisation » dans les sociétés. Il s’agit d’un processus dans lequel le droit s’approprie les récentes demandes sociales qui, jusque là, étaient réglées d’une façon informelle et essaie de les judiciariser. Comme exemple de ce phénomène, nous signalons l’insertion de la pratique de la médiation dans les droits de la famille contemporaine. En effet, les rapports entre le système judiciaire et la médiation sont difficiles dans ce contexte, car les deux pratiques se fondent sur des principes d’intégration sociale opposés. Alors que l’une vise la normativité, l’autre recherche surtout l’agir communicationnel. Même si la médiation légale est apparue pour moderniser les systèmes de justice, elle se situe dans le processus de « juridicisation » que précise Habermas (1987).

En outre, les résultats de notre étude ont indiqué que, dans les deux pays, deux tiers des médiateurs interviewés sont d’accord pour dire qu’en cas de médiation judiciaire, les personnes ont davantage de difficultés à accepter ce processus et à s’entendre que dans le cas de l’extrajudiciaire. Ces résultats confirment encorenotre hypothèse et sont corroborés par les études de Sassier (2001) en soulignant que, quand la médiation se situe hors de toute intervention judiciaire, les personnes sont responsabilisées et coopèrentplus activement à la négociation. De même, la médiation familiale judiciaire intervient plus souvent à la suite d’un désaccord portant sur un élément du litige. Bien que la médiation légale ait des effets plus coopératifs et satisfaisants que le système judiciaire classique, cette pratique est insérée dans un contexte institutionnel plus contraignant et soumise à d’autres valeurs et intérêts.

En outre, les résultats ont montré que les psychologues médiateurs français sont les professionnels les plus conscients des difficultés inhérentes à la médiation dans un contexte légal. Au Brésil, les assistants sociaux sont les principaux adeptes de la médiation extrajudiciaire, les juristes le sont moins. Ainsi, une telle tendance reflète les considérations manifestées par Irving et Benjamin (1995), Highton et Alvarez (1999), Sarrazin et Lévesque(2001), Noreau et Amor (2004) et Sarrazin et al. (2005), en soulignant qu’il existe des tendances, dans la pratique, qui peuvent varier selon l’origine professionnelle du médiateur. L’une des explications possibles concernant les juristes quant à l’absence de cette difficulté, peut venir du fait qu’ils perçoivent le système judiciaire comme un espace idéal pour le règlement des conflits.

Toutefois, aussi bien en France qu’au Brésil, un tiers des médiateurs interviewés n’est pas d’avis que les difficultés inhérentes à la médiation en contexte légal soient complètement nuisibles. De leur point de vue, la médiation judiciaire peut être considéré comme mieux adaptée à la réalité des personnes qui ont besoin de l’intervention du juge, au départ, pour se sentir plus en sécurité et confiants face à la résolution de leurs conflits. C’est la croyancepopulaire ou la mentalité que la justice seule peut régler les conflits familiaux. C’est de rendre l’État seul acteur dans l’aboutissement des transformations sociales. .

A ce propos, l’un des médiateurs français a déclaré : « la médiation conventionnelle demande une évolution des mentalités, la médiation judiciaire peut favoriser cette évolution par une impulsion de l’Etat ». Au Brésil, un médiateur avocat, adepte de la médiation judiciaire, a souligné que : «la plus grand difficulté vient de la part des avocats. Quand on explique bien ce qu’est la médiation, les gens l’acceptent bien » (traduction du chercheur).

Comme l’ont précisé Faget (2005), Mattei (2007), Noreau et Amor (2004), il existe différents modèles de médiation et ceux-ci varient en fonction de la culture et des différentes traditions juridiques d’un pays donné. Sur ce point, il existe un paradoxe en France. Bien que la majorité des médiateurs de notre échantillon aient favorisé la médiation extrajudiciaire, les législateurs, eux, ont préféré la médiation judiciaire. D’après Noreau et Amor (2004), en France, alors que le recours à la médiation peut être volontaire, c’est-à-dire avant la saisine du juge, la médiation judiciaire est plutôt perçue comme une prérogative du juge en cours d’audition. La force du droit, mentionnée par Bourdieu (1986) et l’effet de juridicisation cité par Habermas (1987) prennent ici tout leur sens. De plus, ce choix de la médiation judiciaire est en phase avec les écrits de Mattei (2007) qui soutiennent que le système du civil law, comme en France, dresse un modèle plus centraliste exerçant un plus grande contrôle du judiciaire alors que le système du common law, à l’instar de l’Angleterre, privilégie un modèle moins centralisé.

Il faut aussi souligner les recommandations du Rapport Guinchard (2008), mentionnées au chapitre II, sur la réforme du système judiciaire français. Ce rapport comprenant une évaluation du modèle de médiation en France a fait le constat que la médiation judiciaire n’a pas donné les résultats attendus et que ses assises sont précaires. Le rapport, s’inspirant de l’expérience québécoise sur la pratique de la médiation familiale, a fortement privilégié la médiation préalable en matière familiale. Ce document souligne que, devant une structure organisée, la médiation peut se dérouler de façon optimale en dehors du cadre judiciaire. En d’autres termes, à l’exemple des modèles de médiation du Québec, de la Grande-Bretagne et des pays scandinaves, la médiation, dans un contexte extrajudiciaire, a été considérée comme étant la forme la plus convenable.

Comme le soulignent Highton et Alvarez (1999), la possibilité d’avoir une procédure efficace, et pas nécessairement judiciaire, permet la diversification des formes de résolution de conflits et une plus grande déjudiciarisation des litiges.