1.1.1 Principales différences entre les médiations judiciaire et extrajudiciaire en France et au Brésil

Tableau XXXXXIII: Synthèse des expressions les plus indiquées pour désigner les modalités de médiation en France et au Brésil
Type de Médiation FRANCE BRESIL
Médiation Extrajudiciaire Spontané Autonomie Liberté Autonomie Communication Satisfaction
Médiation Judiciaire Ordonnée Conflit Juge Imposée Conflit Lente

En ce qui concerne les similitudes entre les deux pays à propos de la médiation extrajudiciaire, l’expression autonomie a été citée le plus souvent pour désigner cette pratique dans un contexte non judiciaire.

En France, les trois expressions les plus souvent mentionnées montrent que la médiation extrajudiciaire a été largement associée aux principes fondamentaux de la démocratie et ont souligné des idées d’autonomie, de liberté personnelle et la possibilité de communiquer d’une façon spontanée. Ces réponses confirment les études des juristes Guillaume-Hofnung (2005), Spielvogel et Noreau (2002) et Faget (2005) qui considèrent que ce mode de gestion de conflits est un instrument de transformation des rapports sociaux, en accord avec les principes de la démocratie participative.

Ce raisonnement est partagé par Enriquez (2008), sociologue et professeur de l’Université de Paris VII, qui souligne  que : « la possibilité de parler en son nom propre, à devenir de plus en plus autonome, est de plus en plus nécessaire dans une société où nous vivons de contradictions fortes, dans un monde de plus en plus fluide … » (pp.102).

Ainsi, la médiation extrajudiciaire est envisagée dans un esprit de liberté et de responsabilité personnelle. Il s’agit d’un argument qui renforce la capacité des personnes à résoudre leurs conflits d’une façon plus collaborative et autonome.

D’autre part, au Brésil, la médiation extrajudiciaire, au-delà de l’idée d’autonomie, a été associée à des formes plus efficaces de communication et de satisfaction quant au résultat final. Il faut souligner que les médiateurs interviewés considèrent que la médiation extrajudiciaire amène les personnes à une plus grande satisfaction dans la résolution de leurs conflits familiaux. Ces considérations sont en accord avec les écrits brésiliens sur ce sujet. En effet, les juristes Warat (1999) et Cachapuz(2003) et les psychologues Vezzulla (1998; 2001) et Grunspum (2000), soulignent que la médiation vise surtout la satisfaction mutuelle des protagonistes à l’égard de la résolution de leur différend. En effet, dans la préface du livre « Manual de Mediação judicial » l’ex-ministre de la justice Genro (2009), à plusieurs reprises, évoque la médiation comme une procédure équitable qui aide les parties à en arriver à des conclusions satisfaisantes.

Au Brésil, de tous les mots qui servent à désigner la médiation extrajudiciaire, les termes prévention, rapidité et informalité ont été les plus utilisés. Ces expressions sont prédominantes dans le discours des adeptes de la médiation, surtout dans les tribunaux brésiliens. Également, ce sont ces expressions qui se retrouvent dans la littérature lorsque l’on se réfère aux modes alternatifs de résolution des conflits comme la médiation, la conciliation et l’arbitrage. Certains auteurs les décrivent comme des méthodes rapides et informelles de régler les litiges (Highton et Alvarez, 1999). Dans les deux pays concernés par la recherche, les mots le plus souvent mentionnés lorsqu’il est question de la médiation judiciaire sont davantage associés à l’idée de contrainte et de conflit alors que les mots associés à la médiation extrajudiciaire sont participation et autonomie.

Le tableau XXXXXIV indique les principales différences rencontrées dans les mots pour signaler la médiation extrajudiciaire et la judiciaire dans les deux pays.

Tableau XXXXXIV: Synthèse des principales différences pour désigner les modalités de médiation en France et au Brésil
FRANCE BRESIL
Catégorie Médiation extrajudiciaire Médiation judiciaire Médiation extrajudiciaire Médiation judiciaire
Demande Spontanée/libre/
réceptive
Juge/contrainte Spontanée Imposée
Légitimité Personnelle Juge/Loi/Droit Personnelle Juge/Loi/
Droit
Pouvoir décisionnel Personnelle



Libre
Personnelle mais avec la soumission à la décision du juge

Pression
Personnelle
Interférence des juges et des avocats
Conflit Moins ancienne
Prévient l’aggravation
Plus ancrée
L’effet du conflit
Prévention Plus cristallisée
Temporalité Libre Ordonnée Rapide Lente
Intérêts Propres D’autres références    
Obligation Nulle Imposée    

Aussi bien en France qu’au Brésil, les résultats indiquent que la médiation extrajudiciaire a une connotation plus positive que la médiation judiciaire. L’une des principales différences consiste à ce que la demande des participants, dans la médiation conventionnelle, est souvent plus motivée, réceptive et légitimée par les personnes elles-mêmes. Aussi, le conflit est associé à une plus grande prévention puisqu’on ne le laisse pas s’aggraver. Dans cette perspective, les études de Sassier (2001) mentionnent que la médiation extrajudiciaire agit d’une manière plutôt préventive et qu’elle favorise le mûrissement des accords entre les parties.

Il faut souligner que l’ensemble des médiateurs utilise la différence conceptuelle entre le mot « conflit », pour designer la médiation conventionnelle et « litige », pour désigner la médiation légale. A ce sujet, nous nous rapportons à Dion (2007) pour examiner la distinction entre ces deux termes. Le litige porte sur la contestation, une dispute se rapportant à la loi, et est souvent synonyme de procès. Le conflit est formé d’une signification plus large que celle du litige. Il comprend des dimensions juridiques, ainsi que psychologiques et sociales et se rapporte à des aspects plus émotionnels et relationnels.

La différence entre les deux pays étudiés concerne notamment la temporalité dans laquelle se déroule la médiation conventionnelle. En France, les résultats de notre recherche, conformément aux écrits de Bonafé-Schmitt et Robert (2001), ont montré que la médiation conventionnelle offrait moins de contraintes en termes de temps et d’exigences administratives. En effet, la notion de temps est différente selon qu’il s’agit d’une médiation judiciaire ou d’une médiation conventionnelle. Dans les cas de médiation judiciaire, il s’agit d’une temporalité « contrainte », car les délais y sont fixés par l’autorité judiciaire. En revanche, dans le cas d’une médiation conventionnelle, il existe une temporalité plus « libre », puisque les délais dépendent directement des personnes. Pour Sassier (2001), l’avantage principal de la médiation familiale extrajudiciaire repose sur l’absence de contrainte temporelle, aussi bien pour les personnes que pour le médiateur. Le couple, lui, peut trouver des solutions acceptables concernant aussi bien les questions personnelles que les questions patrimoniales. Le médiateur, lui, perçoit le conflit familial dans sa totalité, sans se limiter aux objets du litige tels que définis par le juge.D’autre part, au Brésil, la médiation judiciaire a été liée à un règlement plus lent. Les médiateurs interviewés ont associé la lenteur de la justice brésilienne à cette modalité de médiation.

La médiation légale est aussi présentée comme une modalité plus contraignante, imposée par le juge et comportant une certaine obligation de trouver un accord. Quant à sa légitimité, elle est associée au prestige du magistrat et à la place qu’occupe le droit dans nos sociétés démocratiques. De plus, même si le principe d’autonomie décisionnelle existe dans cette pratique, il est partiel, car le pouvoir des juges et l’interférence des acteurs juridiques sont toujours présents. A ce sujet, les médiateurs français ont écrit: « ni juge ni avocat pour attiser le conflit » ; « la médiation judiciaire, pression du juge pour la décision » ; « dans le judiciaire, le pouvoir des juges et des avocats est encore très présent !».

Ces résultats concordent avec les écrits de Bonafé-Schmitt, Charrier et Robert (2007) dans leurs recherches sur l’évaluation des effets du processus de médiation familiale en France. En effet, ces auteurs soulignent que la médiation judiciaire emploie une logique plutôt instrumentale, une temporalité limitée et un grand contrôle par le juge sur les décisions prises en médiation. Le conflit est habituellement prescrit sous la forme d’un litige judiciaire et est plus difficile à régler. Les situations sont, en général, plus dégradées, les conflits plus anciens, avec des références et des paramètres qui contribuent à compliquer la médiation. Dans ce sens, il est difficile de dégager un espace de volonté et de liberté.

Sur cette question, un médiateur brésilien a précisé : 

« l’entrée ou le contact primaire avec l’Etat, enferme les personnes et crée une relation de compétition très forte entre elles et le travail du médiateur en est donc plus difficile que ce qui concerne la médiation extrajudiciaire où les personnes sont davantage ouvertes et moins « contaminées » par le système »( traduction du chercheur).

Sassier (2001), sur le même sujet, souligne que la médiation familiale judiciaire intervient souvent sous l’effet d’un désaccord, porte sur un élément du litige et que, normalement, ce conflit est plus cristallisé. C’est le juge qui va indiquer, dans son ordonnance, le contenu précis de la réalisation de la médiation, ce qui donne une certaine limitation dans l’intervention du médiateur.

En somme, aussi bien en France qu’au Brésil, dans les cas des médiations légales, il existe une logique qui s’intègre davantage à la demande procédurale et au propre système judiciaire qu’à une approche plus relationnelle. A ce sujet, Faget (1997), Bonafé-Schmitt et Robert (2001), Guillaume-Hofnung (2005) soulignent que, dans le cadre des médiations judiciaires, il y a une plus grande rationalité légale, c’est-à-dire une culture professionnelle juridique fondée sur la normativité.

En outre, nous avons observé que la médiation judiciaire est toujours associée à l’impact d’une dispute familiale. Guillaume-Hofnung (2005) suggère que la conciliation judiciaire est liée à l’existence d’un conflit et non pas la médiation qui est basée sur une approche relationnelle. Dans ce sens, nos résultats indiquent que la médiation légale suit la même tendance que la pratique de la conciliation traditionnellement employée par les juristes.

D’une certaine façon, la médiation extrajudiciaire a une connotation plutôt préventive alors que la médiation légale a une connotation plutôt curative. La première indique une idée d’émancipation, de légitimité individuelle et de prévention, alors que la deuxième avance une idée de pouvoir, de soumission et de litige. En fait, l’extrajudiciaire circule dans le sens selon lequel Habermas (2003) entend la théorie de l’agir communicationnel, qui suit une finalité d’émancipation fondée sur une théorie évolutive de la société et a comme élément central l’idée d’une raison communicative.

Même si, pour certains médiateurs, les effets du processus de médiation sont semblables ou identiques au moment où les personnes y adhèrent, les résultats de notre recherche ont montré que le contexte de la médiation judicaire est imprégné de structures plus contraignantes et autoritaires.

D’ailleurs, si certains médiateurs trouvent que la médiation conventionnelle demande une évolution des mentalités et qu’elle prend plus de temps à faire sa place, elle favorise néanmoins un changement culturel. C’est le modèle qui devrait être choisi par le législateur dans le domaine des politiques sociales. La médiation judiciaire a été une étape importante dans le développement de la médiation, mais elle ne peut devenir la norme. Elle doit continuer d’exister mais comme une alternative à la médiation conventionnelle. Dans ce sens, Théry (1998) souligne que les problèmes qui se manifestent au moment d’une rupture familiale sont loin de se limiter à des problèmes juridiques. Elle évoque la nécessité d’encourager la médiation familiale extrajudiciaire pour les raisons suivantes : elle contribuerait à éviter l’augmentation des affrontements propres au système judiciaire ; elle améliorerait la communication lors des procédures de séparation et de divorce et permettrait encore de limiter le recours injustifié au juge pour des questions qui ne sont pas de sa compétence.